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Des filles et des maths

Le plan « filles et maths » annoncé le 7 mai 2025 par la ministre de l’Éducation vise à lutter contre le décrochage des filles en mathématiques dès le primaire et à encourager leur présence dans les filières scientifiques. Si l’idée semble louable, elle n’est pas neuve… Une réflexion critique sur un dispositif aux ambitions clairement affichées mais dont les effets sont loin d’être garantis.

Je découvre en écoutant la ministre de l’Éducation, Mme Borne, le plan « filles et maths » et la création future de classes à horaires aménagés sciences, sur le modèle des classes à horaires aménagés musique. La ministre argumente son annonce en disant que les filles « décrochent en maths » dès le CP – décrochage qui s’intensifie ensuite –, que les filles choisissent globalement des métiers moins rémunérateurs et qu’il manque de nombreux ingénieurs en France.

Chouette, la ministre met les pieds dans le plat de l’égalité ! Mais la compilation de cet argumentaire m’interroge. Le plan maths (suite au rapport de Cédric Villani et Charles Torossian) n’avait-il pas déjà vocation à régler cette problématique de la valorisation des mathématiques et du « décrochage des filles » dès l’école élémentaire ? La labellisation égalité fille-garçon (comme projet normatif) des établissements scolaires n’avait-il pas cette vocation ?

Le plan « filles et maths » en est-il une continuité ou un énième dispositif de saupoudrage qui ne concernera que certains milieux, certains établissements ? Nous savons que les classes à horaires aménagés (qui sont annoncées par la ministre) ne sont généralement déployées que dans certains secteurs, auprès de certains milieux et qu’elles apportent du plus à ceux qui ont déjà plus.

Des freins inconscients à l’égalité

Ensuite, en effet, toutes les études montrent (et depuis longtemps), les filles se dirigent moins que les garçons vers les filières dites scientifiques en post-bac (exception faite des filières du soin, comme la première année commune aux études de santé – Paces). La recherche sociologique s’en fait régulièrement l’écho. Et nombre de représentations, imaginaires, discours, dispositions sont mis en œuvre pour les en dissuader : la coprésence des sexes dans les classes ne suffit pas, la mixité socioéconomique, ethnoraciale (toute relative en France) non plus. Nous sommes tous porteurs de normes et de représentations qui agissent comme des freins inconscients à l’égalité réelle entre filles et garçons, entre femmes et hommes.

Alors, faire reposer sur « les filles » leur choix d’orientation ajoute à mon avis aux représentations sexistes, alors que nombre d’études montrent, comme l’écrit Sigolène Couchot-Schiex1, que « les représentations genrées pèsent sur les choix d’orientation » non seulement des filles elles-mêmes, mais de toute la société, y compris les enseignants et l’institution École.

Des discours décourageants

Qui n’a jamais entendu un parent ou un enseignant dire « C’est pas une filière facile, tu sais ! », « C’est très masculin comme milieu ! », « Va falloir t’imposer face à tous ces mecs ! », « C’est macho comme milieu, elle ferait mieux d’aller vers… », « Oui, mais elle va se retrouver au milieu des garçons… », « à l’internat, il n’y a pas beaucoup de filles » ?

Les images et discours que la société leur renvoie de ces univers masculins peu enclins à accueillir respectueusement les femmes ne les aident pas à se projeter dans ces domaines scientifiques, numériques ou d’ingénierie. Sans parler de ce que j’ai déjà entendu dans mon collège, suite à l’annonce de ces classes à horaires aménagés en sciences : « 50 % de filles, mais on va les trouver où ? » Bah, dans le collège, coco ! Dans le collège ! On va pas aller les chercher ailleurs !

Une formation généralisée

Mais à cela, Mme la ministre répond par la formation et la sensibilisation des enseignants (pilier 1 du plan). Chouette ! Enfin une formation généralisée à tous les enseignants et toutes les enseignantes de tous les niveaux. Deux heures de sensibilisation pour tous dès la rentrée, avant le 15 septembre. Bonne idée ! Ensuite ce ne seront que les profs de maths qui seront formés. Dommage ! Le sujet méritait mieux. Mais…

Mais je découvre aussi que je vais devoir me transformer en formatrice, puisque la formation « sera animée par le directeur d’école, le chef d’établissement ou le référent égalité filles-garçons, qui auront bénéficié eux-mêmes d’une formation dispensée par le ministère ». Ouf, me voilà rassurée ! Je vais être formée à sensibiliser mes équipes pédagogiques.

