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Le bienêtre à l’école, un enjeu de société

22 % des élèves de 15 ans déclarent avoir subi au moins une forme de violence au moins une fois par mois selon l’enquête Pisa 2022. Le bienêtre à l’école est avant tout un problème d’ordre systémique et sa prise en compte doit donc impliquer l’ensemble des acteurs de la communauté éducative. Le Cnesco est revenu récemment lors d’une conférence de presse sur la question du bienêtre à l’école des élèves et des personnels.

Après un rapport scientifique en 2017 sur la qualité de vie des élèves, le Cnesco (Centre national d’étude des systèmes scolaires) a poursuivi son travail sur les enjeux du bienêtre à l’école, des politiques et des dispositifs qui peuvent y contribuer, en consacrant à ces questions une conférence de comparaisons internationales (CCI) en novembre 2023, en partenariat avec France Éducation international

Agnès Florin, responsable du Cnesco, et Éric Dugas, professeur des universités en sciences de l’éducation et de la formation à l’Inspé de Bordeaux, qui présidait la conférence en question, ont présenté le 13 mars, lors d’une conférence de presse, le bilan et les préconisations phares de cette CCI. Ces résultats sont le fruit des travaux des experts internationaux sollicités pour la conférence et des réflexions menées par des acteurs français de l’éducation lors d’ateliers participatifs.

Une démarche globale, systémique et singulière

L’accent principal de cette conférence a été mis sur la nécessité de penser le bienêtre à l’école de manière globale et systémique, dans une dynamique transformationnelle incluant tous les acteurs de la communauté éducative et prenant en compte le contexte environnemental propre à chaque établissement, à chaque territoire.

On parlera, en particulier, d’une école ouverte offrant à chacun une vraie place (personnels enseignants, éducatifs et médicaux, élèves, parents, associations), d’une école vue comme un lieu social de rencontres variées, d’intelligence collective et d’implication de tous les acteurs à travers des processus consultatifs et participatifs, d’autonomie d’animation, de sentiment d’appartenance, d’adaptation des espaces et des temporalités pour tenir compte au mieux des besoins de tous, pour mieux vivre et mieux apprendre.

Si la démarche peut paraitre ambitieuse ou idéaliste, des exemples de projets innovants sont proposés dans le rapport où l’on constate que la conjugaison de gestes nouveaux, même modestes, peut contribuer à la transformation du climat scolaire pour peu que le projet soit porté par une intention partagée, impulsé et soutenu par une direction motivée et à l’écoute. L’évolution sera acceptée sur un temps long, laissant à chacun la possibilité d’évaluer les bénéfices des petits pas parcourus et d’y prendre part à son rythme et à sa manière.

Qu’entend-on par bienêtre à l’école ?

Le bienêtre est une préoccupation de nature subjective, émotionnelle et culturelle qui traverse nos vies contemporaines depuis des décennies. Il a à voir, selon les auteurs, avec le bonheur, l’épanouissement de soi, la satisfaction de besoins fondamentaux.

L’OMS (Organisation mondiale de la santé) a établi en 1993 un lien avec la santé qu’elle définit comme « un état de complet bienêtre physique, mental et social… ». La définition de l’OMS est particulièrement intéressante, car elle intègre des facteurs de protection et des ressources à disposition. Or, l’école est une instance de protection en organisant du commun entre les enfants.

Le Cnesco rappelle qu’il n’existe pas de modèle théorique validé susceptible de rendre compte de la qualité de vie en milieu scolaire dans ses aspects objectifs et subjectifs. Néanmoins, Anne Konu et Matti Rimpelä ont proposé un modèle sociologique du bien-être appliqué à l’école. Le bien-être est défini comme un état dans lequel l’individu peut satisfaire trois besoins de base : les conditions scolaires (having), les relations sociales (loving) et l’accomplissement personnel (being).

Ce modèle, large et sociologique, embrasse et organise les différentes composantes du bienêtre à l’école. Il donne des indicateurs qui permettent de l’évaluer.

Quels sont les enjeux du bienêtre à l’école ?

L’école est le lieu où la personne (l’élève, l’enfant, le jeune) se construit à travers les expériences et les rencontres vécues avec ses pairs et avec les adultes de référence que sont les professionnels. L’école organise du « commun », elle vise à développer des compétences qui permettront de répondre aux exigences de la vie en société et d’en saisir les opportunités. C’est également un milieu de vie essentiel pour la prévention en matière de santé, une instance de protection, notamment pour les plus vulnérables.

La recherche, en particulier en neurosciences, met en évidence une corrélation forte entre les composantes du bienêtre – les émotions agréables, la confiance en soi, des relations positives, etc. – et l’engagement des jeunes dans les apprentissages.

