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Matheuses. Les filles, avenir des mathématiques

Lorsqu’en janvier j’ai reçu cet ouvrage, je me suis d’abord dit : oh, encore un livre sur les femmes et les maths… Pour baigner dans la mathosphère et le milieu matho-associatif, cette question est omniprésente depuis quelques années. Elle avait généré chez moi une certaine lassitude, même si je la sais toujours d’actualité, et cruciale. Mais les médias se concentraient beaucoup sur les inégalités de genre au détriment d’autres inégalités, ethniques, socio-culturelles, etc. J’aime les mathématiques et je suis une femme. Les inégalités de genre me révoltent et je les sais délétères pour toute notre société. Cependant, je ne veux pas occulter d’autres questions tout aussi cruciales.
Mais voilà, le format du livre et sa couverture m’ont attirée. Il est beau, clair, coloré sans agresser, illustré de façon visiblement pertinente et non juste pour décorer. J’ai consulté les auteures : ah oui quand même, quel trio prometteur ! Clémence Perronet est doctoresse en sociologie, chercheuse, spécialiste de la sociologie de la culture, de l’éducation, des sciences et du genre. Elle est l’auteure de La bosse des maths n’existe pas. Rétablir l’égalité des chances dans les matières scientifiques (Autrement). Claire Marc est océanographe et médiatrice scientifique. Elle a créé son agence de communication scientifique Méduse Communication afin que chaque citoyen puisse se réapproprier les sciences. Elle est l’auteure de Tout comprendre (ou presque) sur le climat. Olga Paris-Romaskevich est chercheuse en mathématiques au CNRS. Elle a contribué à l’organisation des Cigales, et y a lancé l’idée de l’enquête sociologique qui a abouti à l’ouvrage Matheuses. Elle a participé à l’écriture des séries Voyages au pays des maths et La Grande Aventure des maths. Je connais les productions de ces trois femmes remarquables. Alors je n’ai pas pu résister. J’ai ouvert le livre. Et voilà, je n’ai pas pu décrocher. Au lieu de m’acquitter des tâches que j’aurais dû régler avant de partir, j’ai lu. Dans mon sac, j’ai glissé Matheuses, et à chaque moment libre j’en ai poursuivi la lecture. C’est très clair : cet ouvrage est une pépite et il était indispensable.
Matheuses est la rencontre de trois regards, de trois femmes différentes mais animées d’un projet et d’une volonté de “changer l’ordre établi”. Voilà un programme alléchant. On perçoit tout de suite une démarche de chercheuses : la méthodologie est expliquée, en amont. Le livre se dévore : tout est clair, étayé, référencé par des sources fiables. Et avant tout, elles ne se limitent pas à la question du genre. À peine ma lecture commencée, la question des inégalités de classe et des inégalités ethno-raciales est posée frontalement. Le croisement des regards et des univers fonctionne à merveille : c’est tout l’humain qui est considéré, et la lutte est dirigée vers la triple discrimination “sexiste, raciste et classiste” sans démêler les trois axes, car s’il faut les analyser chacun, ils sont enchevêtrés. Le propos est complet et précis, énoncé avec clarté et de façon directe. L’école et son fonctionnement ne sont pas épargnés, à juste titre. Tout au long et entre chaque chapitre, des lycéennes de première apportent leurs témoignages, mais aussi leurs problèmes de maths, émaillés par des défis progressifs, dont les solutions sont fournies à la fin du livre.
Un chapitre est consacré à l’« intelligence ». Les auteures explicitent ce qu’est l’intelligence, et ce qu’on considère souvent ce qu’elle est. Elles montrent bien comme c’est un concept relatif à l’époque, au contexte, et donc peu signifiant. Elles reviennent sur ce que Bourdieu a appelé le « racisme de l’intelligence », en lien avec une volonté de domination, qui malheureusement a été mis en lien avec les performances scolaires et normées en mathématiques.
Au fil des pages, dans un discours fluide et accessible, on évoque donc la question de l’inné ou de l’acquis, des choix d’orientation, de la confiance en soi selon le genre, de l’élitisme ou encore des modèles féminins et de leur importance pour donner de la légitimité aux filles en sciences. Finalement, la question centrale est celle de « l’accès de tous et toutes aux savoirs et aux carrières ». Et avant de nous livrer les solutions à tous les problèmes ludiques et chauffe-méninges que Magali, Aida, Elif, Diane ou les autres jeunes matheuses qui accompagnent notre lecture nous ont soumis, les trois auteures terminent sur ces mots :
Les filles sont l’avenir des mathématiques parce qu’elles ont collectivement le pouvoir de les transformer de l’intérieur. Les filles sont l’avenir de mathématiques féministes, antiracistes et égalitaires dont le pouvoir ne sera plus oppresseur, mais émancipateur.
Les auteures montrent par l’exemple que notre société, même si elle résiste encore, ne peut plus invisibiliser les femmes, de l’école jusque dans les laboratoires de recherche mathématiques. Notre pouvoir de lectrices et de lecteurs est de promouvoir, de diffuser et d’offrir ce livre. Oui, changeons l’ordre établi, toutes et tous ensemble !
Une citation que j’aime bien :
L’absence d’intérêt ou de confiance en soi n’est jamais le point de départ de la situation des femmes en mathématiques : elle est le résultat de leur expérience. Les filles perdent confiance en constatant les efforts infructueux de leurs mères, en rencontrant page après page des personnages qui leur enseignent la résignation face à la domination et en étant la cible quotidienne de violences sexistes et sexuelles dans une société qui leur vante pourtant ses mérites égalitaires. Dans leur vie quotidienne comme dans la fiction, tout indique et rappelle aux filles leur incompétence « naturelle » en mathématiques et les sanctions qui les attendent si elles essayent malgré tout d’investir ce champ du savoir.