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Marchands de tapis

L’Éducation nationale, ce sont des sigles incompréhensibles pour les non-initiés. Mais on peut aussi être initié et ne pas saisir tout ce qu’il se passe et se dit dans une réunion. Témoignage d’une ancienne professeure des écoles devenue principale adjointe stagiaire qui participe à sa première réunion sur la dotation horaire globale et nous fait partager sa perplexité et ses incompréhensions.

Je rentre d’une réunion de conseil pédagogique sur la DHG (dotation horaire globale). Incroyable !

Bon, il faut d’abord que je vous donne le contexte. Je viens du premier degré. À l’école primaire, on ne te demande pas si tu veux des heures supp’, ou si tu veux travailler tel ou tel jour, on te demande juste d’être présent du matin au soir pour ta classe et tes élèves, sans trop savoir d’ailleurs jusqu’à quelle heure c’est, « le soir ».

Mais dans le second degré, ce n’est pas ça. Dans le second degré tout se discute et se négocie. Enfin, pas tout, les profs ont une obligation règlementaire de service, c’est-à-dire faire classe devant élèves, de dix-huit heures par semaine (s’ils sont certifiés) et quinze heures (s’ils sont agrégés), sauf en EPS (éducation physique et sportive) où là c’est un service d’enseignement de vingt heures hebdomadaires, incluant trois heures pour l’association sportive, donc dix-sept heures de cours-classe.

Changement de planète

Donc je disais, je viens du premier degré, et je suis devenue, à la rentrée, principale adjointe stagiaire. Et là je découvre un monde ! Un monde… Comment dire ? À se demander si nous vivons sur la même planète, à se demander si nous faisons le même métier, à se demander si nous travaillons pour le même ministère, entre le premier et le second degrés.

Et ce soir, je découvre les tractations DHG. La dotation horaire globale est faite d’heures postes et d’heures supplémentaires annuelles. Sauf que si le total tombe juste globalement, ça ne le fait plus quand on y regarde de plus près.

Par exemple, avec 4 h 30 de français en 6e, 5e et 4e et trois heures en 3e, vingt-deux divisions et sept professeurs dont un en lettres classiques… Eh bien, il manque du monde. Faut-il donner des heures supplémentaires à tout le monde ? Est-ce possible ? Ou chercher à avoir un prof en plus, un BMP (bloc de moyen provisoire) pour l’année pour un remplaçant ou un contractuel, voir un poste pour un stagiaire ? Et quand on multiplie ça par neuf ou dix disciplines, c’est… Eh bien, c’est un sacré bazar !

Sacré bazar

Un bazar parce que, non seulement, il y a ce que souhaiteraient les profs – heure supplémentaire ou pas (on peut leur en imposer jusqu’à deux, mais, à quelle condition ? Et ils peuvent aussi en demander davantage, jusqu’à quelle limite raisonnable ?) – mais aussi ce qui serait bon pour les élèves : AP (aide personnalisée) qui « mangent » des heures postes puisqu’il s’agit de créer des demis groupes classes, natation en 6e avec un 0,51 qui permet là aussi de faire des groupes, le projet théâtre en 3e qui prend des heures, etc. Sans parler des fameux « groupes de besoin » qui, selon ce qui est versé dans la DHG et ce qui serait le mieux à mettre en place pour le confort des profs et les besoins des élèves, peut aussi « manger » des heures : 5 classes-6 groupes ou 3 + 2 classes et 2 groupes2 ?

Ceci n’est qu’un petit aperçu de ce que je viens de vivre en réunion. Franchement, je n’ai pas tout compris. Mais c’est un marchandage très intéressant à observer où chacun défend son os et où parfois on y perd l’élève.

