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Antidotes, saison 2, épisode 7 – Les enfants d’immigrés, responsables de la baisse du niveau ?

Alors qu’une candidate à l’élection présidentielle propose un programme qui repose en grande partie sur un rejet de l’immigration et de tout ce qui lui est lié, il est bon de rétablir les choses concernant la scolarité et les résultats des élèves issus de l’immigration, et de combattre, inlassablement, une idée (trop bien) reçue.

La présence en nombre d’enfants immigrés ou descendants d’immigrés serait une cause majeure des mauvais résultats de l’école française aux classements internationaux. Cette affirmation, on peut l’entendre lorsqu’il s’agit de commenter les médiocres résultats de la France aux épreuves internationales d’évaluation des acquis des élèves, telles que les épreuves PISA, destinées aux élèves de 15 ans, qui se passent dans les pays de l’OCDE (et d’autres) tous les trois ans depuis 2000, alternativement sur les mathématiques, la langue écrite et les sciences.

Il m’est même arrivé d’entendre dire que, si on enlevait les élèves étrangers ou descendants d’immigrés, qui plombent la distribution des notes, les résultats français seraient équivalents à ceux de la Finlande, un pays qui, lui, n’a que peu d’immigrés dans sa population. D’ailleurs, lorsque la politique d’éducation prioritaire a été lancée, en 1981, pour tenter de relever les résultats scolaires particulièrement bas de certaines écoles en milieu populaire, la part d’élèves immigrés dans la population scolaire était un des critères du classement des écoles en éducation prioritaire.

Ce critère n’est plus pris en compte, mais on voit bien toujours aujourd’hui que les écoles et établissements en éducation prioritaire renforcée comportent une part importante d’élèves descendants d’immigrés – d’immigrés non européens plus précisément, de « non-Blancs » pour parler comme Lilian Thuram1. Pour ne rien dire des établissements ghettoïsés comme il en existe plus ou moins dans chaque ville, dont les résultats sont extrêmement faibles, et où ne restent comme élèves inscrits que des élèves immigrés ou descendants d’immigrés qui ne peuvent pas les éviter.

De moins bons résultats ?

Ce constat met sur la voie de l’explication. Mais avant d’aller plus loin, il faut parler de l’infériorité des résultats scolaires des élèves étrangers qui viennent d’arriver en France ou sont scolarisés depuis peu d’années. L’école française a pour mandat de scolariser tous les enfants, quelle que soit leur situation au regard du séjour. Eux ou leurs parents peuvent être en séjour irrégulier. Tous les pays de l’OCDE font de même ; c’est une obligation de la Convention internationale des droits de l’enfant.

En tout état de cause, les élèves qui ont peu d’ancienneté en milieu francophone ne sont pas au niveau dans les apprentissages scolaires. Leurs capacités de compréhension et de production orale et écrite en langue française sont faibles sinon nulles. La médiocrité de leur scolarité passée peut être un handicap cognitif supplémentaire. Ce n’est pas toujours le cas, mais si les enfants d’âge scolaire n’ont pas été scolarisés avant de se retrouver à l’école en France, ou s’ils l’ont été dans de mauvaises conditions, les compétences avec lesquelles ils abordent leur scolarité en France sont insuffisantes. L’école française a rodé des structures et des méthodes pour les accueillir et les accompagner dans leur adaptation. Les enfants concernés vont en bénéficier pendant un an, voire un peu plus, exceptionnellement.

L’efficacité de ces dispositifs n’est pas parfaite, elle pourrait être améliorée avec plus de moyens et une meilleure formation des enseignants. Notamment, le tuilage entre le temps de l’adaptation et la fréquentation d’une classe « normale » serait à penser en tant que tel. Mais ces élèves sont peu nombreux, quelques dizaines de milliers en tout (ils étaient un peu moins de 70 000 en 2018-2019, source DEPP). Ils pèsent très peu dans la performance scolaire globale de la France. Et ceci nous ramène à la question de départ : qu’est-ce qui ne va pas à l’école pour les élèves immigrés ou descendants d’immigrés, spécialement ceux d’origine extra-européenne ? S’ils tirent vers le bas la performance scolaire de la France, comment est-ce que cela se passe ?

Les maux de l’école

En réalité, ils rendent lisibles, et visibles de tout un chacun, deux maux de l’école publique française actuelle, deux maux décisifs pour sa performance globale et pour son équité : la ségrégation sociale entre les établissements du réseau public, laquelle a pris une acuité plus grande que dans la plupart des pays voisins ; et le professionnalisme insuffisant des enseignants, globalement, qui sont gênés, sinon mis en échec, lorsqu’ils ont affaire à des élèves qui ne répondent pas au modèle de la bonne élève docile, « sérieuse », et bien suivie par ses parents, – la bonne élève car, dans ce domaine, la référence est bien l’élève fille, malgré les défauts qu’on peut lui attribuer par ailleurs.

