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UPE2A : le gout des autres

Nathalie Teodoresco a trouvé son port d’attache pédagogique en arrimant son gout d’enseigner à un dispositif UPE2A (unité pédagogique pour élèves allophones arrivants) niché dans une école en Haute-Garonne. Elle mise sur la richesse interculturelle, le plurilinguisme et l’ouverture aux autres pour composer un passeport sans frontières vers les savoirs.

Elle savait qu’un jour elle ferait ce genre de métier, qu’elle enseignerait auprès d’enfants venus d’autres pays, parlant d’autres langues. Plus qu’un pressentiment, c’était une certitude ancrée dans l’histoire de sa famille, celle de sa grand-mère maternelle, institutrice, celle de son grand-père moldave qui, à 17 ans, a fui seul le pogrom de Iasi en Roumanie et est arrivé en France. Il était là, « vaillant, solide, magnifique », « un repère » bienveillant mais taiseux sur son propre parcours.

Elle, elle a envie de savoir. Elle s’intéresse à la culture roumaine et, durant ses études en lettres modernes, sciences du langage et en français langue étrangère, elle décroche une bourse Erasmus pour passer un été en Moldavie. Elle découvre le pays de son grand-père puis rentre et valide son diplôme de pratique de langue et civilisation roumaines. « C’est le sens inverse de ce que je fais aujourd’hui auprès de mes élèves. » Elle se passionne aussi pour d’autres langues étrangères, l’espagnol en particulier, dans une soif de découvrir d’autres langues et cultures. Dans ses études comme dans son professorat, elle présente cette ouverture, ses connaissances comme un atout professionnel. Chaque fois, on lui répond que non, parler roumain n’est pas un atout dans le métier d’enseignant du premier degré. Ses interlocuteurs avaient tort, mais il lui a fallu patienter un peu pour vivre à plein sa passion.

Une équipe de choc

Elle enseigne dans différents lieux, en maternelle, en cycle 1, en cycle 2, puis, il y a dix ans, arrive à l’école Michelet à Auterive, en Haute-Garonne, où elle travaille encore aujourd’hui. Elle s’y sent bien auprès d’une « équipe de choc avec de beaux projets ». Le public est hétérogène avec beaucoup d’élèves dont les familles sont en difficulté sociale et économique et pour certaines, arrivent de l’étranger. « J’ai enseigné pendant sept ans en CP et j’ai accueilli beaucoup d’enfants allophones sans savoir que les dispositifs UPE2A existaient. »

L’équipe enseignante se mobilise pour permettre au mieux à ces enfants d’apprendre, met en place des stratégies pédagogiques et humaines mais s’épuise peu à peu, à force de ne pas avoir les méthodes et outils adaptés. « Sur les conseils de Mme Estivals, inspectrice de la circonscription, nous avons pris contact avec le Casnav (Centre académique pour la scolarisation des enfants allophones nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs) de Toulouse. Sophie Lapaïan et José Segura sont venus nous former. »

Ouverture d’une UPE2A

Ce premier contact est pour elle un encouragement. Elle sait désormais qu’il existe des postes pour enseigner dans le premier degré auprès d’élèves migrants nouvellement arrivés en France. « Je pensais que c’était destiné à des profs hyper spécialisés. Non, ce sont des postes à profil. » L’école obtient l’ouverture d’un dispositif UPE2A et son inspectrice l’encourage à demander le poste créé à cet effet. « Je l’ai obtenu grâce à mon parcours universitaire, mon expérience et ma maitrise de l’espagnol et du roumain. » Son pressentiment de jeune adulte se confirmait à l’aube de ses cinquante ans, sa passion pour les autres cultures était un atout.

Les élèves allophones sont orientés dans sa classe après une évaluation par l’espace d’accueil de la Haute-Garonne. Ils sont entre quatre et dix selon les périodes. Certains ont été scolarisés dans leur pays d’origine, d’autres pas ou très peu. Ils sont rattachés à une classe d’accueil déterminée en fonction de leur âge. Ils apprennent à produire et comprendre du français à l’oral et à l’écrit, à devenir élèves lorsqu’ils ne l’ont jamais été. Elle apporte un regard spécifique sur le décalage entre leur niveau et ce qui est attendu d’eux dans la scolarité.