Il est également établi que des relations enseignants-élèves positives et constructives peuvent favoriser le bienêtre social et affectif des élèves. Quant à la qualité de vie des enseignants, elle est très liée à leur sentiment d’efficacité et donc à la réussite et à l’épanouissement des élèves.

C’est pourquoi plusieurs systèmes scolaires étrangers ont progressivement pris en compte des objectifs plus larges que les résultats scolaires, en intégrant cet épanouissement personnel afin d’aider l’élève à se réaliser scolairement et plus tard dans sa vie, et à devenir un citoyen accompli.

Un diagnostic encore mitigé pour la France

Il ressort de l’enquête du Cnesco que, si en France élèves et personnels déclarent globalement se sentir bien dans leur école ou leur établissement, quand les questions se font plus précises, les difficultés ressenties et vécues apparaissent :
• Un climat scolaire peu favorable à l’enseignement, à l’engagement des élèves et aux apprentissages (perturbations).
• Un faible sentiment de satisfaction professionnel chez les enseignants (rémunération, charge de travail).
• Des situations de violence dans ou autour de l’établissement (dont le harcèlement et le cyberharcèlement), un sentiment d’insécurité pouvant conduire à l’absentéisme.
• Des relations entre élèves et élèves-enseignants de qualité inégale selon les établissements.
• Un manque de soutien (enseignants, parents) ressenti par les élèves ; la peur de l’échec, le manque de confiance en soi.
• Des difficultés des personnels de direction à accompagner la mise en œuvre des nouvelles politiques éducatives.

Au niveau international, les enquêtes PISA 2018 et 2022, Climat scolaire et victimation 2018, 2021 et 2022, DEPP, et Talis 2018 fournissent des diagnostics montrant une position de la France souvent en défaut par rapport aux résultats de certains pays analysés (une cinquantaine) sur ces thèmes.

Il y est mis en relief que la violence, sous toutes ses formes, impacte plus fortement les filles, les milieux socioéconomiques défavorisés, les REP+, les zones rurales, les filières professionnelles.

On constate également que les violences scolaires et le sentiment d’insécurité fortement déclarés par les élèves se répercutent sur leur assiduité scolaire, avec une incidence parfois lourde sur leurs parcours d’apprentissage puis sur leurs orientations professionnelles.

Or, ce n’est que depuis 2013 que la France a introduit des dispositions en faveur des élèves et des personnels dans les textes de loi et amélioré les statuts, fonctions et missions de certains personnels. Et bien qu’à chaque rentrée de nouvelles directives apparaissent en la matière (sur le harcèlement scolaire en particulier), PISA souligne une accentuation de la violence scolaire entre 2018 et 2022 dans le système français.

Certains pays (par exemple la Finlande, la Corée, Singapour) se sont saisis de la thématique du bienêtre à l’école depuis des décennies et ont élaboré des modèles qui font aujourd’hui références en matière de prévention de la violence et de développement d’un sentiment d’appartenance, deux facteurs clés pour que les élèves se sentent bien à l’école et s’y engagent de manière autonome et responsable.

Les programmes d’accompagnement des professionnels dans la lutte contre le harcèlement (pHARe par exemple) et de formation des élèves à l’empathie récemment mis en place en France reflètent la prise de conscience de la nécessité d’une action globale et coordonnée pour agir positivement sur le climat scolaire. Le Cnesco a élaboré des préconisations en ce sens.

Préconisations et principes

Sur la base de ce bilan et dans une optique globale et systémique, le Cnesco a élaboré des préconisations pour favoriser le bienêtre dans les écoles et établissements fondées sur quatre grands principes :
• Faire du bienêtre une préoccupation nationale.
• Penser le bienêtre des personnels pour favoriser celui des élèves.
• Envisager les écoles et les établissements scolaires comme des lieux de vie et de rencontre d’une communauté éducative.
• Penser les écoles et les établissements scolaires comme des lieux privilégiés d’actions en faveur du bienêtre des élèves.

