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« Sortir d’une compréhension étroitement nationale et politique de la citoyenneté »

Camille Roelens et Aurélie Zwang

Camille Roelens et Aurélie ZwangComment éduquer à la citoyenneté à l’heure où celle-ci se décline en écocitoyenneté, citoyenneté numérique, eurocitoyenneté, etc. ? Et comment se situer dans la tension entre une éducation normative, pour faire respecter règles et valeurs, et une éducation émancipatrice, pour former les élèves à se faire leur propre jugement ? Notre dossier « Citoyenneté(s) » propose à la fois des réflexions et des pistes de mise en œuvre, comme l’expliquent ses coordonnateurs, Camille Roelens et Aurélie Zwang.
Quel a été le point de départ de ce dossier ?

Il nous était apparu que, dans le discours public, l’éducation à la citoyenneté est devenue une figure rhétorique laissant entendre qu’avec du « volontarisme républicain » ‒ soit une politique scolaire visant à (ré)inculquer aux élèves certaines valeurs et attitudes ‒ tous les problèmes pourraient être résolus. Pensant au contraire que cette question éducative liée à la citoyenneté était beaucoup plus complexe, nous voulions recueillir des points de vue théoriques et des retours d’expériences menées à l’école ou en dehors, d’une part, et, d’autre part, nous voulions orienter vers une multiplicité de déclinaisons de la citoyenneté. De fait, récemment, ce que nous avions appelé dans l’appel à contributions des « citoyennetés à préfixes et à adjectifs » ont fait leur apparition : l’écocitoyenneté, l’eurocitoyenneté, la citoyenne sexuelle, la citoyenneté numérique, etc. Une belle occasion de sortir d’une compréhension étroitement nationale et politique du terme.

Votre avant-propos évoque une tension entre deux objectifs assignés à l’éducation à la citoyenneté : la visée émancipatrice et la visée normative. Est-ce que le dossier fait un choix entre les deux ?

Nous avons choisi de présenter une diversité de positionnement par rapport à ces deux visées. Pour prendre l’exemple de l’écocitoyenneté, nous présentons autant un point de vue éducatif normatif lié à la psychologie de l’environnement qu’une prise de recul sur l’injonction du « devenir écocitoyens » ; de sorte que le lecteur ou la lectrice pourra connaitre les différents positionnements sur le sujet. De la même façon, des points de vue très critiques et argumentés sur les représentations de l’institution scolaire et sur ses positionnements dans la manière de « décréter » une formation à la citoyenneté côtoient des points de vue plus lisses sur la culture civique à l’école, la citoyenneté mondiale ou le partenariat pour l’engagement citoyen.

Nous voulions en cela rendre compte de ce que nous pensons être une tension entre des rapports de l’État et des citoyens et citoyennes dans lesquels la visée normative est très dominante selon nous, au regard, au contraire, de ce que nous pensons une demande sociale et des attentes individuelles très fortes en faveur d’une visée émancipatrice. Ce dossier se veut aussi un pas dans cette direction, dans l’idéal.

Que trouveront les lecteurs et lectrices dans les articles ?

Les lecteurs et les lectrices trouveront autant des points de vue théoriques sur les enjeux de l’éducation à la citoyenneté au sens républicain classique ou bien encore sur les citoyennetés émergentes, que des retours d’expériences en France et à l’international (Québec, Brésil, États-Unis). Deux fiches-outils permettent de donner des lignes directrices sur la participation des élèves à un vote au sein de l’établissement ou bien sur la manière d’engager ses élèves dans l’éducation à la Défense. De cette façon, nous pensons contribuer au fait de cultiver une certaine lucidité sur le caractère largement mythique et rhétorique des discours sur l’éducation à la citoyenneté en général, et en France en particulier, bien éloigné des pratiques réelles.

Des articles illustrent aussi comment des élans normatifs et des normes pouvant apparaitre très abstraits au départ (comme les déclarations de droits) ont, historiquement et aujourd’hui encore, des conséquences très concrètes sur la manière effective des individus de se vivre et de se concevoir comme citoyens et citoyennes. C’est ce que montrent, par exemple, des textes très en lien avec une idée légaliste de la justice et de la démocratie, comme ce texte relatant une action d’éducation populaire à Rennes ou cet arbre de la citoyenneté permettant de travailler sur le souvenir de l’esclavage. Les actions éducatives sur la citoyenneté trouvent leur légitimité sur ce corpus normatif qui encadre nos manières de vivre en société, dans le respect des droits de chacun et chacune.

Quelque chose qui vous a marqués ou que vous retenez plus particulièrement de ce travail au long cours ?

Nous avons remarqué combien, dans les contributions, les visées émancipatrices et les valeurs de justice sociale voire environnementales sont les moteurs d’un intérêt, voire d’un engagement, des actrices et acteurs de l’éducation et de la formation aux citoyennetés. Pour nous, l’avenir de ces objets et sujets de préoccupation et d’enseignement se dessine à cet horizon-là, même si des vagues contraires voire contrariantes pointent avec entêtement.

Propos recueillis par Cécile Blanchard

Sur notre librairie

Couverture du n° 596, « Citoyenneté(s) »