Quand, où, comment, je le saurai bientôt, d’ici à la fin du mois. Bon, ce n’est pas comme si la fin de l’année scolaire était une période plus qu’intense pour les personnels de direction, entre bilan de fin d’année, organisation des examens, finalisation de la DGH, orientation des élèves, préparation de la rentrée, constitution des équipes, recherche de professeurs principaux, conseil d’enseignement, conseil d’administration, élaboration des emplois du temps, etc.

Des statistiques locales

Et puis ce n’est pas comme si le contenu de cette sensibilisation ne me questionnait : il va falloir « promouvoir les méthodes pédagogiques les plus favorables à la réussite des filles en mathématiques ». Ouh là ! Ils vont encore chercher à nous vendre la méthode d’enseignement explicite, soi-disant super efficace, mais qui résume l’apprentissage à une méthode du faire et non un apprendre à apprendre ?

Mais là, je m’emballe sans doute un peu, parce que mon rôle de personnel de direction n’est pas celui d’un inspecteur pédagogique, donc je n’ai pas à vendre une méthode plus qu’une autre. Par contre, appuyer la sensibilisation sur les indicateurs statistiques propres à mon établissement, ça oui, c’est intéressant.

Bon, il ne faudra quand même pas que cela reste une liste d’indicateurs présentés aux équipes, parce que je sens bien que ça ne suffira pas à les faire bouger. C’est complexe, de prendre conscience de quelle représentation on est porteur et de ce qu’on véhicule, et ensuite de pouvoir modifier ses pratiques et gestes professionnels. Pas si simple ! Mais la ministre met le sujet sur la table, et ça, ça me plait !

Bouche-trous

Par contre, une fois encore la façon dont la chose est présentée me questionne : on va chercher les filles parce qu’il manque des ingénieurs en France. Pas parce qu’elles le valent bien, mais parce qu’il n’y a pas assez de mecs ingénieurs ; les filles bouchent les trous… Bof, bof !

C’est comme durant les guerres passées où on a autorisé les femmes à travailler dans différents domaines parce que les hommes étaient à la guerre et qu’il fallait bien faire tourner les usines. Ou encore dans les années 1950, où l’on manquait de main-d’œuvre, où les femmes ont pu devenir secrétaires (alors que ce métier était réservé aux hommes avant la guerre), où la massification a ouvert les portes du professorat aux femmes (ce qui a dévalorisé le métier, dixit les travaux de sociologie).

Quant au niveau de rémunération : devenez ingénieure, vous gagnerez plus ! Plus que quoi ? Plus que qui ? Qu’un homme ingénieur, qu’une femme de ménage, qu’une vendeuse, une coiffeuse, une secrétaire, une sage-femme, une bibliothécaire, une directrice de publication, une comptable ?

Garçons et lettres

Et, dans tout ça, où sont les garçons ? Pourquoi promouvoir les filles et les maths mais pas les garçons et le français, les lettres ? Serait-ce dévalorisant ? Parce que si les études montrent que les filles décrochent en maths rapidement dans leur carrière scolaire, elles montrent aussi que les garçons, eux, décrochent en français. Un « plan garçons et français » ou « garçons et lettres » ne serait-il pas aussi utile pour promouvoir l’égalité ?

Et puis les inciter à devenir aussi infirmier, secrétaire, bibliothécaire, professeur des écoles, professeur de lettres, maïeuticien, aide-soignant, AESH (accompagnant des élèves en situation de handicap), aide à domicile, coiffeur, assistant social, bref, les métiers de la santé, du social, du secrétariat et de la beauté, ces métiers où il manque aussi de la main d’œuvre. Ne serait-ce pas là promouvoir l’égalité ?

Sophie Déville
Principale adjointe

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Notes
  1. Sigolène Couchot-Schiex, « Mixité, genre, égalité : une quadrature ? », dans « École : de quelle(s) mixité(s) parle-t-on ? », Carnets rouges n° 34, mars 2025, p. 24-25.