Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

« On peut toujours confisquer le téléphone, mais qu’est-ce qu’on offre à la place ? »

Former les élèves à un meilleur usage du numérique en trouvant les bonnes formules pour s’adresser à eux, les mettre en garde contre les dangers des réseaux sans faire de pesantes leçons de morale, telle est l’ambition de Yassin, alias Siceron sur les réseaux sociaux. Il sillonne la France pour relever ce défi, à travers des animations et des formations. Rencontre avec quelqu’un qui sait parler de ces sujets aux jeunes avec efficacité, humour et en même temps avec un message clair.
Pouvez-vous présenter votre parcours et ce qui vous a amené à vos activités actuelles ?

Je travaille avec des jeunes depuis plus de vingt ans. J’ai un parcours dans l’animation au départ, j’ai fait des études après le bac dans la communication, en me spécialisant dans les réseaux sociaux. Je suis aussi community manager et je crée du contenu sur les réseaux, avec un cumul d’une centaine de millions de vues et 150 000 followers. L’ensemble de ce parcours et de ces expériences a fait que j’ai pu mettre en place des animations ludiques pour sensibiliser aux dérives du numérique. Mon objectif était de répondre à une demande. Mais il était nécessaire de sortir d’un discours théorique, qui n’est pas adapté au public. J’ajoute que je suis entrepreneur depuis l’âge de vingt ans, j’ai connu beaucoup d’échecs, mais ce sont eux qui m’ont permis de progresser et d’arriver à ce que je fais aujourd’hui.

Quels sont vos publics et comment se passent les animations ?

Je travaille principalement dans le cadre de programmes de réussite éducative (PRE), auprès d’élèves souvent en décrochage, mais pas seulement. J’essaie de m’adapter aux publics. Par exemple, pour le primaire, j’ai créé une animation qui s’appelle « Permis du web » pour les préparer aux réseaux sociaux, en insistant par exemple sur l’identité numérique, le stockage de nos données, le danger de faire circuler certaines photos qui ensuite ne nous appartiennent plus… J’interviens dans diverses structures : des collèges, des centres sociaux, des missions locales, des associations, etc.

Il y a plusieurs types de séance. Tout d’abord, des animations avec des échanges entre et avec les élèves. J’aime bien aussi introduire des « taquineries » pour que l’ambiance soit bonne. Je commence par la confidentialité. Mon discours n’est pas d’insister sur les dangers, mais sur le bon mode d’emploi, avec les deux règles d’or, le réglage et le comportement.

Le réglage, c’est-à-dire ?

Tout simplement, bien paramétrer son smartphone. Savoir si on est en public ou en privé, si on autorise les commentaires, etc.

Il y a des formules plus longues sans doute ?

Oui, il y a une formule stage avec des groupes d’une dizaine de personnes. On travaille sur une thématique et on finit par une création de contenus. L’idée est que les participants deviennent des « ambassadeurs » sous forme de vidéos ou romans-photos.

Est-ce que vous intégrez maintenant l’intelligence artificielle ?

Oui, je commence à le faire, après m’être formé moi-même. Je l’intègre dans la partie « fake news », où il s’agit là encore d’adapter son comportement face à l’information. Lors d’un récent stage, j’ai initié des jeunes à la création de fake news pour ne pas être piégés ensuite. L’IA est encore un peu réservée aux initiés, mais c’est de plus en plus utilisé par des lycéens, surtout pour qu’elle fasse les devoirs leur place, et là, je mets en garde contre ce contournement qui est un mauvais usage d’un outil.

Vous intervenez aussi sur le harcèlement ?

Il faut veiller à distinguer le harcèlement et le cyberharcèlement. Je donne des informations, sachant que je m’adresse dans mes interventions tout aussi bien à des harceleurs qu’à des harcelés, et aux témoins. J’essaie de créer une atmosphère détendue pour pouvoir débattre. J’utilise pour cela des jeux que j’ai créés sur ces thématiques – qu’on peut retrouver sur une box disponible sur mon site, et qu’on peut utiliser ensuite après mon passage. J’ai testé ces jeux sur des milliers d’élèves et ils me paraissent efficaces. J’aborde aussi les aspects juridiques, je me dois d’informer des risques, même si mon souci est d’abord de le prévenir ces comportements.

Et votre troisième thématique, ce sont les addictions.

