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Contre le harcèlement scolaire : préoccupation partagée et cohésion d’équipe

La méthode de la préoccupation partagée (MPP) est une méthode employée pour résoudre les cas de harcèlement, notamment dans les établissements scolaires. Par l’implication de tous, élèves comme adultes, elle permet de dénouer ces situations, et peut agir comme un catalyseur de la cohésion d’équipe au sein des établissements.

Dans les établissements scolaires du second degré, faire vivre une cohésion d’équipe au quotidien se révèle être une tâche ardue et de longue haleine. La cohésion d’équipe se définit par « la totalité des forces qui poussent les membres à rester dans le groupe »1. Symptomatique d’un bienêtre au travail et d’un climat de travail serein qui rejaillit positivement sur les autres facteurs du climat scolaire, la cohésion des équipes est un objectif phare dans le pilotage d’un établissement.

Au sein des collèges et des lycées, les outils communément privilégiés pour coaliser et fédérer les différents acteurs sont le projet d’établissement et le règlement intérieur. Ces documents permettent l’écriture d’orientations communes, qui rassemblent les acteurs autour de projets et de valeurs éducatives fédératrices, et dont les injonctions ministérielles et législatives sont les principaux guides.

Cependant, si les temps de concertation suscitent une émulation positive lors de l’écriture, il devient rapidement difficile de faire vivre le projet d’établissement à la fois dans un quotidien et dans une réalité d’établissement au long cours. Bien qu’étant le socle des projets auquel il est fait référence lors d’introduction de propositions, le projet d’établissement reste lourd à porter et les équipes de direction se retrouvent fréquemment seules à y faire référence dans leur quotidien.

Un décalage lancinant

Aujourd’hui, les acteurs des établissements scolaires ressentent un décalage de plus en plus prégnant, voire douloureux, entre les injonctions institutionnelles et la réalité de terrain où se vivent en première ligne des sujets de société forts comme l’est devenu celui du harcèlement scolaire. Nombreux, et principalement les chefs d’établissements, sont à la recherche d’un liant entre ces deux sphères dont la perméabilité semble parfois s’amenuiser.

La méthode de la préoccupation partagée (MPP), développée en France au travers des formations initiées par l’Éducation nationale dans le cadre de la mise en œuvre du programme pHARe depuis la rentrée 2021, offre ce moyen-là à travers un triptyque clé. Elle permet de faire le lien entre les exigences institutionnelles sur la sécurité de l’élève et la sécurisation de ses apprentissages, la réalité de terrain et la nécessaire individualisation de chaque situation rencontrée, ainsi que les valeurs humanistes portées par les acteurs, leur sentiment d’utilité et d’appartenance à un collectif.

La rigueur de la mise en place de la MPP au sein des établissements est le prérequis absolu aux effets positifs qu’elle induit lorsqu’elle vit en établissement. Deux conditions essentielles se distinguent.

Des conditions essentielles

La première est l’importance de la caractérisation partagée du harcèlement. La MPP est une méthode non-jugeante et non-blâmante qui repose sur la non-essentialisation des élèves2. C’est-à-dire que, dans sa mise en œuvre, les personnels doivent se refuser à juger et à étiqueter les différents protagonistes dans un cas de harcèlement. Pour Anatol Pikas3, la non-intentionnalité du groupe sur l’élève cible est le cœur de la méthode : cela implique de partir du postulat que la volonté de nuire n’est pas conscientisée par les élèves intimidateurs. Ce principe guide les actions et le positionnement des adultes qui s’inscrivent dans une démarche de résolution de cas de harcèlement.

