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Le flop des savoirs
Un récent rapport de l’inspection générale vient tirer un premier bilan de la mesure la plus emblématique du « choc des savoirs » voulu par Gabriel Attal, éphémère ministre de l’Éducation nationale : les « groupes de niveaux », devenus « groupes de besoins » puis, finalement, tout simplement « groupes ».
À celles et ceux qui n’auraient pas encore lu le rapport, inutile de faire durer le suspense plus longtemps ; comme prévu, et annoncé par quasiment tout le monde depuis la présentation de cette mesure – et notamment abondamment sur le site des Cahiers pédagogiques – les effets escomptés ne sont pas au rendez-vous.
Ce qui rend la lecture très intéressante est que ce rapport ne se contente pas de tirer un bilan factuel des effets de la réforme constatés ou non sur le terrain, il envoie un message que l’on pourrait qualifier de politique. Un peu comme si les rapporteurs suppliaient les femmes et les hommes politiques qui se succèdent au poste de ministre de l’Éducation nationale d’arrêter de vouloir tout changer en peu de temps, de laisser les professionnels travailler dans la sérénité et d’en finir avec les fausses bonnes idées imposées à marche forcée.
Ainsi, dans la partie « synthèse », il est signalé que cette réforme s’est certes inscrite dans un contexte de forte opposition syndicale mais également que « les évolutions des discours ministériels, mentionnant successivement les termes « groupes de niveaux », « groupes de besoins », « groupes », ont fragilisé les réflexions qui devaient s’installer au sein de chaque collège ».
Les rapporteurs mentionnent nominativement les différents ministres qui se sont succédé, alimentant alors une « concurrence sémantique entre « groupe de niveaux et groupes de besoins » [qui] s’est poursuivie jusqu’à la fin de l’année scolaire […] Ces variations discursives, ainsi que les différences d’appréciation manifestes à l’égard de la mesure entre le Premier ministre, qui en était l’initiateur, et sa ministre de l’Éducation, ont induit, chez les acteurs, une difficulté à appréhender clairement ce qui était attendu d’eux et à agir en conséquence ». Bref, si cela n’a pas fonctionné, c’est aussi (et surtout !) de leur faute.
Autre message que l’on pourrait qualifier de « politique », la recommandation numéro 2 : « veiller à inscrire toute politique d’évolution du collège dans une démarche systémique et de long terme ».
Les inspecteurs rappellent alors les différentes réformes que les enseignants de collège doivent ou devront prendre en compte en très peu de temps : réécriture des programmes, nouveau socle commun, réforme de la formation initiale, déploiement des évaluations nationales à tous les niveaux, « de multiples réformes qui, pour certaines d’entre elles, en raison d’une absence d’évaluation et d’une trop courte durée de mise en œuvre, peinent à s’inscrire dans un temps pédagogique propice à une réflexion approfondie et pérenne ». La coupe est pleine, en quelque sorte. Arrêtons de tout changer constamment.
Parmi les éléments les plus significatifs de la synthèse de la mission de suivi et d’évaluation, nous noterons :
– le temps considérable consacré aux dimensions organisationnelles de la réforme, et ce, au détriment du volet pédagogique ;
– des difficultés à distinguer la différence entre niveau et besoin dans un temps aussi contraint, avec un travail par compétences encore inégalement installé dans les établissements. À noter que cette dernière constatation questionne, les compétences étant en vigueur depuis 2008… Quoi qu’il en soit, le passage aux notes pour le contrôle continu du DNB 2026 ne va pas inciter les enseignants à approfondir leurs connaissances sur le travail par compétences ;
– une quasi-absence de mobilité entre les groupes, souhaitée à la fois par les élèves (recherche de stabilité relationnelle et émotionnelle) et par les professeurs (problèmes d’organisation) ;
– des tensions constatées (et qui étaient largement prévisibles…) pour la constitution des emplois du temps, une baisse significative du nombre de professeurs de mathématiques et de français exerçant les fonctions de professeurs principaux et des difficultés à pourvoir aux remplacements de courte durée.
En conclusion de cette synthèse, il est noté que la mesure a permis d’offrir une visibilité à la grande difficulté scolaire (était-ce nécessaire ?) sans parvenir à la résorber (tout ça pour ça). Non seulement les élèves à fort besoin n’ont « clairement pas bénéficié des avancées attendues », mais il est à craindre un accroissement des écarts rendant très compliqué le retour en classe de 4e.
Seule éclaircie au tableau, relevée par certains enseignants : la diminution des effectifs (quand elle a pu s’opérer), qui est perçue comme une avancée majeure.
À la suite de cette synthèse, les inspecteurs font des recommandations argumentées. Ce ne sont pas de simples ajustements de l’existant, mais elles constituent un vrai programme ambitieux et cohérent pour le collège, presque une feuille de route pour les années à venir :
1/ Revenir sur l’organisation des groupes.