Elle travaille en complicité avec ses collègues et conçoit avec eux des parcours adaptés. En cas de difficulté, une demande est faite pour que l’enfant reste une année de plus dans le dispositif et dans la même classe d’accueil si possible. « Il y a aussi ces élèves arrivant de pays où ils ont été scolarisés qui apprennent très vite et dépassent certains élèves français. Et puis, la plupart des élèves maitrisent plusieurs langues. Alors, l’échec, je ne veux pas en voir. » Elle est présente à mi-temps dans ce dispositif.

Itinérance à mi-temps

Pendant l’autre mi-temps, elle travaille en itinérance pour venir en soutien à quatre écoles sans dispositif UPE2A. Là, son intervention concerne une dizaine d’élèves de cinq niveaux différents. « J’arrive avec une valise à roulettes contenant du matériel et des jeux adaptés. » Elle instaure un suivi linguistique, fait « un travail pour développer rapidement un langage dit de survie » avec l’acquisition d’un lexique de base. Dans chaque école, elle reste deux demi-journées par semaine. Il lui arrive parfois d’intervenir dans une classe en appui aux enseignants. « Moi, j’interviens pour les rassurer, les encourager, équiper numériquement les classes. Je parle aux élèves en roumain et en espagnol pour les mettre en situation d’élèves allophones. C’est très ludique, ils adorent et en redemandent ! Ils posent ensuite beaucoup de questions et parlent plus facilement de leurs origines étrangères. Cela permet d’éduquer le regard sur la richesse de l’autre dans sa différence. »

Lorsqu’elle a débuté en UPE2A, elle a dû trouver ses marques pour créer le dispositif. Elle a bénéficié d’un accompagnement fort de la part de la mairie d’Auterive et de l’inspection. Le Casnav a fourni des aides matérielle et pédagogique et des formations qui l’ont fait vite progresser. Elle est allée rencontrer des collègues en itinérance. Ses pratiques de pédagogie coopérative en maternelle l’ont aussi aidée.

Confinement et compte Twitter

« Il y a eu beaucoup d’inscriptions dans le dispositif. J’étais vraiment dans mon élément et le confinement est arrivé. Je me suis sentie frustrée car je savais mes élèves isolés ainsi que leurs familles ». Avec les collègues de son école, elle met en place un Padlet. Elle pense aussi à la création d’un journal Twitter pour communiquer avec l’extérieur, elle qui pourtant n’est pas sur les réseaux sociaux. L’idée se concrétise avec la création du compte UPE2A & Cie. Les productions des élèves composées de textes et de dessins sont postées. Nathalie Teodoresco laisse le texte intact en mettant entre parenthèses les mots mal orthographiés. Les enfants visualisent ainsi les erreurs sans que leur expression soit modifiée.

Aujourd’hui, plus de mille abonnés suivent le compte. « Le journal a pris de l’ampleur. Les enfants avaient très envie d’écrire, de dessiner, de lire, d’échanger sur le dispositif et leurs origines. Pendant et après le confinement, les gens avaient envie de communiquer avec nous. C’était très touchant. Nous avons beaucoup de fidèles qui partagent avec bonheur la vie joyeuse de notre UPE2A, des abonnés de tous les milieux sociaux et professionnels, de tous les pays. »

L’association « Un sourire pour Camille », qui a pour but de « réaliser les rêves d’enfants gravement malades et de distribuer des sourires », est devenue un partenaire à part entière. Camille a même été nommée marraine du projet annuel du dispositif et viendra bientôt rencontrer la classe. Des artistes échangent activement avec les élèves. Cela ravit l’enseignante qui mobilise l’art depuis toujours dans ses pratiques pédagogiques. « Nous créons des livres numériques plurilingues avec entrée artistique, en lien avec Sergio Schmidt-Iglesias, un artiste contemporain uruguayen qui travaille l’imaginaire, les formes et les couleurs. Et avec le dessinateur Fred Sochard qui explore beaucoup la richesse du plurilinguisme et du pluriculturalisme. Twitter nous a ouvert beaucoup de belles portes ! »