Face à une dynamique de groupe dont la forme change en fonction de variables contextuelles (âge, dynamique de classe, réseaux sociaux, etc.), Pikas précise dans ses travaux que les élèves intimidateurs et témoins deviennent prisonniers du poids du groupe. Les adultes, qui reçoivent les élèves lors des courts entretiens préconisés par la méthode, sont incités à sortir d’une approche purement disciplinaire et manichéenne des élèves à travers l’induction d’un double objectif de recherche de la préoccupation et de la suggestion. En suscitant l’empathie chez l’élève, il est attendu qu’il soit force de propositions individualisées pour venir en aide à l’élève marginalisé par le groupe.

La méthode permet de mettre les élèves en situation de réparation en sortant de celle de déresponsabilisation induite par l’effet-témoin. Les élèves savent que la situation n’est pas acceptable, cependant, ils attendent tous qu’un autre vienne en aide à l’élève cible pour s’autoriser à réagir et à faire de même. La ré-individualisation de chaque élève au sein du groupe n’est possible que lorsqu’un lien de confiance est établi entre l’élève et l’adulte. Les personnels sont alors invités à adopter une posture bienveillante, non-jugeante et d’écoute active et empathique.

Des résultats rapides

La deuxième condition est une définition rigoureuse des protocoles de prises en charge des élèves lors de l’application de la méthode. L’éventail des professionnels (personnel enseignant, personnel médicosocial, personnel éducatif) travaillant au sein de l’établissement peut y contribuer. La méthode est une réponse collective face à un phénomène de groupe identifié et non-désiré.

De par sa structuration, la MPP repose sur un socle commun de personnels formés, aux objectifs partagés et définis. Le rôle de chacun est interdépendant de celui des autres. L’inertie déclenchée par l’équipe permet la réussite de la méthode, même si certains résultats d’entretiens conduits par un personnel avec un élève ne sont pas probants. La méthode prodigue des résultats rapides qui suscitent d’autant plus l’adhésion. En effet, lors de l’évaluation de la MPP dans l’académie de Versailles, en 2019, il a été démontré que 82 % des cas d’intimidation ont été résolus par le biais de cette méthode dans les établissements scolaires où elle a été mise en place4.

Des effets à long terme

Après la mise en œuvre et l’application de la méthode en établissement, des effets positifs s’observent à moyen et long terme au sein des équipes. La méthode invite à un changement de regard sur les élèves et à une considération qui dépasse le champ purement pédagogique des relations entre personnels et élèves.

La cohérence du cadre éducatif de la MPP permet d’éprouver des valeurs partagées par les personnels de l’équipe ressource, à savoir celles véhiculées par des textes fondateurs tels que la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen et la Convention internationale des droits de l’enfant. Ces valeurs induisent une vigilance accrue des personnels autour du bienêtre des élèves, et ils deviennent de véritables relais entre les personnels qui ne font pas encore partie de l’équipe ressource et ceux qui sont en capacité de caractériser la nature du malêtre de l’élève repéré. Cela vient directement nourrir le sentiment d’appartenance et d’équipe vécu par les membres, d’autant plus qu’ils sont conscients de pouvoir être mobilisés à tout moment dans la résolution d’un cas de harcèlement.

La facilité d’investissement et le faible cout de travail qu’elle représente pour chaque membre sont également deux éléments notables de la méthode. Une fois formés, et lorsqu’ils sont suffisamment nombreux, les personnels réalisent deux entretiens de trois minutes chacun par cas de harcèlement. Ces quelques minutes par personnel sont suffisantes pour amener un résultat rapide et probant sur un sujet épineux et lourd à traiter auparavant.

Ainsi, la coopération illustrée par une communication appliquée entre les membres de l’équipe ressource et la reconnaissance de l’apport de chacun à travers une responsabilisation sans mise en danger garantit l’équité dans la participation à la résolution des cas de harcèlement.

