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Antidotes, saison 2, épisode 11 – Peut-on vraiment inclure tout le monde à l’école ?

Le principe de l’école inclusive a été instauré en France par la loi de 2005, et rappelé par la loi de refondation de 2013. Il s’agit de scolariser tous les enfants ensemble, en incluant les élèves à besoins éducatifs particuliers, « autrement capables », et en les faisant réussir à l’école malgré tout. Mais du principe à la réalité, il reste du chemin. Et si ce chemin était à trouver autant dans le changement des pratiques que dans la compensation ou la remédiation ? Faut-il à ces élèves des soins ou du soin ?

Parfois, dans le milieu scolaire, on finit par appliquer à nos élèves des méthodes que l’on déplore par ailleurs lorsqu’elles sont mises en pratique pour nos collègues. Cela peut être le cas lorsqu’on met en cause un élève individuellement et qu’on demande qu’il soit « pris en charge » ou qu’on déclare qu’ « il lui faudrait des soins ». Que ressent un collègue quand on lui recommande d’aller voir un psy sans questionner son environnement de travail ? Il se dit que c’est lui, et uniquement lui, le problème. Il se dit que c’est lui qui doit changer, et pas ses conditions de travail.

On retrouve là le principe d’une psychothérapie : le patient expose ses troubles et on peut alors lui conseiller d’agir soit sur la manière dont il perçoit la situation, soit sur la manière dont il peut agir sur le contexte (voire le fuir). Le parallèle que je fais avec l’école inclusive c’est que si un élève se met à perturber le cours, on pense souvent à ce que l’on peut apporter à cet élève pour qu’il le vive mieux (plus de temps, un accompagnement humain, du matériel adapté, etc.) c’est qu’on appelle la logique de compensation. Mais on pense moins à modifier le cours lui-même, les dispositifs ou le contexte social, ce qu’on appelle l’accessibilité. Les deux sont nécessaires mais la balance penche trop du côté de la compensation.

La question sous-jacente est : à partir de quand est-on trop éloigné de la norme ? Les normes, ce sont les programmes, le rythme, les horaires. Est-ce que c’est aux enfants de s’y adapter ou est-ce qu’on ne pourrait pas faire évoluer la norme pour rendre l’école plus accessible ? C’est la question de la recherche d’une vie en société inclusive, c’est à dire une société qui n’exclut personne. Une société dans laquelle on cherche à concilier le singulier et le commun, l’individu et le collectif, compensation et accessibilité.

Externalisation et médicalisation

Nos réflexes d’externalisation sont tenaces. Nous baignons dans une culture de médicalisation : un début d’écart à la norme devient trop rapidement un handicap ! Les MDPH (maisons départementales des personnes handicapées) l’indiquent : les demandes d’accompagnement augmentent d’année en année sur des territoires ruraux dont la population baisse pourtant.

Autre signe : la surreprésentation des classes populaires dans les ULIS (unités localisées pour l’inclusion scolaire), qu’ATD Quart Monde tente d’enrayer via l’expérimentation CIPES (Choisir l’inclusion pour éviter la ségrégation). Comment accueillir les familles qui n’ont pas les codes ? Comment l’école peut-elle être son propre recours ? Comment accueillir différents niveaux au sein d’une même classe à travers une personnalisation des apprentissages ?

De plus, dans le cas où un élève est en situation de handicap, il ne s’agit pas toujours d’une maladie qui requiert des soins ! Dans un établissement spécialisé, on ne passe pas sa journée à « faire des soins ». On peut y trouver des orthophonistes, des psychomotriciennes, des psychologues qui prendront l’enfant une heure ou deux par semaine. Le reste du temps, beaucoup de groupes d’IME (institut médicoéducatif) fonctionnent comme des petites classes de maternelle. Ritualisées, sans pression programmatique excessive, avec des ateliers au choix, un rythme adapté, etc.

La possibilité d’exclure

Ceci posé, on peut imaginer que ces dérives seraient moins fortes si la possibilité même d’exclure n’existait pas (c’est le but de ce que l’on appelle la désinstitutionnalisation), mais aussi si des souplesses existaient à l’intérieur de l’école : plus de maîtres que de classes (une école qui reçoit 250 élèves dispose actuellement de douze professeurs des écoles pendant que le collège sur le trottoir d’en face en reçoit le même nombre avec gestionnaire, secrétaire, personnels de vie scolaire, infirmière : des postes qui donnent de l’air !), des plateaux techniques de type DAR (dispositif d’autorégulation) dont nous pourrions nous inspirer pour bien d’autres choses que l’autisme. Le pays des droits de l’Homme a pris du retard en la matière sur d’autres pays pourtant proches, comme la Suède, l’Italie ou l’Espagne.

Prendre soin du contexte dans lequel on place ce type d’élève, c’est souvent l’occasion de réfléchir au cadre que l’on propose aussi à tous les autres. Nombreux sont celles et ceux qui n’ont pas été diagnostiqués ou dont les parents ne veulent pas ou ne peuvent pas faire de démarches. Réfléchir à une école qui soit son propre recours pourrait probablement les aider à y trouver une place.

Gwenael Le Guével
Professeur des écoles en Loire-Atlantique

D’autre antidotes à lire sur notre site :
Épisode 10 : Peut-on être bienveillant et exigeant à la fois ? Par Jean-Michel Zakhartchouk

Épisode 9 : Supprimer les notes, est-ce tromper les élèves ? Par Pierre Merle

Épisode 8 : L’élitisme a-t-il été abandonné à l’école ? Par François Dubet

Épisode 7 : Les enfants d’immigrés, responsables de la baisse du niveau ? Par Françoise Lorcerie

Épisode 6 : La laïcité, une valeur menacée ? Par Valentine Zuber

Épisode 5 : Pourquoi tant de haine envers les maths ? Par Claire Lommé

Épisode 4 : À qui profitent les classes de niveau ? Par Marie Duru-Bellat

Épisode 3 : Faut-il s’ennuyer pour apprendre à l’école ? Par Hervé Hamon

Épisode 2 : Quelle place pour les « fondamentaux » à l’école ? Par Claude Lelièvre

Épisode 1 : A-t-on renoncé à enseigner l’histoire de France et le roman national ? Par Yannick Mével

Une première série d’ « antidotes » avait été publiée en 2016-2017 sur notre site et sous la forme d’un hors-série en téléchargement gratuit.

À lire également sur notre site :
Pour une école réellement inclusive,conférence d’Alexandre Ployé aux Rencontres 2021 du CRAP-Cahiers pédagogiques

« On aimerait mieux, souvent, voir l’élève inclus dans la classe. » Entretien avec Élisabeth Bussienne et Évelyne Clavier


Sur notre librairie :

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N°526 – Inclure tous les élèves
Pour les élèves à besoins éducatifs particuliers, l’écart est parfois grand entre ce qui est prescrit et la réalité de leur scolarisation. Ce dossier vise à en pointer les freins et à proposer des leviers à même de faire vivre l’école inclusive refondée.