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Planter des arbres, récolter des valeurs

Il fait chaud, 90 % d’humidité rendent d’autant plus difficile de supporter d’être en plein soleil, les pieds dans la vase et l’eau saumâtre, à répéter inlassablement le même geste : prendre une propagule, équivalent d’un fruit de palétuvier, repérer son sens, et l’enfouir à moitié dans la vase.
Une trentaine d’élèves de 11 ans s’activent. Ils viennent tous du lycée français Blaise-Pascal de Libreville (Gabon), conventionné avec l’AEFE (Agence pour l’enseignement français à l’étranger). Avec eux, le responsable du projet Arc d’Émeraude1 porté par l’AFD (Agence française de développement) mouille également son teeshirt après avoir expliqué aux élèves la marche à suivre.
Autour, la forêt équatoriale, l’océan, et des écogardes de l’ANPN (Agence nationale des parcs nationaux) du Gabon qui veillent pour prévenir des potentiels dangers (crocodiles, hippopotames, éléphants) : ici, la nature est restée sauvage.
Nous sommes au campement de Nyonié, et ce sont des élèves de 6e qui sont à la manœuvre dans le cadre de l’enseignement de sciences et technologie. Ils restaurent une mangrove très abimée par un projet immobilier de luxe avorté, qui devait prendre naissance dans cette zone encore vierge, aux portes du parc naturel de Pongara. Le Gabon propose une nature exceptionnelle ; c’est un modèle en Afrique centrale, s’agissant de sa préservation. Toutefois, d’année en année, des coups de canifs y sont portés.
Le projet de restauration a débuté bien avant sa réalisation concrète sur le terrain.
En amont du séjour sur le terrain, il s’agissait, dans le cadre d’un enseignement pratique interdisciplinaire, de sensibiliser les élèves à ce qu’est la mangrove, son écologie, et les services écosystémiques qu’elle rend.
L’analyse de photographies aériennes a montré la prépondérance de la mangrove autour de Libreville (dans le parc national d’Akanda), et des analyses documentaires ont permis de déterminer ses rôles. Cela a été associé à une première sortie de classe dans cette luxuriante forêt en eau trouble. Une journée au cours de laquelle différentes mesures et observations, notamment de la faune et la flore, ont été réalisées. Les élèves ont également rencontré et questionné les écogardes du parc sur leur rôle, ainsi qu’une famille de pêcheurs locaux sur leur mode de vie.
La tâche finale s’est concrétisée par un jeu de rôle où des élèves devaient incarner des promoteurs immobiliers dont le but était de convaincre des décideurs politiques, incarnés par d’autres élèves, de viabiliser des zones de mangroves pour y construire habitations et commerces. Un dernier groupe d’élèves prenait le rôle d’écologues militant pour la préservation de ces zones naturelles. Les décideurs ont toujours penché en faveur d’une sanctuarisation de celle-ci au détriment de profits rapides et juteux.
Dans un second temps, nous nous sommes davantage centrés sur le palétuvier, arbre à la biologie si particulière constituant l’espèce majeure de cette forêt en eau saumâtre. Des dessins d’observation et des mesures de croissance de propagules ont été réalisés.
Plus d’une centaine de propagules a été mise en germination dans des bouteilles usagées. Chacune comportait une étiquette indiquant un des rôles de la mangrove et quoi faire du palétuvier naissant. Elles ont été distribuées aux élèves et parents lors de la journée portes ouvertes de l’établissement. Après leur germination, ils devront être plantés dans une zone propice à leur développement, à savoir dans la vase ou le sable.
C’est seulement après cette étape de découverte, de sensibilisation et d’action militante que s’est imposé à nous le projet de restauration de la mangrove de Nyonié.
Pour ce projet, les élèves sont répartis en quatre équipes. Au sein du groupe, chaque élève incarne un rôle particulier comme explorateur, journaliste ou chercheur. Chacun a un badge nominatif indiquant son rôle, et un carnet de terrain à compléter. Les questions portent sur de nombreux domaines ayant trait aux sciences de la vie, à la technologie, à la géographie, mais aussi à la politique de préservation de la nature du Gabon, ou à la dynamique sociale autour du campement.
