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Pour une école réellement inclusive

« En France tout commence par un slogan, se poursuit par un protocole, et se termine avec un formulaire Cerfa. Les enseignants rangent alors dans un tiroir le N-ième imprimé… » Le constat dAlexandre Ployé, maître de conférences à l’université Paris-Est Créteil, sur l’école inclusive en France nest pas tendre. Intervenant le 18 aout aux Rencontres d’été du CRAP-Cahiers pédagogiques à Saint-Maixent-l’École, il a développé son point de vue et ses propositions pour les participants.

La thèse d’Alexandre Ployé est qu’il faut que l’école française se transforme pour devenir plus inclusive. Mais il observe que la dynamique n’est qu’entamée et que l’école inclusive en France est aujourd’hui pleine de manques et de paradoxes.

Cela reviendrait à une véritable réforme pédagogique d’y arriver et, pour lui, il y a une « portée révolutionnaire » dans le syntagme « école inclusive ». « Mais pour l’instant, on gère en bon père de famille, en essayant de conforter les parents concernés, en essayant de ne pas faire trop peur aux enseignants, et en ne dépensant pas un argent dont on dit qu’on ne l’a pas. » Pourtant, dit-il, il suffit de regarder du côté de l’Italie, de l’Espagne ou alors du Canada pour voir que c’est tout à fait possible (et ce qui est possible)…

En France, « nous, les enseignants, sommes des héritiers d’une forme scolaire, née avec la Troisième république et d’un idéal méritocratique, avec une vision bourgeoise de l’école, selon laquelle les carrières prestigieuses et les filières longues étaient réservées à une élite. » Cela induit un système éducatif profondément inégalitaire, et c’est un frein à l’école inclusive.

Dans cette logique, Alexandre Ployé rappelle que dès les années 1880, on pouvait voir à peu près les mêmes titres de journaux qu’aujourd’hui: « ces enfants qui n’arrivent pas à apprendre à lire », etc. Mais le vocabulaire n’était pas le même, et on disait alors de ces enfants qu’ils étaient « idiots, inadaptés, anormaux »… On parlait même (dans les milieux les plus à droite ) d’une « théorie de la dégénérescence », et on pensait qu’il fallait protéger la société de ses éléments les plus faibles. Ce faisant, on pointait du doigt le défaut chez l’enfant en échec et non ceux de l’école.

Limpasse de la catégorisation

C’est ainsi le début de la médicalisation de l’échec scolaire: il y aurait quelque chose de biologique dans le fait qu’ils échouent. C’est une vision qui va perdurer encore aujourd’hui dans les salles des profs, mais transposée de la figure de l’enfant d’ouvrier vers l’enfant d’immigré.

On pense alors qu’il faut apporter une réponse structurelle, en scindant en deux l’école avec des classes spécialisées pour les enfants qui n’apprennent pas, qui seraient « anormaux ». L’enseignement spécialisé nait en 1909 avec les classes de perfectionnement. Mais ce n’est pas parce qu’un enfant a des besoins particuliers qu’il doit quitter le milieu ordinaire. « Le milieu ordinaire doit s’adapter. C’est cela l’inclusion, et ça doit être travaillé en France, notamment dans la formation initiale et continue des enseignants et enseignantes. »

Mais pour l’instant, déplore-t-il, « en France, on a le culot de faire perdurer ces dispositifs spécialisés tout en prétendant que c’est de l’école inclusive… C’est du « ripolinage », le mot suffit à faire du changement (en apparence). »

Conséquences sur lorientation

Ces représentations jouent aussi, évidemment, sur l’orientation des élèves. Alexandre Ployé fait référence à une recherche menée avec ATD Quart Monde, partant du constat qu’un enfant qui nait dans un milieu populaire a infiniment plus de risques de se retrouver dans l’enseignement spécialisé qu’un enfant de milieu favorisé. Non seulement ce sont des enfants de milieu précaire qui vont le plus dans l’enseignement spécialisé, mais ce sont également les enfants issus de l’immigration : il y a en effet autour de 60-70 % d’enfants issus de l’immigration dans les dispositifs ULIS ou Segpa, et tout-à-fait en dehors des prescriptions initiales de ces dispositifs.

Il y a aussi des enfants qui sont « institutionnellement » programmés dès le CM1 pour aller en Segpa, parce qu’ « il ou elle ne pourra pas suivre en collège », croit-on. Et leurs familles ne connaissant pas le système éducatif, leurs choix d’orientation sont cruellement réduits, dès 9 ou 10 ans… Pour Alexandre Ployé, « il y a un véritable problème dans l’école française avec les enfants issus de milieux précaires ou immigrés. Elle fabrique une élite qui est toujours la même, en excluant à bas bruit des tas de gamins des classes populaires »

Des dispositifs finalement excluants

Concernant les « besoins éducatifs particuliers » (BEP), son avis est net : « Réduire l’enfant à sa pathologie par le langage n’est pas inclusif et les BEP, tels que l’institution les mobilise en ce moment, sont une impasse. » Il s’agit d’une expression créée dans les années 70 pour démédicaliser l’abord des élèves handicapés. « Cela part d’un bon principe, mais peut-on inclure un élève qui est aujourd’hui désigné par un acronyme ? » interpelle Alexandre Ployé. D’autant qu’un bon élève a aussi des besoins particuliers.