Danse inclusive

L’ouverture au monde par la culture se vit aussi dans le monde réel. Elle poursuit les projets chorégraphiques qu’elle développait en tant qu’enseignante en maternelle puis en CP. Elle coordonne les projets danse à Auterive, auxquels participe aussi le collège. Chaque année, dix séances avec la chorégraphe et danseuse toulousaine Laurence Katz de la compagnie Dadadzo sont financées par le rectorat et la municipalité. Cette année, des collégiens de 5e ont dansé avec des élèves scolarisés dans des dispositifs adaptés, des enfants de l’Institut médicoéducatif, des élèves de CP, CM1 et CM2. « Tous les corps dansent, allophones, handicapés ou non… Cela donne des belles émotions artistiques ». Le projet est densément inclusif.

Nathalie Teodoresco partage sa passion avec ses collègues, les associe dans cette forme de communication artistique qu’elle apprécie. Les parents sont ravis de voir leurs enfants danser. Les élèves sont invités aux spectacles de leur chorégraphe, une expérience souvent inédite pour eux. « Ces projets sont pérennes, les enfants ont souvent dansé au premier degré et, au collège, ils redansent. Il y a une mémoire du corps. Cela permet aux petits comme aux préados de se sentir plus à l’aise dans leurs corps et avec les autres dans une très belle mixité. »

En 2020, le projet mené avec les CM2 sur le thème de « Monstres, légendes et mythologie » a été répertorié dans l’Innovathèque, le portail de l’innovation et de l’expérimentation pédagogiques du ministère de l’Éducation nationale. La danse n’est pas le seul art intégré dans le projet de classe, il y a aussi la sculpture, le dessin, le modelage la peinture la photographie, etc. « C’est une façon d’apprendre le français via le pluriculturalisme. L’apprentissage des différents lexiques de français langue seconde pour produire à l’oral et à l’écrit s’ancre aussi et toujours dans la langue d’origine de l’élève. Le plurilinguisme est quotidien en UPE2A. »

Dans toutes ces initiatives, ce qui la ravit c’est de voir le dispositif UPE2A s’inscrire dans le périmètre plus vaste d’un travail d’équipe, traduit dans un projet d’école où les élèves apprennent les uns des autres, quels que soient leur parcours ou leur origine. « Une école avec UPE2A, c’est une ruche. » Elle se sent soutenue par ses collègues de l’école et en itinérance, accompagnée par le Casnav et encouragée par sa hiérarchie. Sans doute, dans sa « classe unique du monde », perçoit-elle la présence de son grand-père auprès d’elle, lui qui lui a transmis cette passion des autres cultures, des autres langues et ce respect pour les parcours et les richesses de ceux qui ont traversé les frontières.

Monique Royer

Le compte Twitter UP2A & Cie

Le padlet de l’équipe d’Auterive


À lire également sur notre site :
L’épopée silencieuse des enseignants d’UPE2A pour la continuité pédagogique, par Catherine Mendonça Dias
Apprendre, créer et vivre en liberté : une année en projets, par Mithat Furkan Codar
Pour que l’égalité ne soit pas qu’un slogan, interview des coordonnateurs du dossier , Jean-Pierre Fournier et Françoise Lorcerie


Sur notre librairie :

 

N°558 – Les élèves migrants changent l’école
Coordonné par Jean-Pierre Fournier et Françoise Lorcerie

Les migrations internationales ne font pas seulement l’actualité, elles sont le présent de notre école. Son futur aussi. Sans prêter foi aux images qui veulent faire peur, prenons-en acte. Comment faire pour accueillir des élèves de toutes origines, de tous âges et de toutes langues maternelles ?