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« Je suis un pédagogiste »
Pour moi, cette question n’a pas de sens. Ce mot et cette étiquette sont déjà là. Une anecdote : nous sommes le 19 mai 2015. Je suis invité sur le plateau d’une chaine d’information continue dans un de ces débats binaires (et sans trop de nuances) que la télévision apprécie tant.
Le journaliste commence en me présentant ainsi : « Philippe Watrelot, vous êtes un pédagogiste. » Je réagis immédiatement en lui faisant remarquer que le terme qu’il emploie est plutôt utilisé pour discréditer la position de celui qu’on qualifie ainsi. Une fois le débat terminé, le journaliste revient vers moi pour m’avouer qu’il ne savait pas la signification péjorative de ce terme. Il l’entendait et le lisait constamment et pensait donc qu’il convenait parfaitement. Cet évènement est un des déclencheurs de l’écriture du livre.
Il ne sert à rien de se draper dans une sorte de silence outragé et se réfugier dans sa classe en pensant que la raison triomphera. Si cette étiquette joue comme une carte de visite auprès des physionomistes (gatekeeper) des médias, alors servons-nous-en pour porter une parole alternative et, tant que faire se peut, de la nuance.
Quand j’ai adhéré au CRAP-Cahiers pédagogiques en 1995, l’université d’été portait pour titre « Une idée positive de l’école ». C’est peut-être dans cet optimisme que réside la première idée-force du pédagogisme. Il agit à plusieurs niveaux : à l’égard des enfants et des jeunes qui nous sont confiés et dont nous pensons qu’ils sont tous éducables et qu’ils peuvent tous progresser. Célestin Freinet termine sa liste des invariants par ces mots : « Il y a un invariant aussi qui justifie tous nos tâtonnements et authentifie notre action: c’est l’optimiste espoir en la vie. »
L’autre niveau, c’est celui que résume parfaitement le slogan du CRAP : « Changer l’école pour changer la société, changer la société pour changer l’école ». Changer la société est essentiel, mais n’avoir que ce seul objectif peut conduire à nier le rôle de l’école dans la création et l’aggravation des inégalités et à être de « paisibles conservateurs » dans nos classes, pour reprendre une expression de Freinet.
Notre action, aussi modeste soit-elle, se fait d’abord au quotidien dans nos classes. La pédagogie, parce qu’elle est porteuse de valeurs, est très politique. La coopération, l’altérité, l’importance de l’agir, le sens à donner aux apprentissages, la nécessité de créer les conditions de la motivation plutôt que l’inculcation, etc., ce sont autant des valeurs que des dispositifs pédagogiques. Et ce sont les conditions pour créer une école plus juste.
Le pédagogisme, c’est aussi la nécessité de penser son métier collectivement et d’être partie prenante de l’école plutôt que de se lamenter et de subir un « système ». N’est-ce pas ce que font les Cahiers pédagogiques depuis leur création ?
Comme je le dis dans le livre : « La classe résiste magistralement. » Le problème du discours pédagogiste, c’est qu’il a été accaparé et dévoyé par une technostructure qui oublie trop souvent de faire la « pédagogie de la pédagogie ». On aboutit à une vulgate qui hérisse les enseignants plus qu’elle ne crée l’adhésion.
Malgré tout, l’école évolue, à bas bruit. Les pratiques enseignantes, notamment dans le primaire, ont considérablement changé tant au niveau de l’évaluation que de la mise en activité. Dans le secondaire, les choses bougent plus lentement sur ces sujets. La pédagogie de projet et la co-intervention avancent à petits pas. Mais je suis persuadé que les pratiques dictées par la nécessité évoluent plus vite que les discours, qui sont figés dans les certitudes et l’idéologie. Il faudrait créer un véritable observatoire des pratiques enseignantes pour sortir des clichés et donner à voir leur véritable richesse.
Déjà, comme je viens de le dire, en dépassant le stade des discours et des déclarations péremptoires de salles des professeurs. Ce qui m’agace le plus dans les attaques contre les pédagogistes, c’est l’idée qu’ils seraient « hors-sol ». Comme s’il fallait renvoyer à une sorte d’étrangeté et nier que des personnes ayant les mêmes conditions de travail puissent avoir des analyses et des pratiques différentes. Nous sommes des collègues !
Il nous faut admettre et même encourager la dispute dans nos établissements. La posture pédagogiste a le défaut d’être souvent perçue, à tort ou à raison, comme exemplaire et donc culpabilisatrice. Se sent culpabilisé qui veut bien l’être ! Mais nous devons nous aussi nous méfier de la tentation du repli et du dogmatisme. « J’aime les gens qui doutent », disait Anne Sylvestre. La certitude n’est jamais bonne pour des enseignants qui doivent être sans cesse en recherche.
La notion de confiance a été complètement pervertie par le ministère Blanquer. Avant même de dire que les enseignants sont les « meilleurs experts », en plus d’une réelle revalorisation, il faudrait déjà leur redonner du pouvoir d’agir. Quand on peut on veut ! On est en France, dans une école trop bureaucratique, trop obsédée par les procédures, alors que les finalités assignées au système éducatif sont floues et multiples.
Ces finalités (pas les manières de faire), je pense qu’elles doivent faire l’objet d’un vrai débat national. Même si la première expérience avec l’écologie a montré ses limites, je propose une convention citoyenne sur l’école. Je fais le pari qu’on peut construire un vrai débat éclairé et argumenté et que l’urgence sociale et politique de la lutte contre les inégalités en deviendra l’enjeu majeur.
S’il y a une urgence écologique, il y a donc aussi une urgence sociale. Si la France continue à être le pays où l’origine sociale joue le plus dans la réussite scolaire, il y a un vrai risque d’implosion ou d’explosion sociale. On ne peut plus fonder une politique éducative sur les mythes de l’élitisme républicain et de la méritocratie. Ces mythes nous abusent. Il nous faut construire une école vraiment démocratique.
La première version de ce livre était trop dans la réfutation des clichés et l’argumentation en défense du courant pédagogiste. Et puis, au fur et à mesure de l’écriture, l’évidence du calendrier s’est imposée. La deuxième partie de l’ouvrage est donc plus offensive et revendicative dans la perspective de 2022. Le livre n’est pas un programme mais comporte un certain nombre d’idées et de propositions. J’espère qu’elles seront lues et débattues par tous les progressistes et je suis prêt à les défendre avec tous ceux qui s’y retrouveront.
Je sais que les questions éducatives ne se réduisent pas à un débat « droite-gauche » et sont bien plus complexes. J’espère qu’on saura dépasser la posture « tous contre Blanquer » qui masque de réels clivages, pour construire une véritable alternative au service de la justice sociale. Si mon livre peut modestement y contribuer, j’en serai heureux. Car l’éducation mérite un vrai débat et la nécessaire transformation de l’école ne peut attendre.
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