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« Les groupes de niveau ne profitent pas aux élèves »

Couverture du n° 599 : « Hétérogénéité : oui, mais comment ? »

Alors que la réforme du « choc des savoirs » a mis en place à la rentrée 2024 les groupes de niveau ou de besoin, le dossier « Hétérogénéité : oui, mais comment ? » des Cahiers pédagogiques n°599 explore des alternatives pédagogiques pour faire de l’hétérogénéité un levier d’apprentissage. À travers des éclairages de chercheurs et des pratiques de terrain, il montre que maintenir les élèves ensemble, en s’appuyant sur la coopération et le développement des compétences psychosociales, peut favoriser la réussite de tous. Interview du coordinateur et des coordinatrices de ce dossier, Andreea Capitanescu Benetti, Sylvain Connac et Hélène Limat.
Un dossier qui présente des alternatives aux groupes de niveau, n’est-ce pas dépassé aujourd’hui ?

Pas du tout ! C’est bien la réforme du « choc des savoirs » qui nous a amenés à faire ce dossier. Même si les groupes de niveaux imposés par l’institution seront sans doute amenés à disparaitre, la problématique de l’hétérogénéité reste centrale dans les préoccupations des enseignants. Nous avions à cœur de mettre en avant ce que l’on peut faire autrement, malgré les injonctions de la réforme.

Même si nous développons collectivement une conscience plus grande à propos de la responsabilité sociale de l’inclusion et de l’intégration de tous – également dans le monde scolaire – nous voyons bien aussi que la tendance est de séparer les élèves. La séparation, le tri, la fabrication de toutes sortes de dispositifs différenciateurs pour prendre en charge des difficultés que ces enfants peuvent rencontrer dans leur vie sont les premiers réflexes tant des interventions pédagogiques qu’institutionnelles.

Les travaux de recherche sur les inégalités sociales et scolaires évoqués dans ce dossier montrent pourtant que la sélection précoce et le tri à outrance créent des environnements sans espoir : par ces processus de ghettoïsation, les élèves et leurs familles se sentent relégués ou abandonnés à leur sort. Si on peut affirmer que l’école ne peut pas tout, cela ne veut pas dire qu’elle ne peut rien, comme dirait Patrick Rayou, professeur émérite en sciences de l’éducation.

La machine-école peut être une gare de triage. On peut se demander si l’école est encore le creuset de la démocratie, de la construction d’un commun possible grâce aux savoirs, en ayant encore la prétention de donner des chances de réussite à tout le monde. Nous avons donc voulu ce dossier résolument constructif pour mettre en perspective ce que dit la recherche sur les limites et les dangers du regroupement par niveaux et les pratiques alternatives existantes et étudiées.

L’hétérogénéité d’un groupe ou d’une classe garantit-elle que tous les élèves vont réussir ?

Il ne suffit pas de mettre les élèves ensemble pour que ça marche. Les interventions des enseignants, les dispositifs finement pensés de suivi des élèves, du travail de coopération, de collaboration, d’entraide, les étayages pédagogiques et didactiques, le soutien des uns et des autres sont des moteurs pour tenir et faire advenir dans la classe un environnement dans lequel tout élève peut apprendre. Cette prise en charge de l’hétérogénéité est également nécessaire pour emmener les élèves au plus loin dans leurs potentialités.

Beaucoup d’enseignants voient l’hétérogénéité comme un frein ou une difficulté réelle, tant les écarts se creusent. Les groupes de niveau ont quelque chose de rassurant, de plus confortable – pour certains parents aussi. Mais tout converge vers le constat que ça ne profite pas aux élèves. Or, c’est quand même eux qui nous intéressent ! C’est indéniablement une richesse de créer des groupes avec des élèves aux profils différents. On le voit bien dans la préoccupation des équipes lors de la constitution des classes.

C’est une question centrale aussi dans d’autres pays. Mais il ne suffit pas de le faire pour que cela fonctionne. Pour faire de cette diversité un levier, des pratiques adaptées et réfléchies sont nécessaires : les articles proposés dans le dossier apportent des exemples précis. Nous espérons qu’ils pourront inspirer nos lectrices et lecteurs.

Est-ce que le dossier porte uniquement sur le collège ?

La réforme du « choc des savoirs » a concerné le collège et, de fait, les articles de la partie « En classe » montrent des pratiques en collège – moment sensible de la scolarité et de l’adolescence. C’est aussi en ces moments de la scolarité que les chemins des uns et des autres se diversifient, par des sections, des filières, et parfois même en rupture avec l’école obligatoire. Mais, dès l’école primaire, de nombreux moyens de différenciation sont mis en place avec de multiples dispositifs pour intégrer les élèves.

Dans le dossier, on découvre que cette préoccupation de garder ensemble les élèves et de ne pas se résigner à la séparation touche d’autres systèmes éducatifs que le nôtre. Les réponses ne sont pas forcément faciles ou immédiates. Les acteurs à des niveaux différents – des politiques aux enseignants – ont plus ou moins de marge de manœuvre pour développer des nouvelles ingénieries de formation avec les élèves, plus intégratives ou inclusives. Le dossier permet de situer le curseur des pratiques scolaires favorisant des fonctionnements avec une hétérogénéité des élèves, au niveau de la classe et de l’établissement scolaire.

Ainsi, toutes celles et ceux qui sont intéressés par la question de la prise en compte de la diversité des élèves pourront s’y retrouver. Le dossier comporte des témoignages à l’étranger et des exemples de pratiques inspirantes et qui sont tout à fait transférables au primaire ou au lycée.

Qu’avez-vous appris, ou qu’est-ce qui vous a surpris, en préparant ce dossier ?

Du côté des articles des chercheurs, il n’y a pas eu de surprise, mais c’est très profitable de sortir des opinions empiriques exprimées en salle des profs et de prendre un peu de hauteur pour étayer le fait que les groupes de niveaux ne profitent pas aux élèves. Le fait que la question de l’hétérogénéité soit aussi centrale à l’étranger est également étonnant.

Et c’était très stimulant de voir tout ce qui se fait sur le terrain, comment les collègues s’emparent des différences afin d’en faire une richesse pour enseigner et pour apprendre. Les articles témoignent d’une recherche vive et permanente de solutions afin de maintenir les élèves ensemble, de vivre l’altérité et ne pas se trouver uniquement entre soi. Ça donne envie d’être créatifs, de sortir de ses habitudes pour permettre aux élèves d’apprendre seuls et avec les autres.

Ce dossier se veut donc résolument optimiste et permettra, nous l’espérons, de lever des craintes ou des réticences pour renforcer l’idée de la richesse des différences en classe.

Propos recueillis par Cécile Blanchard

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