Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Apprendre à apprivoiser sa peur

Pour lutter contre le harcèlement scolaire, plusieurs démarches ou méthodes existent. La méthode de Palo Alto fait le pari d’une reprise de contrôle de la part des victimes, pour les rendre plus autonomes et leur apprendre à affronter leur peur.

Le programme Phare doit se généraliser dans les établissements scolaires en incluant les lycées cette année. C’est une politique de prévention qui concerne l’ensemble des acteurs d’un établissement : professeurs, élèves, personnels d’éducation, parents, etc., pour former une communauté « protectrice » des élèves. La mise en place de cet outil nécessite une formation des principaux acteurs. Son point fort est la formation d’élèves ambassadeurs particulièrement attentifs à l’ensemble de leurs camarades.

Une autre méthode offre un angle d’approche différent mais complémentaire. Elle part de la parole du harcelé ; son objectif est de donner à ce dernier des outils pour se défendre face à ses harceleurs. Elle est construite sur les principes de l’école de Palo Alto (Californie), école dont une partie des travaux a été consacrée aux recherches sur les interactions humaines.

C’est une approche systémique qui étudie les relations entre les individus qui composent le système ; elle ne soigne pas les personnes mais les relations. On évacue la question du pourquoi pour s’intéresser au comment.

Un système de relations

Ainsi, dans le cas du harcèlement, on ne s’interroge pas sur la fragilité, les complexes, le passé, l’enfance du harcelé ou du harceleur. On ne se soucie pas de savoir si la victime est grosse, rousse, intello ou bègue, on étudie le jeu des relations avec les personnes de son entourage, autres élèves, professeurs, CPE, parents, de façon très détaillée : qui fait quoi ? Qui dit quoi ? Quand et où ? Le but est de comprendre la logique du système et construire avec l’enfant une posture nouvelle qui lui permette de modifier la relation avec son persécuteur pour se défendre.

Si Marion vient raconter que Célia l’embête toute la journée, il faudra lui faire décrire le déroulé des séquences entre elles, leur fréquence, le cadre dans lequel elles se déroulent : d’autres enfants sont-ils présents à ces moments-là ? Que fait Marion pour se défendre ? Les adultes ont-ils été appelés à l’aide ? Cette compréhension des interactions est indispensable pour accompagner l’enfant harcelé dans son changement d’attitude.

Ce changement de posture proposé conduit le jeune à faire l’opposé de tout ce qu’il a fait jusque-là. Si le harcèlement perdure, c’est que tout ce qui a été tenté n’a pas fonctionné, même si le message de toutes ces tentatives pour l’éviter va dans le même sens : « Arrête ! » C’est en faisant complètement l’inverse, c’est-à-dire en invitant, d’une certaine façon, le persécuteur à continuer que la situation va se modifier !

À 180 degrés

Cette méthode dite du « 180 degrés » développée par l’école de Palo Alto, découverte de façon empirique, a été théorisée et permet de prendre en charge de nombreuses problématiques dans les souffrances scolaires, mais également dans des situations pathologiques. On a tous un jour ou l’autre expérimenté le 180 degrés sans le savoir, en disant : « Y en a marre, ça ne marche pas, je prends le contrepied de ce que j’ai toujours fait. » Et hop ! on refuse de faire la cuisine plusieurs jours durant parce que personne ne la prend en charge. Et on attend de voir ce qu’il se passe !

L’école de Palo Alto met en place des outils pour réfléchir et construire des stratégies efficaces à partir de cette idée. Plusieurs étapes sont nécessaires pour avancer. Une maman se plaint : « Mon enfant ne fait jamais ses devoirs sans moi. » Il faut d’abord définir le problème : ne pas faire ses devoirs ? Les faire avec sa mère ? Quel est celui qui en souffre : la maman ou l’enfant ? Puis dresser la liste de toutes les tentatives de solutions qui ont échoué, comprendre la vision du monde de la personne en difficulté : l’enfant doit réussir, s’il ne fait pas ses devoirs, il met son avenir en jeu ; ou bien, il doit être autonome, etc.

Une fois bien comprise, la situation est ensuite décrite à travers un schéma qui définit au mieux les interactions de tous les acteurs impliqués dans le système relationnel problématique. La démarche est rigoureuse pour ajuster une proposition à 180 degrés qui entrainera un changement dans le comportement que l’on souhaite modifier.

Chagrin scolaire

La thérapeute Emmanuelle Piquet a créé en 2008 le centre Chagrin scolaire, qui s’appuie sur les principes de l’école de Palo Alto. Elle a particulièrement réfléchi à la question du harcèlement et elle appelle flèches les « attaques » qu’elle prépare avec les jeunes. La violence qui transparait à travers ce vocabulaire n’a d’égale que celle dont souffre le harcelé et, bien qu’il s’agisse là uniquement de défense, ces mots et les images qu’ils véhiculent autorisent plus facilement le jeune à se mettre dans une posture de « combat ».

Il est évident que les élèves harcelés sont souvent vulnérables et n’ont pas le profil de contre-attaquer le harceleur. Cela nécessite de les aider à trouver une réponse juste. L’élève saura très bien apprécier si la proposition qui lui est faite est potentiellement efficace et bien ciblée. C’est indispensable pour qu’il puisse la mettre en pratique. Dans la plupart des cas, il faudra l’entrainer en jouant le rôle du harceleur jusqu’à ce qu’il soit prêt à passer à l’action.