Ça me parait aussi très important. Il faut bien définir le mot d’abord, et je donne des informations générales sur le rôle de la dopamine, sur le fonctionnement du cerveau. Je pars souvent de mon expérience personnelle : j’ai été addict aux réseaux sociaux, avec des impacts sur ma santé, ma créativité, les relations sociales. Ensuite, on en vient au vif du sujet : l’addiction aux écrans, réseaux et jeux vidéo. On essaie surtout de trouver des solutions qu’on peut ensuite tester chez soi : des moments sans écran, des petits « contrats » avec ses parents, etc. Je donne une dizaine d’astuces concrètes qui peuvent être mises en œuvre facilement.

Finalement quel regard portez-vous sur l’évolution du comportement des jeunes sur ces sujets ?

J’aimerais être positif, mais la situation est grave. Je ne le montre pas aux jeunes, mais je suis très inquiet, la consommation est extrême. Trop de jeunes, dans une période de construction et de développement cognitif, deviennent dépendants des écrans, du smartphone, et sont désemparés si on le leur enlève. C’est à nous de susciter des alternatives. On peut toujours confisquer le téléphone, mais qu’est-ce qu’on offre à la place ? Nous, on a grandi sans, avec d’autres activités de loisirs, de sport, mais beaucoup d’entre eux ne conçoivent pas un monde sans les écrans.

Comment agissez-vous avec les parents ?

Je viens de sortir un guide parental, adapté aussi à des professionnels, sur les moyens de combattre les addictions et le harcèlement. C’est un outil que j’ai expérimenté avant (et qu’on peut aussi se procurer sur mon site). Cependant, il y a des situations où c’est très difficile pour des parents d’appliquer ces conseils ; je pense à ces familles monoparentales, avec des enfants seuls à la maison à cause d’horaires hachés, etc.

Comment pouvez-vous mesurer les effets de vos interventions ?

Des enseignants me disent souvent que les séances étaient aux yeux des élèves « intéressantes et cool ». C’est déjà un premier retour positif. C’est déjà une réussite de savoir que je ne les ai pas ennuyés sur un sujet grave. Je précise toujours qu’il ne faut pas présenter mes interventions de façon « dramatisante », mais plutôt comme une rencontre avec un professionnel du multimédia. Une fois qu’on a un peu attiré l’attention, on peut mener de vrais échanges. Des parents me disent qu’un dialogue a pu s’instaurer à la maison alors qu’il était bloqué. J’ai eu aussi des retours de responsables de programmes de réussite éducative qui signalent des modifications de comportement chez les jeunes.

J’interviens parfois dans des établissements, où on m’appelle parce qu’il y a des situations d’urgence. Ce qui me surprend toujours, c’est le jeune âge de ceux qui tiennent des propos violents, menaçants ou font circuler des images dégradantes. Je crois qu’on apprécie ma manière d’aborder les choses avec les jeunes, alors que, parfois, ils entendent des discours qui les ennuient et qui n’ont pas vraiment d’impact. Quelqu’un qui lit une feuille derrière un pupitre ne peut être productif.

Vous intervenez aussi auprès de professionnels de l’éducation ?

Oui. Des enseignants, des psychologues, des infirmières… Sans oublier les parents qui ont de fortes demandes. J’essaie à la fois de sensibiliser et de rassurer, en faisant preuve d’humilité, car personne n’a de solution miracle.

J’aimerais former d’autres personnes, mais ce n’est pas facile. Je réfléchis cependant à créer une plateforme avec des possibilités d’échanges, puisque je ne peux pas forcément répondre à toutes les sollicitations. Je réfléchis encore pour savoir à qui je vais m’adresser : des ados ou des professionnels. Car on ne peut pas mélanger les deux.

Dernière question : peut-on malgré toutes les dérives que vous avez évoquées, rester optimistes ?

Je reste très optimiste. Après mes interventions, bien des enfants s’interrogent, se rendent compte qu’ils ont été trop loin. Je voudrais qu’ils prennent ensuite le relais. Les retours positifs m’encouragent. Tout le monde doit être concerné et doit agir, c’est trop facile de jeter la pierre sur les enfants qui commencent très tôt sur TikTok par exemple. Ni sur les parents comme je l’ai dit précédemment. Je ne dénonce pas des responsables, mais j’essaie plutôt de trouver des solutions avec les jeunes.

Propos recueillis par Jean-Michel Zakhartchouk

Le site de Siceron : https://siceron.fr/.