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Les sciences à l’école primaire : réalités du terrain et perspectives
Étant donné la place importante des sciences et des technologies dans notre société, il est primordial que les élèves, grâce à leurs apprentissages, puissent dès l’école primaire développer leur esprit critique, distinguer les savoirs des croyances, comprendre et discuter les enjeux environnementaux…
L’enseignement des sciences et des technologies est inscrit dans les programmes des trois cycles de l’école primaire. Depuis les domaines d’apprentissage « exploration du monde » (cycle 1) et « questionner le monde » (cycle 2), à la matière « sciences et technologie » en cycle 3, les élèves doivent acquérir un ensemble de compétences et connaissances définies par les programmes.
Pour comprendre comment les professeurs des écoles (PE) enseignent les sciences et appréhender leurs besoins pour prendre en charge ces domaines, j’ai mené une enquête de terrain, au moyen d’un questionnaire, auprès de soixante-dix enseignants1 exerçant de la petite section de maternelle à la Segpa (section d’enseignement général et professionnel adapté).
Pour appréhender les notions aisées à aborder pour les PE, je leur ai posé la question suivante : quelles notions scientifiques vous semblent plus faciles à aborder avec vos élèves ? Pouvez-vous expliquer pour quelles raisons ?
J’ai catégorisé les réponses obtenues dans le tableau ci-dessous, en veillant à conserver les formulations utilisées par les PE (le nombre indiqué correspond au nombre de réponses relevées).
Notions plus faciles à aborder d’après les PE et qui relèvent… | |
Des sciences de la vie et de la Terre (SVT) | |
Le vivant | 21 |
Comportements favorables à sa santé : alimentation et hygiène, hygiène buccodentaire | 15 |
La vie végétale : développement des végétaux, cycle de vie | 9 |
Le corps humain et ses différentes fonctions | 7 |
La vie animale | 2 |
Volcanisme | 1 |
Des sciences physiques (physique et chimie) | |
Matière : l’eau, le cycle de l’eau, les changements d’états, les mélanges, l’air | 26 |
Électricité | 7 |
Énergies | 4 |
Système solaire et l’univers | 3 |
« Le poids » | 1 |
Ombres et lumières | 1 |
De l’éducation au développement durable (EDD) | |
Action humaine sur l’environnement | 3 |
Déchets et tri | 2 |
Développement Durable | 1 |
Climat | 1 |
De la technologie | |
Technologie | 1 |
Outils numériques | 1 |
Pour justifier leurs choix, les enseignants indiquent parvenir à mieux enseigner les notions étroitement liées au vécu des élèves et qualifiées de « plus concrètes ». C’est le cas pour le monde du vivant avec, entre autres, l’alimentation et les dents. Les PE précisent que certaines manipulations sont plus faciles à mettre en œuvre, comme « les mélanges et les états de l’eau ».
Certains thèmes seraient également choisis en fonction du degré de maitrise que les PE pensent avoir.
De plus, les choix opérés sont aussi liés à des considérations d’ordre matériel ou aux intérêts des élèves et leur enseignant.
Deux PE justifient leur réponse par l’existence d’une « documentation riche » sur la notion en jeu, ce qui oriente leur choix, ou encore la possibilité de réaliser des sorties sur le terrain. Le côté ludique a également été cité en plus de la possibilité de « manipuler ou faire des expériences », modalités qui « motivent les élèves ».
Les notions faciles à enseigner relèvent donc majoritairement des sciences de la vie, contrairement aux sciences physiques et à la technologie.
Pour comprendre certains freins à l’enseignement des sciences en primaire, je leur ai demandé quelles notions leur semblent plus difficiles à approcher, et pour quelles raisons.
De la même façon que précédemment, j’ai répertorié puis catégorisé les réponses obtenues. Les résultats figurent dans le tableau ci-dessous (le nombre indiqué correspond au nombre de réponses relevées).
Notions plus complexes à aborder d’après les PE et qui relèvent… | |
Des sciences de la vie et de la Terre | |
Reproduction et sexualité | 4 |
Élevages | 1 |
Sciences de la Terre | 1 |
Le vivant | 1 |
L’hygiène | 1 |
Évolution des espèces | 1 |
Des sciences physiques (physique et chimie) | |
Électricité | 10 |
La matière | 3 |
Physique | 3 |
Ombres et lumières | 2 |
Énergies | 2 |
Système solaire | 2 |
L’air et l’eau | 1 |
Les gaz | 1 |
De la technologie | |
Objets techniques : constructions, leviers, engrenages, mécanismes | 18 |
Information et signal | 2 |
Ce deuxième tableau permet de mettre en lumière que les freins majeurs concernent l’enseignement de la technologie.
Les enseignants ont indiqué craindre ne pas avoir les « connaissances requises » pour enseigner certaines notions relevant notamment des sciences physiques et de la technologie.
Cette dernière discipline a pourtant pris une place plus importante en cycle 3 depuis la parution du nouveau programme de sciences et technologie et avec la suppression de cette dernière en classe de 6e2.