La colère souvent très forte de l’enfant contre son agresseur motive ce déplacement. La thérapeute souligne d’ailleurs que dans 50 % des cas, les victimes n’ont pas eu à décocher leurs flèches ; le changement de posture était perçu par le harceleur, qui a « lâché l’affaire », comme ils disent.

Le gain pour l’enfant est essentiel : il apprend qu’il peut compter sur lui-même et il grandit en autonomie et en confiance.

Un filet de sécurité

Emmanuelle Piquet propose d’autres outils, par exemple pour aider les jeunes harcelés à se détacher de l’emprise d’un groupe où s’exercent des relations malsaines : il s’agit du tissage d’un « filet de sécurité », composé d’une sélection d’élèves en qui ils ont confiance et avec qui ils vont s’entrainer à maintenir le contact.

Candice ne supporte plus d’être régulièrement rejetée puis reprise dans le groupe de Rose. On lui demande alors de lister une dizaine d’élèves « plutôt sympas » dans sa classe ou dans le collège. Candice doit chaque jour aller vers quelques-uns d’entre eux et dire un petit mot, poser une question qui n’attend pas de réponse. Ne pas insister, voler un peu de l’un à l’autre. Ces petites interventions sont préparées au départ avec Candice ; cette stratégie lui permet de regarder les autres, de ne plus être seule dans la cour les jours où Rose décide de l’exclure. Et peu à peu, elle n’a plus besoin du groupe de Rose.

Ne pas avoir peur de sa peur

D’autres problématiques de souffrances scolaires peuvent être prises en charge par les praticiens de l’école de Palo Alto, comme l’apprivoisement de la peur qui annihile les facultés lors des contrôles ou la gestion de l’attention. Le travail est toujours dans la même logique : trouver le sens de ce qui a été fait jusqu’à maintenant pour lutter contre cette souffrance, et faire l’inverse : « Je me bats pour empêcher ma peur de venir. Avec Palo Alto, je l’invite à venir, je lui parle, je l’apprivoise et je lui donne rendez-vous à des moments que moi je choisis. »

Peu à peu, la peur disparait. Rien n’est imposé, l’élève ou le parent peut refuser la proposition s’il ne se sent pas capable de la mettre en place. Il peut y avoir des risques aussi dans les stratégies proposées : ainsi, si je ne fais plus travailler mon enfant après avoir discuté avec lui des modalités d’un accompagnement ponctuel et limité dans le temps, je dois assumer le risque qu’effectivement, il ne se mette pas vraiment au travail. Dans le cas du harcèlement, l’alternative peut être le changement d’établissement quand c’est possible.

Faire équipe

Ce travail doit se faire avec tout l’entourage. Il est, dans ce contexte, essentiel de faire équipe avec les parents qui, dans le cas du harcèlement, sont prompts à réclamer des sanctions. Accueillir leur souffrance, les entendre, les comprendre, et les mettre de notre côté est indispensable. Souvent, il leur sera demandé de ne plus rien faire et de ne pas chercher les sanctions pour le harceleur. Il faut les motiver sur l’objectif final de cette stratégie : fortifier l’autonomie de leur enfant. C’est une valeur importante que tout parent cherche à transmettre.

Il faut faire équipe avec les enseignants également. On les prévient parfois d’un changement de posture ou d’une intervention qui peut les surprendre (on propose à Pierre de lancer une répartie en plein cours à Kevin qui ne cesse le harceler), ou on leur demande d’être compréhensifs si l’enfant avec lequel on travaille se lève en classe pour aller s’assoir dans le fond.

La méthode de Palo Alto est un outil trop méconnu qui mérite une plus large utilisation, notamment dans le monde scolaire. Un point fort de son usage est la plus grande responsabilisation des élèves et la plus grande maitrise qu’ils peuvent avoir sur leur quotidien.

Armelle Nouis
Proviseure honoraire
Se former
Nous avons enrichi notre offre de formation d’un module sur la méthode Palo Alto de lutte contre le harcèlement, une entrée qui offre un angle différent de la méthode Phare, mais qui est tout à fait compatible avec elle. Il s’agira d’accompagner les professionnels (enseignants et enseignantes, mais aussi CPE, infirmières, AED, psychologues de l’Éducation nationale, personnels de direction, en particulier par équipe d’établissement) dans leurs réflexions et leurs pratiques en vue d’améliorer les conditions d’apprentissage des élèves et de favoriser leur socialisation, notamment dans les situations de harcèlement.
Pour en savoir plus, rendez-vous sur cette page.

À lire également sur notre site :

Contre le harcèlement scolaire : préoccupation partagée et cohésion d’équipe, par Elsa Véniant et Yannick Langlais
Le livre du mois du n°529 – Le harcèlement scolaire, recension et interview de Nicole Catheline

 


Sur notre librairie :

Petit Cahier n° 13 – Lutter contre le harcèlement à l’école et au collège

Le harcèlement entre élèves est la forme de violence la plus difficile à repérer, à prévenir et à combattre. Sa dimension collective interpelle avec force l’école dans sa mission de construction de la vie en société. Voici six articles pour cerner les réalités multiples et proposer quelques outils pour y faire face à l’école, au collège, en formation.


N° 523 – Le climat scolaire
Dossier coordonné par Michèle Amiel et Thomas Dequin
Qu’est-ce qu’un bon climat scolaire ? Est-ce lorsque les élèves répondent à notre fantasme du «  bon élève  » ? On ne peut nier l’impact qu’il a sur les personnels et les élèves. Se sentir bien ou mal à l’école détermine en profondeur le parcours que l’on y mènera.