Le premier jour, un temps est destiné à se repérer sur des cartes, à comprendre le fonctionnement des moyens de transport et du campement, isolé de toute infrastructure urbaine. Un tour en véhicule tout-terrain est organisé dans la zone afin d’en comprendre les différents milieux écologiques (dessins, mesures) et y observer faune, flore, ou encore les sols et l’eau. Quatre écosystèmes différents y sont décrits : jungle, prairie, plage et mangrove. Les observations et mesures réalisées sont ensuite mutualisées, afin de compléter le carnet de terrain.
Le deuxième jour, nous partons randonner dans la brousse, chargés de nos centaines de propagules, jusqu’à la zone détruite par le projet immobilier. En passant devant un engin de chantier rouillé, de vieux barils de carburants ou d’un algéco en ruine, les élèves commencent à en estimer les stigmates.
L’ancienne mangrove protégeait la côte de l’érosion, les racines des arbres stabilisant le sable et créant un sol argileux stable. Aujourd’hui, le trait de côte change. À la place d’une forêt ne subsiste qu’un espace jonché de monticules de sables à l’abandon. Conséquence concrète : l’espace du petit-déjeuner de l’an dernier, qui était surélevé de quelques mètres, a été grignoté par la mer et s’est effondré, malgré de multiples renforts.
Après un dur labeur de plantation, le retour se fait par la plage. Les élèves collectent un maximum de déchets amoncelés par les courants marins. Certains sont issus des pays voisins. Au retour au campement, une pesée des déchets est effectuée. Le carnet de terrain continue de se remplir.
Chaque groupe doit interviewer un des acteurs avec qui nous avons passé du temps : guide, écogarde, serveur ou membre du projet Arc d’Émeraude. Des témoignages qui seront partagés avec l’ensemble de la communauté scolaire de l’établissement.
Les élèves repartent avec un diplôme témoignant de leur action.
Pour la plupart des élèves, nés et ayant vécu toute leur vie sur place, découvrir leur environnement proche a été un choc. On peut espérer que l’impact de cette expérience sera durable. Dans cet établissement, on sait que la plupart des élèves sont voués à des carrières de haut niveau : certains seront amenés à diriger le Gabon, d’autres à suivre des carrières de cadres, d’ingénieurs. Je trouve intéressant d’avoir semé quelques graines dans ces esprits.
Les retours ont été unanimement positifs. Le projet a été porté deux années de suite avant de prendre une brusque fin avec la pandémie de covid-19. Mais en réalité, il se poursuit, car les palétuviers poussent d’année en année. Et d’ailleurs, encore aujourd’hui, l’équipe du lycée continue d’organiser des actions de reboisement de ce type.
Ce sont près de 5 000 arbres qui viennent panser des blessures injustes, grâce à l’action de quelques centaines d’élèves. Peut-être garderont-ils toute leur vie un souvenir de cette parenthèse dans leur vie scolaire.
Il n’a pas été évident ni facile d’organiser cette aventure. Nous avons fait face à de nombreux défis sécuritaires, financiers, logistiques et pédagogiques, relevés grâce à la collaboration étroite entre des enseignants motivés soutenus par leur direction, l’AFD, l’ANPN, et bien entendu, grâce au professionnalisme de l’équipe sur place. Il aura fallu plus d’une année pour le concrétiser.
Lors d’un de ces séjours, nous avons d’ailleurs eu la chance de pouvoir organiser un échange avec Francis Hallé, botaniste français spécialisé dans les forêts tropicales et l’architecture des arbres, père du « radeau des cimes ». Nous avons participé au tournage du film pour lequel il était là, Une vie en forêt. Le documentaire comprend donc une séquence durant laquelle le botaniste partage ses réflexions sur la nature avec les jeunes. Une rencontre d’une richesse incommensurable.
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