Cette évolution des programmes en cycle 3 nécessite une réelle réflexion autour de la formation des enseignants du premier degré sur ces nouvelles connaissances et compétences devant être acquises par leurs élèves, compte tenu de la place grandissante des technologies dans nos sociétés modernes.
Les enseignants ont ensuite été invités à identifier les freins à l’enseignement des sciences.
Des difficultés liées à des contextes d’exercice sont évoquées, comme un manque d’espace pour « faire manipuler, expérimenter », l’effectif des élèves, ou encore l’absence de matériel nécessaire aux expérimentations.
De plus, les PE expriment une réelle volonté d’enseigner les sciences, mais jugent que la pression trop forte sur les « fondamentaux » (mathématiques et français) entrave leur polyvalence, pourtant caractéristique du métier de professeur des écoles.
Les PE citent ainsi un manque de temps et, pour certains, le recours à des échanges de service pour remédier à cette difficulté.
Ce frein a déjà été mis en évidence par une étude menée en 2001 auprès de PE3. Cette recherche soulignait que l’enseignement de la physique et de la technologie était déficitaire, voire « préoccupant » à l’école primaire. Aucune heure d’enseignement ne serait accordée à ces deux disciplines pour 15 % des enseignants de primaire, les PE n’assurant qu’entre 80 et 90 % des horaires destinés aux SVT, à la physique et à la technologie.
Ces résultats sont à croiser avec l’absence de formation initiale en technologie dans les actuels Inspé, où les enseignants de technologie, spécialistes de leur discipline, n’assurent pas de formation aux étudiants se destinant à être PE.
Par ailleurs, les chercheurs notent un respect des horaires préconisés pour le français et les mathématiques avec en particulier un excédent en français surtout en cycle 2. Ils concluent que les mathématiques et le français prédominent alors que moins de temps est accordé aux « activités autres », parmi lesquelles les sciences.
Ainsi, ne pas envisager de séances de sciences, faire appel à un collègue, un partenaire extérieur, ou organiser un décloisonnement sont des solutions apportées par les enseignants pour remédier aux obstacles rencontrés.
Enfin, nous avons demandé aux enseignants quels étaient leurs besoins de formation en sciences. Ils indiquent vouloir bénéficier de temps de formation centrés sur l’élaboration et la mise en pratique des situations d’apprentissage, d’observations de pratiques enseignantes avec des demandes d’apports théoriques pour consolider, mettre à jour ou construire des connaissances scientifiques.
Formations souhaitées | Effectif |
Mise en situation de séquences d’apprentissage | 52 |
Observation de pratiques enseignantes | 48 |
Mise à jour des connaissances didactiques | 29 |
Remise à niveau sur le plan des connaissances | 25 |
Apport théorique à partir de la recherche | 16 |
Des séances plus construites | 1 |
Création de capsules | 1 |
Aucune | 1 |
Même si ces informations ont été recueillies auprès de soixante-dix enseignants et ne sont pas généralisables, elles nous donnent des pistes de réflexion intéressantes, notamment sur la formation des PE en sciences.
Une des réponses apportée aux besoins exprimés pourrait être l’inscription dans un projet de recherche collaborative.
J’ai initié un projet de recherche collaborative en sciences à l’école primaire à travers les LÉA-IFÉ (lieux d’éducation associés à l’Institut français de l’éducation)4.
Le LÉA Vivap (Vivre l’astronomie en primaire) a été initié au sein de l’académie de Paris. Il est consacré à l’apprentissage de l’astronomie à l’école primaire, sur deux écoles maternelles et deux écoles élémentaires, donc du cycle 1 au cycle 3.
Il s’intéresse aux questions de recherche suivantes : comment la compréhension d’une démarche en sciences par les enseignants évolue au cours de cette collaboration ? Comment transposer dans les classes de primaire la démarche scientifique utilisée par des chercheurs en astronomie ? Quel est l’impact d’une collaboration entre chercheurs et enseignants sur cette transposition ? Quelles connaissances (disciplinaires, transversales) sont nécessaires aux enseignants pour mettre en œuvre une démarche scientifique ?
Je fais l’hypothèse que le contexte des LÉA peut répondre aux besoins exprimés par les PE pour répondre à leurs difficultés face à l’enseignement des sciences.
Dans un LÉA, une équipe éducative et des chercheurs travaillent conjointement sur un projet scientifique et produisent des ressources à la fois pour la communauté scientifique et la communauté éducative. Un des objectifs visés est précisément le développement professionnel de tous les membres du projet.
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Notes- Plusieurs réponses étaient possibles, d’où un nombre total de réponses supérieur à soixante-dix.
- Bulletin officiel n° 25 du 22 juin 2023.
- Gilles Baillat, Odile Espinoza et Jean Vincent, « De la polyvalence formelle à la polyvalence réelle : une enquête nationale sur les ESPA pratiques professionnelles des enseignants du premier degré », Revue française de pédagogie, vol. 134, 2001.
- L’IFÉ accueille le dispositif des LÉA, centrés sur des recherches collaboratives entre enseignants et chercheurs et mettant ainsi en réseau les acteurs et projets de recherche. Il existe actuellement trente-cinq LÉA sur le territoire national. Une convention liant les différents acteurs est établie pour une durée de trois ans.