Agnès Floorin a, lors de la conférence de presse, présenté une sélection de préconisations particulièrement importantes pour promouvoir le bienêtre des élèves et des personnels. Celles-ci sont centrées autour de cinq axes majeurs :
1. Faire de chaque école et établissement un lieu accueillant pour toute la communauté éducative et reconnaitre le pouvoir des usagers pour réfléchir à l’aménagement d’espaces dédiés et de temps de vie complémentaires des temps d’enseignement en tenant compte de la spécificité des établissements.
2. Améliorer les conditions de travail des personnels en anticipant, dès la conception des politiques scolaires, les conditions de leur bonne mise en œuvre afin que les personnels aient la possibilité de s’approprier les réformes.
En garantissant également à tous les personnels l’accès à une médecine du travail et à des dispositifs de soutien et de prévention. En portant une attention personnalisée et active (mentorat) à l’accueil des nouveaux arrivés.
3. Renforcer les liens entre les acteurs au sein de chaque école et établissement en organisant des évènements afin de développer un sentiment d’appartenance, une identité ou culture d’établissement. Créer les conditions favorables (emplois du temps aménagés, temps communs) au partage de pratiques professionnelles, à la coformation, à la coanimation.
4. Prendre en compte la question du bienêtre dans le pilotage des écoles et établissements : par-delà la réussite scolaire, intégrer des indicateurs de bienêtre dans les IVAC ou IVAL (indicateurs de valeur ajoutée des collèges et lycées) ou en créer spécifiquement, disponibles pour toute la communauté. Se tenir informés des rapports sur la santé mentale et le malêtre des enfants et des jeunes. Intégrer ces sujets dans la formation des enseignants.
5. Mener des actions ciblées en faveur du bienêtre dans les écoles et établissements : Développer les compétences psychosociales des élèves, à la fois au travers des enseignements disciplinaires et de façon transversale. Se saisir de toute situation où se joue le vivre-ensemble pour réfléchir et méta-communiquer, quel que soit le lieu ou le moment. Prévoir des dispositifs permettant de croiser les regards et de réagir rapidement face aux situations de malêtre.

Impliquer l’ensemble de la communauté éducative

S’appuyant sur ce que dit la recherche concernant les éléments favorables au bienêtre à l’école, Éric Dugas a étayé ces préconisations. Il a mis l’accent sur la nécessité d’impliquer tous les acteurs dans un processus d’innovation valorisant leur autonomie.

En effet, former les seuls élèves au mieux vivre ensemble ne peut suffire à enclencher un mouvement vertueux. Les professionnels, et en particulier les enseignants qui interagissent avec les élèves au quotidien, doivent s’engager, s’impliquer pour leur propre bienêtre.

Celui-ci passe par le développement de leurs propres compétences socioémotionnelles qui leur apportera un sentiment d’autoefficacité déterminant pour leur qualité de vie, que ce soit dans la gestion de leurs classes, dans les relations avec les élèves, avec leurs collègues ou avec les parents… Ce sont eux qui seront alors les plus pertinents pour former à leur tour les élèves, en introduisant dans tous les temps et lieux de leurs interactions et enseignements ces compétences pour la vie.

Quant aux chefs d’établissement ou directeurs d’école, s’ils portent la responsabilité d’engager leurs équipes dans cette évolution en fixant un cap et des orientations, ils ont aussi un rôle majeur dans la création d’une atmosphère générale de bienêtre. Ainsi chacun sera incité à aborder le changement avec intérêt, voire avec plaisir. L’intelligence collective, via le partage et la communication directe, en sera le pivot.
L’école deviendra alors un modèle de lieu de vie. Il ne s’agit pas d’un effet de mode, d’une énième injonction au bonheur, car si l’école est le reflet de la société, ce sont bien les enfants d’aujourd’hui qui définiront une société à partir de leur expérience de vie en collectivité. Notre responsabilité est ici engagée.

Francine Gauffeny
Formatrice d’enseignants en compétences psychosociales, gestion des conflits,
coopération et collaboration, gestion de classe

À lire également sur notre site :

Se sentir bien à l’école : quelles perspectives innovantes ? Par Peggy Neville
Apprendre à apprivoiser sa peur, par Armelle Nouis
Contre le harcèlement scolaire : préoccupation partagée et cohésion d’équipe, par Elsa Véniant et Yannick Langlais
Le bienêtre à l’école : bonne ou mauvaise préoccupation ? Par Andreea Capitanescu Benetti, Laetitia Progin et Olivier Maulini


Sur notre librairie :

Couverture du n° 575 des Cahiers pédagogiques

 

N° 575 – Le bienêtre à l’école

Dossier coorodnné par Andreea Capitanescu Benetti et Maëliss Rousseau
La recherche en éducation met de plus en plus l’accent sur l’importance du bienêtre à l’école, et les conditions à mettre en œuvre pour que les élèves persévèrent et réussissent scolairement, voire développent leur personnalité. Cela demande de faire émerger une relation apaisée entre les élèves, les enseignants, et les savoirs.

 

 

 

Petit Cahier n° 13 – Lutter contre le harcèlement à l’école et au collège

Le harcèlement entre élèves est la forme de violence la plus difficile à repérer, à prévenir et à combattre. Sa dimension collective interpelle avec force l’école dans sa mission de construction de la vie en société. Voici 6 articles pour cerner les réalités multiples et proposer quelques outils pour y faire face à l’école, au collège, en formation.