On y voit des tensions s’ériger entre disciplines : « C’est bien gentil les groupes de besoins en 6e-5e mais nous en sciences on ne peut plus faire d’AP et donc on réduit les manipulations et expériences et on avance moins vite le programme. » « Les projets sur les groupes de besoins c’est bien, mais quand ils sortent et que les collègues ne prennent qu’une partie de la classe, nous on se retrouve à faire quoi ? Les bouche-trous avec juste une partie de la classe ? » « Avec cette DHG, on se retrouve à couper l’EMC (enseignement moral et civique) du bloc histoire-géographie, et les classes ont deux profs ! » « C’est pareil en anglais où l’AP est fait par un autre enseignant. » « D’un côté on a des classes à vingt-huit, trente élèves, et de l’autre des groupes toute l’année à dix-huit, vingt élèves… » « Soit on donne la priorité aux sciences, soit à l’éducatif : AP sciences ou formation au PSC1 pour tous les 3e et RRE (relai pour la réussite des élèves) pour les élèves en risque de décrochage ? » « Sans toucher au BMP, on prend l’AP en 3e. Et si besoin, je vous redonne la demi-heure mais ce sera avec heure supp’, mais dans ce cas on touche au BMP3. »

Et l’humain dans tout ça ?

Pour cette dernière phrase, je n’ai pas tout compris de la négociation, mais ce qui me semble évident, c’est que la DHG est un tableau comptable qui ne donne rien à voir de l’humain, des renoncements, des compromis, des conflits, frustrations et marchandages, pour le bien des apprentissages et le bienêtre de tous ?

Et ce n’est que le début parce qu’après le marchandage (qui à cet instant n’est pas fini), il faut mettre tout ça au clair avant la date butoir.

Puis, il faudra encore mettre les noms des profs en face des classes, sachant que certains enseignants ne sont pas encore nommés, que certains postes fractionnés entre plusieurs établissements ne sont pas encore connus, qu’il y aura des temps partiels, il faudra trouver les coordonnateurs de discipline, négocier qui a des IMP (indemnités pour mission particulière) entières ou des bouts d’IMP à 0,5 voire à 0,25, qui veut bien prendre un ou plusieurs pactes « devoirs faits » et pactes « RCD » (remplacement de court durée), et ‒ le Graal ! ‒ qui veut être professeur principal. Parce que ça aussi, c’est de la négociation !

Faire un pacte

Une de mes découvertes de l’année, c’est le pacte « devoirs faits ». En 6e, « devoirs faits » est obligatoire. Obligatoire pour les élèves, mais pas pour les professeurs de collège. Donc on se retrouve à devoir trouver les perles rares, ceux qui veulent bien se dévouer. Et entre ceux qui sont syndicalement contre le pacte, ceux qui ne veulent pas d’heures supplémentaires, ceux qui n’ont pas de 6e et ne voient pas l’intérêt de les prendre en charge en classe entière pour « faire des devoirs », ceux qui attendent que « devoirs faits » 6e soit pris pour se proposer pour les autres classes (qui auront moins d’élèves vu que ce n’est pas obligatoire mais sur inscription par les parents), etc.

Là aussi le métier de personnel de direction se trouve être plus proche du commercial négociateur qui tente de dealer diplomatiquement des heures contre rémunération que d’un grand visionnaire de l’éducation et de la pédagogie.

Et pour finir, si tant est que ce soit la fin, il y aura les emplois du temps à faire avec les « si possible, j’aimerais ne pas travailler les lundi matin, les mercredis, les vendredis après-midi, ne pas avoir plus de trois jours de travail dans la semaine, ne pas avoir de 5e, mais une 3e comme d’habitude, et surtout vous penserez à me mettre dans ma salle 318 en évitant d’y mettre quelqu’un d’autre parce que, quand même, quand faut partager les lieux c’est pas pratique ! ». Mais je n’en suis pas encore là, nous ne sommes qu’en janvier…

Sophie Déville
Principale adjointe stagiaire

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Ma première rentrée de perdir, par Amélie Canton-Kowalski$

Le temps de devenir personnel de direction, par Émilie Trigo


Sur notre librairie

Couverture du Petit Cahier n° 23 : « Devenir personnel de direction »

Couverture du Petit Cahier n° 27 : Comment ne pas faire ds groupes de niveau


Notes
  1. Si j’ai bien compris, c’est une demi-heure poste.
  2. Avec cinq classes, faire six groupes, ou répartir ces cinq classes en d’un côté trois classes et quatre groupes et de l’autre deux classes et trois groupes.
  3. Ces propos sont un condensé de remarques et demandes faites en plusieurs tours de table.