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Savoir énoncer pour apprendre
En 5e, un TP (travaux pratiques) classique aura pour question « à quelle température l’eau se vaporise-t-elle ? ». Au-delà du fait que ce n’est pas intéressant car tous les élèves connaissent la réponse, toute la partie complexe est implicite. Demandons plutôt aux élèves : « L’œuf à la coque doit cuire trois minutes dans l’eau bouillante. Peut-on accélérer le temps de cuisson ? » Les élèves connaissent tous une réponse : « Il faut forcer le chauffage. » Toute la difficulté sera donc de les amener à se poser la question scientifique : « La température de l’eau change-t-elle lors de la vaporisation ? »
Autre exemple au lycée : le TP classique partant de la question « quelle est la concentration molaire de cette solution ? » contourne la phase d’appropriation. Partons plutôt de la question en langage courant : « À quoi sert cette solution de permanganate de potassium ? », accompagnée de documents expliquant que la propriété antiseptique de cette matière peut être utilisée dans différents cas (aquarium, plaies, etc.) en fonction de la concentration molaire. Un premier travail consistera à faire formuler par les élèves la question du TP classique, ce qui nécessite une appropriation de la situation imposant de passer d’une situation concrète qualitative à une question quantitative.
L’appropriation d’un problème réel passe par un nécessaire changement de langage. En partant du vocabulaire courant, on cherche à introduire les langages scientifiques (des grandeurs physiques : température, concentration), ce qui va permettre de poursuivre la démarche scientifique (observation attendue, protocole, observation, etc.). Par ailleurs, apprendre c’est aussi modifier ses conceptions. C’est la résonance des deux questions formulées en langage courant et en langage scientifique qui va amener les élèves à changer de conception : ce n’est pas la même chose de savoir que l’eau bout à 100 °C et que l’eau pure bouillante ne peut être qu’à 100 °C.
Apprendre des processus de traduction participe au changement de conception. Nombreux sont les adultes qui continuent à forcer le feu sous la casserole de la soupe, alors qu’ils savent que l’eau bout à 100 °C. Mais la connaissance acquise en langage scientifique et sans travail de traduction reste abstraite, déconnectée du réel.
Pour que les élèves apprennent à s’approprier, il est important de leur laisser le temps et l’opportunité de le faire. Une fois la situation didactique concrète présentée aux élèves en langage courant, laissons-les rentrer dans le problème, en les accompagnant. Nous commençons la chimie en 5e par la situation suivante : un glaçon est mis dans un bécher d’eau, un autre dans un bécher d’huile et un troisième dans un bécher rempli d’eau et d’huile. Le glaçon flotte ou pas, selon le bécher. On demande ensuite aux élèves de proposer une hypothèse pour expliquer cela ainsi qu’une expérience pour éprouver leur hypothèse. Sur un tel problème ouvert comme cela, les hypothèses et les stratégies de résolution des élèves sont extrêmement variées. Certains élèves partent de leurs conceptions, erronées ou non. Ils écrivent donc, en langage courant, des hypothèses du type « il y a de l’air dans l’eau et pas dans l’huile » ou « l’huile est plus légère que l’eau ». Dans une démarche d’accompagnement, le professeur va aider les élèves à les formaliser en langage scientifique : « Il y a du dioxygène dissout dans l’eau » et « la masse de l’huile est plus faible que la masse de l’eau. » C’est à ce moment qu’un élève de l’équipe va remplir une fiche d’apprentissage. Il s’agit d’une fiche recensant les mots de vocabulaire nouveaux appris (« masse », « volume », « dissout dans ») ainsi que les savoir-faire abordés (mesurer une masse, chauffer de l’eau pour éliminer les gaz dissous).
D’autres élèves ont une démarche assez différente, ils vont tout simplement aller sur internet et inscrire dans leur moteur de recherche « pourquoi un glaçon flotte-t-il dans l’eau ? » et écriront une hypothèse en langage scientifique : « Le glaçon flotte, car sa densité est plus faible que celle de l’eau. » À nous de les interroger sur le sens du mot densité. C’est en leur apprenant à ne pas inscrire un mot sans connaitre la définition exacte qu’ils acquerront cette fameuse rigueur scientifique si difficile à enseigner.
Si la phase d’appropriation nous semble si importante, c’est que cela permet d’ancrer l’apprentissage des concepts dans le réel et ainsi de les rendre applicables à d’autres situations. Classiquement, le transfert est demandé de façon implicite à partir de l’apprentissage du cours. Or, un cours est une présentation des notions via la logique d’un expert souvent peu accessible à un apprenant découvrant les concepts. L’apprentissage d’un cours classique par l’élève se limite souvent à la mémorisation globale, sans qu’il soit conscient des détails qui permettent l’application, à savoir la formalisation d’un concept dans les différents langages d’un physicien. Pour aider l’élève dans ce travail de traduction, un mot (par exemple « densité ») apparu dans une ressource internet va être inscrit par l’élève dans une fiche de vocabulaire contenant un schéma (pourquoi pas celui du TP du jour) afin de visualiser le mot, une relation mathématique ou le formalisme chimique appliqué à la situation décrite par le schéma, et une définition en français. Cette fiche servira de base à l’apprentissage, en remplacement d’un cours classique. Il sera travaillé en équipe et validé par le professeur.
Ce travail nous interroge également sur le rôle de l’information contenue dans un document. La fiche de vocabulaire permet de traiter une information provenant d’une ressource pas forcément contrôlée par l’enseignant (typiquement une définition sur internet), grâce à la traduction sur différents langages obligeant l’application à une situation concrète, à savoir schéma, maths ou symbolique chimique. On passe de l’information au savoir.
Un enseignement organisé en cours-exercice type, conduit à un apprentissage qui consiste à savoir répéter des situations déjà vues. Il ne permet pas d’aborder une situation nouvelle, abordée de façon complexe en évaluation.
L’évolution des évaluations certificatives comme le bac est frappante. Si on regarde le sujet du bac physique des centres étrangers 2015, on sort clairement de l’évaluation classique autour de savoir-faire simple, du minimum attendu. Les sujets intègrent volontiers des questions complexes et des documents sur des concepts non travaillés au cours de l’année. Le travail d’appropriation développé pour l’apprentissage va alors être transférable à la résolution d’exercices, y compris en évaluations.
Cette fiche est remplie au fur et à mesure du TP par les élèves. Une partie peut être remplie en amont par le professeur, notamment en début d’année. Outil indispensable de métacognition, elle permet de faire prendre conscience aux élèves des nouveaux concepts appris.