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Un collectif solidaire pour l’hébergement des élèves SDF

Depuis 2014 à Lyon, un collectif de parents d’élèves, d’enseignants et d’habitants se mobilise année après année dans les écoles lyonnaises pour qu’un droit humain fondamental soit respecté et appliqué, « le droit d’avoir un refuge, d’être secouru, et d’avoir des conditions de vie décentes » érigé par la convention internationale des droits de l’enfant. Allan Maria témoigne de ce combat au nom du collectif Jamais sans toit.

Le collectif existe dans le partage d’un commun refus, celui de savoir des enfants et leurs familles dormir à la rue. « En tant qu’enseignant, on ne peut pas ne pas être touché, c’est violent d’avoir un élève sans domicile fixe en classe, violent de ne pas pouvoir répondre à la question pourquoi posée par ses camarades. L’engagement sur les écoles leur montre que l’on n’accepte pas cela. Ils sont rassurés de voir que les adultes agissent face à l’atteinte à la plus élémentaire des dignités. » Les enfants eux-mêmes expriment leur solidarité en participant aux goûters solidaires organisés pour recueillir des fonds pour l’hébergement des familles.

Le collectif fonctionne de façon horizontale, sans structuration formelle de type associatif. Chaque école impliquée a un comité qui se met en action lorsqu’il sait que des élèves sont sans domicile. Un système d’entraide existe entre les comités pour partager les expériences, s’épauler pour agir. Mettre à l’abri, alerter les pouvoirs publics pour trouver des solutions et médiatiser les actions pour faire pression, les objectifs du collectif reposent sur élan citoyen pour le respect des droits humains.

D’année en année, la mobilisation reste constante, avec une interruption pendant le confinement durant lequel les pouvoirs publics avaient trouvé des solutions pour les familles. Le mois de novembre est le point d’orgue, lorsque le froid arrive. En 2021, c’est le cas encore. Depuis la rentrée, de nombreux enfants dorment à la rue, suite à des expulsions locatives, ou, bien souvent, parce que leur famille est empêtrée dans des démarches administratives pour obtenir un titre de séjour, mais aussi pour certains dans l’attente d’une place en Centre d’accueil des demandeurs d’asile (CADA), le temps que la demande d’asile de leurs parents soit étudiée.

Droit à l’hébergement

Pourtant, l’hébergement est un droit inscrit dans le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, et le Code de l’action sociale et des familles garantit un hébergement inconditionnel pour toute personne en situation de détresse. « Nous demandons juste l’application de la loi en informant les autorités sur les situations que nous connaissons. » Lors des élections municipales, le collectif a invité les candidats, exceptés ceux d’extrême droite, à dialoguer. Les paroles politiques semblaient unanimes sur l’application du droit et le refus de laisser des enfants et leurs familles à la rue. Le changement municipal a donné beaucoup d’espoir. Des annonces de mise à disposition de bâtiments ont été faites. Hélas, elles tardent à se concrétiser et la mobilisation reste nécessaire.

Or, Mediacité dénombrait en octobre dernier près de 18 000 logements inoccupés depuis au moins deux ans dans le Grand Lyon. Une semaine après l’anniversaire de la convention internationale des droits de l’enfant, on estimait que 171 enfants étaient sans domicile fixe sur la métropole lyonnaise. « On sent que nous sommes obligés de faire pression. L’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas pris en compte malgré les priorités politiques publiques. On met la lumière sur ce problème pour rendre visible des situations inadmissibles.

Sur la banderole : « Pas d’enfants à la rue »

Le jour de notre entretien, le jeudi 2 décembre, six écoles lyonnaises étaient mobilisées pour mettre à l’abri vingt enfants et leurs familles. Selon les jours, le nombre varie en fonction des solutions trouvées et des nouvelles situations connues. Depuis la rentrée, douze écoles ont servi de refuge la nuit, à cinquante-cinq enfants. « Avant l’occupation des écoles, le collectif s’est mobilisé pour payer des nuits d’hôtel aux familles qui étaient dehors. Nous en avons financé pour plus de 2000 euros dans mon école. » Cette année, l’école d’Allan Maria a déjà mis à l’abri sept familles, six ressortant du CADA et une mère isolée avec six enfants sans prise en charge de la part de la métropole. Des collectes et des goûters solidaires sont organisés, les commerçants contribuent aussi par des dons. C’est une belle solidarité de quartier qui est à l’œuvre. Mais le coût des nuits d’hôtels devient trop lourd à financer, avec l’impression de payer à la place de l’État.

L’occupation des écoles est alors décidée. Elle est organisée hors temps scolaire dans des lieux non utilisés par les classes : logements de fonction vides, gymnases et lieux inoccupés. Au début, avec l’ancienne municipalité dirigée par Gérard Collomb, la menace d’expulsion était réelle. Des membres du collectif se relayaient pour passer la nuit dans les écoles occupées et être présents en cas d’intervention policière. La crainte a disparu mais l’habitude est restée, parce qu’au-delà de l’action citoyenne, ce sont des relations humaines qui se nouent autour d’un repas ou d’un petit déjeuner partagés.

Des vêtements mouillés et des feuilles mortes

Les parents et les enfants sans domicile fixe ne déclarent pas spontanément leur situation. Ce sont souvent les enseignants qui le découvrent. « On demande à un enfant pourquoi il est fatigué et il explique qu’il dort dehors. Ou alors une maman s’effondre en expliquant pourquoi son enfant est malade ». Parfois ce sont des signes infimes qui s’accumulent : des vêtements constamment mouillés, un sac abimé avec des feuilles mortes accrochées. L’adresse indiquée sur la fiche d’information est révélatrice aussi lorsque c’est celle du CADA ou du centre communal d’action sociale.

Avec la découverte de la situation et la solidarité collective qui se met en œuvre, l’école est un refuge, un lieu d’humanité. « Les familles ont un rapport de confiance et d’espoir, car l’école est le seul lieu de sociabilité et de sécurité pour les familles migrantes. » Tous les publics se côtoient, enfants des rues ou pas, partageant les temps scolaires, jouant ensemble pendant les goûters solidaires. L’action ne s’arrête pas à la solidarité. Le relai est pris aussi par le réseau des infirmières scolaires sur le volet santé. « C’est beau, mais il faut aussi se mobiliser pour que cela change. »

Le collectif tient une liste des familles sans domicile, fait office de lanceur d’alerte auprès de la préfecture et des structures comme la Maison de la veille sociale. Des manifestations et des médiatisations sont organisées régulièrement pour informer, attirer l’attention. « La mobilisation est nécessaire autour des écoles pour dénoncer la situation et que les pouvoirs publics s’organisent afin que les familles soient logées ». Le collectif s’endormira lorsque plus aucun enfant lyonnais ne dormira dans la rue. Ce sera une belle victoire pour l’application de droits fondamentaux. Nul doute que le bel élan solidaire vivra, lui, encore longtemps.

Monique Royer

La page Facebook du collectif « Jamais sans toit »

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N° 555 – Droits des Banderolle « pas d’enfants à la rue »enfants, droits des élèves

La Convention internationale des droits de l’enfant aura 30 ans en novembre 2019. Quelles pratiques pédagogiques et quels partenariats développer pour que les enfants, y compris ceux en situation difficile à l’extérieur de l’école, soient acteurs de leurs droits, tout en respectant leurs obligations en tant qu’élèves ?