La MPP est un facteur qui permet à l’élève d’atteindre un bienêtre scolaire5 en lui donnant les conditions pour se réaliser au maximum de ses potentialités, en le sécurisant afin de lui garantir une disponibilité émotionnelle et intellectuelle pour ses apprentissages. Elle est aussi un outil qui, une fois mis en place, fédère au quotidien et vit dans l’établissement. La MPP réunit en ce sens les cinq facteurs indispensables d’une cohésion d’équipe que sont « l’objectif commun, la répartition complémentaire des tâches à accomplir, la définition de valeurs acceptées de tous, la fierté d’appartenance et la motivation constante dans la réalisation de l’objectif »6.

Au-delà de son objectif premier de lutte contre le harcèlement, elle est, de manière plus globale, un vecteur de valeurs dans son application.

Elsa Véniant
Conseillère principale d’éducation dans l’académie d’Orléans
Yannick Langlais
Conseiller principal d’éducation et formateur académique harcèlement et MPP de l’académie de Bordeaux

Témoignages

« C’est une méthode humaine qui offre à l’enfant l’opportunité de se construire en le laissant libre d’être bon et à l’écoute des autres. Elle permet de mettre l’empathie au cœur de la vie collective dans une société qui tend de plus en plus à s’individualiser. C’est tout simplement leur apprendre à prendre soin les uns des autres. »
Morgane Galopin, professeure d’espagnol et membre d’une équipe MPP depuis un an

« La MPP est un dispositif simple, rapide et efficace pour résoudre les cas de harcèlement. Elle amène un sentiment de sérénité au sein de l’établissement. »
Isabelle Caule, cheffe d’établissement en collège

« La MPP a permis à l’équipe, démunie face à quelques situations d’élèves en souffrance, de partager ses difficultés et de s’engager dans une dynamique commune. La possibilité de mettre en œuvre rapidement les outils donnés, au bénéfice des élèves, est très rassurante. La MPP augmente la cohésion d’équipe et agit très favorablement sur l’ambiance générale de l’établissement. »
Véronique Theillet, cheffe d’établissement en collège

« La méthode de la préoccupation partagée amène une réelle valeur ajoutée à l’établissement avec un apport considérable pour les enfants. »
Céline Hervelin, professeure de lettres classiques et membre d’une équipe MPP depuis deux ans


Sur notre librairie :

Petits cahier n°13 – Lutter contre le harcèlement à l’école et au collège

Le harcèlement entre élèves est la forme de violence la plus difficile à repérer, à prévenir et à combattre. Sa dimension collective interpelle avec force l’école dans sa mission de construction de la vie en société. Six articles pour cerner les réalités multiples et proposer quelques outils pour y faire face à l’école, au collège, en formation.

N°523 – Le climat scolaire

Qu’est-ce qu’un bon climat scolaire ? Est-ce lorsque les élèves répondent à notre fantasme du «  bon élève  » ? On ne peut nier l’impact qu’il a sur les personnels et les élèves. Se sentir bien ou mal à l’école détermine en profondeur le parcours que l’on y mènera.


Notes
  1. Laurent Combalbert et Dimitri Linardos, « Susciter la cohésion d’équipe », dans Laurent Combalbert et Dimitri Linardos (dir), Guide de survie du manager: Réussir dans la jungle de l’entreprise, Dunod, 2018, p. 107-117.
  2. Jean-Pierre Bellon, Bertrand Gardette et Marie Quartier, Harcèlement scolaire : le vaincre c’est possible. La méthode de la préoccupation partagée, ESF Sciences humaines, 2021 (3e édition).
  3. Anatol Pikas, « New Developments of the Shared Concern Method », School Psychology International vol. 23/3, 2002, p. 307-326.
  4. Jean-Pierre Bellon, Bertrand Gardette et Marie Quartier, op.cit.
  5. Elsa Véniant, Yannick Langlais et Jérôme Tagu, « De la difficulté scolaire au bien-être scolaire : un parcours innovant organisé et animé par le conseiller principal d’éducation », Reliance : Revue de recherche et pratiques en éducation n° 2, juin 2023.
  6. Laurent Combalbert et Dimitri Linardos, op. cit.