La ségrégation sociale entre les établissements du système scolaire public se définit par le fait que les élèves de catégories sociales éloignées (disons les élèves de milieu favorisé et ceux de milieu défavorisé) ne sont pas scolarisés dans les mêmes établissements. La ségrégation ethnique est une modalité de la ségrégation sociale. C’est le contraire de la « mixité » sociale et ethnique. Elle est mal connue statistiquement, car le ministère répugne à laisser publier les données socioethniques qui caractérisent les établissements, mais on sait qu’elle tend à augmenter depuis des années, et que cela est source de moindre performance tant pour les élèves défavorisés que, chose paradoxale en apparence, pour les élèves favorisés.

Le problème est sur l’agenda du ministère depuis au moins la « grande mobilisation » pour l’école décrétée par Najat Vallaud-Belkacem après les attentats de janvier 2015. Quelques tentatives ont été faites localement pour corriger les processus ségrégatifs institutionnels, notamment à Paris, où les premiers résultats de l’expérimentation de dispositifs de déségrégation sociale de collèges semblent prometteurs2. En attendant, de façon générale, les élèves immigrés et descendants d’immigrés extraeuropéens sont directement affectés par la ségrégation socioethnique.

Impact de la ségrégation

Lorsqu’on regarde leurs résultats scolaires agrégés à l’échelle nationale, ils ne semblent pas différents de ceux de leurs pairs de même condition sociale sans ascendance extraeuropéenne, ils accèdent en seconde générale et technologique et obtiennent un bac dans des proportions analogues. Mais lorsqu’on regarde leurs niveaux de compétence à 15 ans, ce que permettent des épreuves standardisées comme PISA, ils s’avèrent avoir un niveau significativement inférieur, toutes choses égales par ailleurs, une bonne partie ayant un niveau très inférieur à ce qui est jugé normal à 15 ans. Ce qui s’explique par la ségrégation.

La ségrégation socioethnique est en effet synonyme de difficulté professionnelle, toujours et partout. Mais l’effet sur les acquisitions des élèves est plus accentué en France qu’ailleurs, pour la bonne et simple raison que les enseignants y sont moins qu’ailleurs préparés professionnellement à travailler avec des élèves qui ne sont pas dans le standard. Il n’y a quasiment pas de place pour l’analyse clinique des difficultés des élèves dans la formation initiale, le recrutement, ni la formation continuée des enseignants.

C’est contradictoire avec le mandat inclusif de l’éducation dans un pays démocratique, mais c’est ainsi. Les élèves immigrés et descendants d’immigrés extraeuropéens en sont les victimes à l’instar des autres élèves non-standard, souvent (mais pas seulement) de milieu populaire, et ce avec d’autant plus d’impact qu’ils sont plus concentrés du fait des processus ségrégatifs.

Françoise Lorcerie
Sociologue, directrice de recherche émérite CNRS-Aix-Marseille Université

D’autre antidotes à lire sur notre site :
Épisode 8 : L’élitisme a-t-il été abandonné à l’école ? Par François Dubet

Épisode 6 : La laïcité, une valeur menacée ? Par Valentine Zuber

Épisode 5 : Pourquoi tant de haine envers les maths ?Par Claire Lommé

Épisode 4 : À qui profitent les classes de niveau ? Par Marie Duru-Bellat

Épisode 3 : Faut-il s’ennuyer pour apprendre à l’école ? Par Hervé Hamon

Épisode 2 : Quelle place pour les « fondamentaux » à l’école ? Par Claude Lelièvre

Épisode 1 : A-t-on renoncé à enseigner l’histoire de France et le roman national ? Par Yannick Mével

Une première série d’ « antidotes » avait été publiée en 2016-2017 sur notre site et sous la forme d’un hors-série en téléchargement gratuit.

À lire également sur notre site :

Les enfants d’immigrés à l’école. Inégalités scolaires, du primaire à l’enseignement supérieur, recension du livre de Mathieu Ichou

« C’est rageant d’observer dans la durée cet immense gâchis », entretien avec Stéphane Beaud

Qu’est-ce qui ne va pas avec l’arabe à l’école ? Par Françoise Lorcerie


Sur notre librairie :

 

Les élèves migrants changent l’école

Les migrations internationales ne font pas seulement l’actualité, elles sont le présent de notre école. Son futur aussi. Sans prêter foi aux images qui veulent faire peur, prenons-en acte. Comment faire pour accueillir des élèves de toutes origines, de tous âges et de toutes langues maternelles ?


Notes
  1. Lilian Thuram, La Pensée blanche, éditions Points, 2020.
  2. Voir le rapport d’évaluation de Julien Grenet et Youssef Souidi rendu en 2021, Renforcer la mixité sociale au collège: une évaluation des secteurs multi-collèges à Paris (ipp.eu)