Le travail de catégorisation pseudomédicale est donc une impasse, et une école inclusive est une école qui décatégorise. Or, en France, nous multiplions les catégories : haut potentiel, dys, TDAH, hypersensibles, différents handicaps… « Ce travail de catégorisation est mortel. Il faut cesser de ranger les élèves dans les tiroirs du prêt-à-penser. À partir du moment où on catégorise des élèves on les exclut possiblement » Une école inclusive n’est ainsi pas une école qui s’adapte aux élèves handicapés, aux dyslexiques, etc. C’est une école qui s’intéresse aux besoins éducatifs de tous les élèves.

Par ailleurs, il souligne que mettre les élèves en échec entre eux, par exemple en SEGPA, n’est pas efficace, ne permet pas de les faire réussir. La recherche montre que l’évolution cognitive des enfants placés en milieu ordinaire est infiniment supérieure à celle des enfants en milieu spécialisé : c’est la théorie de « l’environnement le moins restrictif ». La classe spécialisée, les institutions spécialisées sont des environnements restrictifs.

Ainsi, les dispositifs dits inclusifs, finalement, sont excluants. Il s’agit de regroupements d’enfants qui se ressemblent en dehors de l’école « normale ». Les enfants concernés le perçoivent très bien. En ULIS, ils sont conviés à franchir le seuil de la classe inclusive, mais ils sont alors à la fois hors de l’école ordinaire, puisqu’inscrits dans un dispositif spécialisé, et même quand ils sont en classe ordinaire, ils sont considérés comme « des ULIS ». Ils restent sur le seuil.

Pour Alexandre Ployé, il faut donc absolument repenser l’inclusion en termes de modifications pédagogiques et structurelles.

Comment construire un chemin inclusif ?

Alors, que faire ? S’inspirer par exemple de ce qui existe en Italie, en Espagne, au Canada… En Italie, on peut observer une pédagogie davantage inclusive en Italie, depuis 1975. Les moyens de l’enseignement spécialisé sont mis dans l’enseignement ordinaire, et dès qu’il y a deux enfants « différents » dans une classe, il y a automatiquement un enseignant de soutien en co-intervention dans cette classe.

Alexandre Ployé fait des propositions pour aller vers une école véritablement inclusive, à partir d’une conception universelle des apprentissages :

– Dépasser la compensation individuelle par l’accessibilité généralisée pour tous les élèves.

– Mettre en œuvre des plans de travail individualisés.

– Adopter des logiques curriculaires et sortir de la logique des programmes annualisés pour permettre aux enfants d’apprendre à leur rythme. « L’idée que les enfants apprennent la même chose à la même date dans tout le pays est une fiction » explique-t-il. « On crée des cycles en primaire et au collège. Mais on fait des progressions annuelles, on fait redoubler. Cherchez lerreur ! »  À l’inverse, il souligne que dans tous les pays très inclusifs les programmes annualisés ont été supprimés.

– Cesser de piloter le système par l’examen final : « Piloter le système par un examen aussi lointain que le bac est un non-sens et une entrave à l’école inclusive. C’est une forme d’exclusion.  Cela implique une réflexion en termes de rendement, de productivité scolaire. Or, l’école ne produit pas, elle émancipe. »

– Développer le coenseignement et les dimensions collaboratives et partenariales (avec les parents et d’autres métiers, comme les éducateurs, les orthophonistes, les psychologues…). « Le partenariat, c’est la clé de voute de l’école inclusive », assure-t-il.

Penser la formation et laccompagnement

Pour tout cela, l’accompagnement des enseignants est essentiel. « Sans formation, certains enfants nous renvoient un sentiment d’impuissance, ce qui parfois mène à des postures de rejet. On ne peut pas faire porter l’inclusion scolaire aux seuls enseignants, il faut qu’ils puissent déposer leurs affects, leurs sentiments, dans des dispositifs d’accompagnement, par exemple par l’analyse de pratiques. » D’autant qu’ « il n’y a d’inclusion réelle que si l’enseignant est capable d’intégrer psychiquement l’inquiétante étrangeté de l’élève différent ».

Avec la formation actuelle, on forme à la didactique des disciplines en ignorant les élèves, en prenant comme élève-type un élève moyen, et on découvre la variété des élèves quand on arrive dans la classe, après la formation. On ne travaille pas pour un élève « moyen », qui n’existe pas.

Il faut penser des entrées différenciées dans le savoir et penser une pédagogie universelle. Inclure, c’est enseigner en mettant certains élèves en autonomie, d’autres en groupes, d’autre en activité avec l’enseignant ou l’enseignante, varier les dispositifs pour rendre accessible par plusieurs voies un même savoir. Alexandre Ployé insiste : « L’école inclusive ce nest pas ʺcertains élèves ne font pas telle activités ou ne travaillent pas telle compétenceʺ ! ».

Mais aujourd’hui, en formation initiale dans certains Inspé, un enseignant a vingt heures de formation sur l’éducation inclusive dont la moitié sur les troubles et l’autre sur les dispositifs, et c’est tout. Sa conclusion est que « la formation au Cappei devrait être la formation initiale pour tous les enseignants, comme un viatique pour rendre accessibles tous les savoirs ».

Et il adresse ce message aux enseignants, pour desserrer l’étau de la forme scolaire traditionnelle, et construire des révolutions intimes qui permettent des avancées inclusives quand les structures ne progressent pas suffisamment vite : « Rebellez-vous, libérez-vous, faites les écrire par terre, refusez de noter… Que risquez-vous ? Faites ce que vous avez envie de faire ! De toute façon, pour le moment, ce qu’on fait ne marche pas. »

Cécile Blanchard


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