La trop grande diversité des situations scolaires ne permet pas d’imposer un modèle unique, une seule réponse imposée de manière nationale à l’ensemble des établissements du territoire. Un pavé de plus lancé dans la mare des politiques du « yakafokon ».
2/ Veiller à inscrire toute politique d’évolution du collège dans une démarche systémique et de long terme (déjà évoquée précédemment).
3/ Renforcer l’autonomie des chefs d’établissement sur les décisions à prendre pour faire réussir tous les élèves au collège et sur l’utilisation des moyens supplémentaires accordés dans le cadre de la mesure « groupe de besoins ». Nous pouvons regretter que le conseil pédagogique ne soit pas associé aux chefs d’établissement dans la prise de décision, bien qu’il soit mentionné que cette démarche « permettrait aux équipes de valoriser les expérimentations engagées ».
4/ Définir et arrêter, au sein de chaque collège, une stratégie de réussite des élèves, de la 6e à la 3e, formalisée dans un document présenté en conseil d’administration. Cette dernière proposition a le mérite d’impliquer les équipes pédagogiques et d’amener à une vraie réflexion adaptée au contexte, au public et aux forces en présence. Mais n’était-ce pas le but du contrat d’objectifs de l’établissement (certes pas réévalués annuellement) ?
5/ Engager un vaste programme de formation initiale et continue des enseignants du second degré, portant en particulier sur la gestion de l’hétérogénéité des élèves. Notons que ces questions d’ordre pédagogique sont pourtant déjà bien présentes dans les contenus d’enseignement du master MEEF…
Dans le détail du rapport qui suit la synthèse et les recommandations, quelques éléments ont attiré notre attention.
Le point de vue des acteurs : les chefs d’établissement sont dans l’ensemble dubitatifs quant à l’efficacité de la réforme. Les enseignants n’ont pas changé leurs pratiques pédagogiques, mais ont noté une amélioration de la dimension « relationnelle et psychosociale avec les élèves les plus en difficulté », notamment du fait que les élèves les plus en difficulté ne peuvent plus se cacher. Les parents, s’ils en ont une vision un peu floue, regrettent de voir accentuer le chamboulement que constitue le passage du CM2 à la 6e.
Le point de vue le plus intéressant est celui des élèves, qui « veulent un enseignant qui crée les conditions propices aux apprentissages et propose des contenus adaptés. Celui-ci doit favoriser leur engagement et les mettre au travail, même s’ils se montrent peu motivés. Les élèves insistent également sur le développement du respect mutuel entre élèves que l’enseignant doit impulser. Ainsi, quel que soit leur groupe, les élèves veulent aller dans celui de l’enseignant qui possède ces qualités professionnelles. » Tout est dit, ils ont tout compris !
Le cas des groupes à « faible besoin » attire également l’attention, de par l’esprit de compétition qu’ils génèrent entre élèves, selon le constat des enseignants, et du fait de l’aveu de certains enseignants de « sacrifier » les élèves « moyens » au sein de ces groupes pour avancer plus vite. Surtout, les rapporteurs font le constat de groupes à faible besoin genrés : les filles sont majoritaires en français et les garçons en mathématiques !
La réforme du collège de 2015 fait également son retour dans les recommandations. En effet, la proposition du « plus de maitres que de classes » adaptée au secondaire fait référence aux heures d’autonomie disciplinaires prévues par la réforme et qui pouvaient servir à la co-intervention. De même, la proposition de réorganisation des séances (dix minutes de différenciation pédagogique à la fin ou au début de chaque cours) peut être considérée comme un retour de l’accompagnement personnalisé (AP) qui devait être intégré aux cours avec un volume horaire donné.
Gardons pour la fin la proposition de « favoriser les organisations qui favorisent l’entraide entre élèves ». Un appel à peine masqué à la généralisation des classes coopératives !
À ce stade de l’analyse, on constate qu’il manque un élément, d’ordre politique, à ce rapport. En effet, la question de la mixité sociale n’est pas abordée. Que faire dans les établissements qui concentrent les difficultés ? L’hétérogénéité des classes (à effectifs moindres) est certes à privilégier, mais avec un public propre à chaque établissement.
Il est pourtant rappelé dans le rapport que les résultats PISA de 2024 montrent que 30 % des élèves français de 6e se trouvent dans le groupe des moins performants alors qu’ils sont 60 % en REP+. Bref, prenez les recommandations proposées, assorties d’une politique volontariste de mixité sociale, et vous avez un beau projet pour le collège !
Membre du comité de rédaction des Cahiers pédagogiques
Mise en place des groupes de besoins en français et mathématiques au collège, rapport de l’IGESR n° 24-25 007, mai 2025
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