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A quoi sert le redoublement ?
(Nicolas Sarkozy, ex candidat à la primaire de la droite et du centre)
Il ne suffit pas de faire redoubler un élève pour que, ipso-facto, il retrouve confiance en ses capacités, il comprenne ce que l’enseignant explique, il retrouve le désir d’apprendre, il se sente bien au sein de sa nouvelle classe, puis que les enseignants disposent de classes homogènes et qu’il y soit facile de transmettre. La réalité n’est malheureusement pas aussi simple. Loin de là.
Extrait du rapport de l’IREDU-CNRS pour le Haut conseil de l’éducation, février 2007.
D’où vient le malentendu ?
Historiquement, le redoublement est une pratique issue de la loi Guizot de 1833 : pour contenter les forces législatives en faveur d’un enseignement magistral (et non pas mutuel : en association avec des élèves moniteurs), le ministre Guizot cède sur l’enseignement simultané (avec le regroupement d’élèves par âges) et obtient ainsi la création d’une école par village, dont les classes sont à l’image de l’organisation de celles des Frères des écoles chrétiennes. Chaque étape est censée correspondre à un niveau moyen des élèves, où tout écart trop net à la moyenne est sanctionné par un redoublement. C’est ce que Sylvie Jouan appelle « le paradigme de la classe homogène »[[Sylvie Jouan, La classe multiâge d’hier à aujourd’hui. Archaïsme ou école de demain ? ESF éditeur, 2015.]].
Tout se passe comme si la transmission directe par le maitre était l’élément nécessaire pour définir une bonne méthode pédagogique. Le reste peut changer : on garde ainsi le matériel des tableaux muraux issus de l’enseignement mutuel, on modifie la liste des punitions et la répartition des matières sur la journée préconisées par Jean-Baptiste de La Salle, mais une chose est à conserver, et justifie à elle seule l’abandon de la méthode mutuelle, c’est la présence du maitre.
Le redoublement n’est pas une aide aux élèves en difficultés mais une aide pour les enseignants en difficulté pour gérer l’hétérogénéité d’une classe. Voilà tout le problème.
Parce que, pour une fois, toutes les recherches en éducation sont convergentes : la pratique du redoublement est inefficace. Considérée comme une caractéristique forte du système éducatif français, elle aurait deux freins rédhibitoires aux apprentissages. Être stigmatisé sur ses difficultés et être contraint de ne plus suivre ses camarades participent au développement du sentiment d’incompétence, source future de décrochage. La confiance en soi est une condition essentielle pour apprendre. Être conduit à « redoubler », c’est-à-dire à refaire de la même façon ce que l’on n’est pas parvenu à apprendre une première fois, est un piètre choix pédagogique. Le cerveau ne fonctionne pas tel une clé-USB pour qui un enregistrement défectueux peut se résoudre par une nouvelle tentative.
A quel cout?
En plus d’être inefficace, la pratique du redoublement est couteuse. L’année d’un élève en élémentaire coute à l’état 6120 € et celle d’un collégien 8410 € (selon les Repères et références statistiques 2016 du ministère de l’Éducation nationale, p. 337). Rien que pour l’année du CP (en 2015), c’est à hauteur de 100 millions d’euros que s’élèvent ces dépenses supplémentaires inefficaces ! On observe toutefois une baisse importante du redoublement. Selon le CNESCO[[Inégalités sociales et migratoires : comment l’école amplifie-t-elle les inégalités ? CNESCO, 2016, p. 52.]], en 2013, un élève sur quatre en fin de collège a redoublé au moins une fois, alors que c’était le cas de plus d’un élève sur trois en 2004. Le problème est que ce taux de redoublement a diminué de façon inégale selon l’origine sociale et migratoire des élèves, et le contexte économique de familles, comme si la pauvreté était cause de carences cognitives.
On le voit bien, faire redoubler les élèves est une vraie impasse. En plus de ne résoudre aucun des problèmes liés à la scolarisation, cela les amplifie. Pourtant, et c’est ce qui fait perdurer ces pratiques, les croyances des bienfaits du redoublement sont tenaces : enseignants, parents et élèves semblent d’accord pour y attribuer des vertus, alors que la réalité est quasi-inverse.
Marcel Crahay, Philippe Wanlin, Élisabeth Issaieva, Isabelle Laduron, «Fonctions, structuration et évolution des croyances (et connaissances) des enseignants», Revue française de pédagogie, 172, 2010.
Que peut-on faire ?
D’abord, en tant qu’homme ou femme politique, arrêter d’utiliser le redoublement comme un argument de séduction. Il en va de sa responsabilité. Sinon, rien de bon pour la société n’en sortira.
Ensuite, en tant qu’acteur de l’enseignement, accepter ce fait et s’engager dans la mise en place d’alternatives en mesure de répondre de manière plus efficace à la prise en compte de la difficulté scolaire. Nous en savons déjà les principes forts :
Stopper les méthodes systématiquement collectives et uniformes : introduire un équilibre entre des temps communs d’enseignement de savoirs et des temps personnalisés où chaque élève se trouve face à du travail qui correspond à ses besoins (pour parfaire ses apprentissages).
Organiser de la coopération entre élèves, pour que l’enseignant ne soit plus la seule personne à se charger, au sein d’une classe, de ce qui doit être appris. En travaillant avec d’autres, on comprend autrement. En demandant de l’aide, on obtient des réponses qui débloquent. En apportant de l’aide, on réutilise ses savoirs, on est valorisé et on manifeste de la fraternité.
Évaluer pour accompagner les apprentissages, et pas pour sélectionner. Les temps d’évaluation ne devraient servir qu’à renvoyer une information aux élèves sur ce qu’ils ont acquis au regard des attendus de l’école. Afin qu’ils puissent, soit passer à autre chose et devenir meilleurs, soit reprendre leur travail et ne pas se satisfaire de résultats insatisfaisants ou moyens.
La difficulté scolaire est une invention de l’école. Elle peut être endiguée par une évolution des pratiques d’enseignement véritablement inclusives. La force de l’enfance est son pouvoir de vie. Ne nous privons surtout pas de ce carburant et luttons pour que la classe soit un lieu d’entretien du sentiment de compétence.
Sylvain Connac
Maître de conférences en Sciences de l’éducation à l’université Paul-Valéry de Montpellier, membre du comité de rédaction des Cahiers pédagogiques
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Par André Tricot