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Au cœur de la ville, la résidence en forêt

Au Québec, une expérience collaborative entre des enseignants et une association protectrice du mont Royal est menée en faveur d’élèves de primaire issus de milieux défavorisés, afin de créer des liens affectifs durables entre ces jeunes urbains et la nature.

Les jeunes passent de moins en moins de temps dans la nature, et cette diminution a des conséquences sur leur santé et leur bienêtre. Au Québec, le mont Royal, par son accessibilité et sa proximité, offre une expérience de nature unique à des milliers de jeunes montréalais. On y retrouve des forêts centenaires et des espaces verts abritant une biodiversité exceptionnelle en milieu urbain. Les quartiers les plus densément peuplés de la ville, avec une diversité sociale importante, sont à proximité.

Depuis 1986, Les amis de la montagne (organisme à but non lucratif) ont privilégié le contact direct avec la nature dans leurs programmes éducatifs, développant des activités sur le mont Royal pour tous les groupes d’âge. Ils offrent une expérience d’immersion dans la nature significative à des élèves défavorisés des classes de deuxième cycle du primaire de Montréal, en créant un projet novateur de résidence en forêt sur le mont Royal. La résidence en forêt vise à accompagner les enseignants dans la découverte de cette approche pédagogique et à leur offrir des opportunités pour intégrer les apprentissages en plein air à la salle de classe. Et aussi à impliquer les parents dans le projet et les inciter à sortir davantage dans la nature avec leurs enfants.

Connecter les jeunes à la nature

Cette pédagogie par la nature vise à offrir une expérience d’immersion dans un milieu naturel local pour créer, chez l’enfant, des liens affectifs forts avec ce milieu, favoriser le développement intégral de l’enfant et l’adoption de saines habitudes de vie. Les nombreuses recherches sur ce sujet font ressortir différents faits. Les enfants vivant en milieu urbain sont ceux qui ont le plus grand déficit nature, mais un contact quotidien de proximité dès le plus jeune âge permet de développer un rapport affectif et sensitif durable à la nature. Celui-ci est facilité par la présence d’un accompagnateur, enseignant, parent ou éducateur. La famille et la communauté jouent aussi un rôle important pour développer cet attachement à la nature.

Le programme de résidence en forêt cherche à développer chez les participants jeunes et adultes un sentiment d’appartenance au territoire construit au fil des semaines. Il vise également à développer un sentiment de responsabilité envers le milieu, notamment en privilégiant le développement du respect et de la bienveillance à l’égard de la nature. Enfin, par sa structure souple, il propose un rythme d’apprentissage différent de la classe s’adaptant au désir du groupe. Le programme vise également à outiller l’enseignant pour intégrer l’immersion dans la nature dans sa pratique. Jumelé avec un éducateur en environnement des Amis de la montagne, la responsabilité des activités passe de l’éducateur à l’enseignant au fur et à mesure des séances.

Des séances ritualisées

Le programme est constitué de huit séances de quatre heures (incluant la pause lunch), à raison d’une par mois, qui se déroulent entièrement à l’extérieur. Un site en forêt, à proximité d’un des bâtiments du parc, sert de camp de base. Selon l’intérêt des enfants ou les thématiques souhaitées par l’enseignant, d’autres secteurs du parc sont utilisés ponctuellement. Chaque participant enfant et adulte se choisit un surnom de forêt, un animal, une plante ou un élément biophysique, utilisé pendant tout le projet. Ce nouveau nom peut donner lieu à diverses activités proposées par l’enseignant en classe : dessin, texte, recherche scientifique. Il contribue à renforcer l’appartenance au milieu en s’identifiant soi-même comme une de ses composantes naturelles.

La séance débute par un cercle de parole où les jeunes partagent leurs attentes et leurs ressentis pour la journée. Les jeunes partent ensuite explorer le milieu en petits groupes avec leurs sens, par exemple en cherchant des couleurs ou des odeurs particulières, et ils constatent les changements dans la forêt depuis leur dernière visite. Selon la saison et le milieu, l’exploration pourra évoluer vers un thème comme la préparation à l’hiver ou la recherche de nourriture pour un animal. On fait souvent appel à l’imaginaire pour développer l’affectif. Un vieil arbre tordu deviendra un arbre à souhaits, et on pourra imaginer toute une histoire en groupe sur son rôle dans la forêt. La cartographie du milieu par ces repères affectifs permet de le rendre familier : un secteur du parc devient la vallée des terriers ou un bosquet d’épinettes la forêt noire.

La pause du midi se fait en nature et elle est assez longue. Ce moment permet aux jeunes de développer leur créativité et leur autonomie dans leur contact à la nature à travers le jeu libre. On privilégie l’émergence de jeux à partir du milieu en délaissant graduellement du matériel usuel apporté de l’école, par exemple les ballons. Une aire dégagée entourée d’arbres ou d’arbustes, où les matériaux naturels comme les branches ou les roches abondent, est idéale pour stimuler le jeu libre et laisser suffisamment de liberté aux jeunes.

En fin de séance, nous intégrons souvent des moments de solitude avec la nature pour aller encore plus loin dans le lien affectif. Par exemple, en invitant les jeunes à adopter un arbre et à lui rendre visite à chaque séance. Ce moment avec leur arbre peut permettre de faire le bilan de la journée par un dessin ou un court texte à écrire. On termine par un partage en groupe sur le vécu de la journée.

Des apprentissages stimulants

Plusieurs moyens ont été prévus pour évaluer les retombées positives du projet et permettre les échanges entre les éducateurs et les enseignants, dont une journée de formation en début de programme et un journal de bord pouvant être partagé par courriel. Les enseignants ont souligné l’apport positif du programme sur l’apprentissage et le développement des élèves, notamment par les expériences d’exploration et le jeu qui encouragent le questionnement et la découverte de la nature. Ces expériences favorisent la créativité et la curiosité et permettent de retrouver le plaisir d’être dehors et d’apprendre en faisant.

Les élèves font des liens entre leur vécu dans la nature et les apprentissages en classe, et les enseignants répondent aux interrogations survenues après les sorties, consolidant une ambiance de complicité et d’apprentissages stimulants. La participation des parents est un atout particulièrement enrichissant pour le projet. Ils se familiarisent avec le vécu de la classe et contribuent au programme en partageant leurs compétences et en appuyant0 la gestion du groupe. Le programme a été très formateur pour les enseignants, qui peuvent expérimenter les défis de l’enseignement dans la nature dans un environnement moins contrôlé que la classe, avec le soutien des éducateurs et des parents.

Éric Richard
Conseiller scientifique Les amis de la montagne, Montréal, Québec


Sur la librairie:

Apprendre dehors

Coordonné par Aurélie Zwang et Jean-Michel Zakhartchouk

Après les confinements successifs, l’intérêt pour les pratiques d’éducation en plein air est grandissant. Inscrites dans l’histoire de la pédagogie, elles sont non seulement mises en œuvre à l’école, de façon régulière ou lors de sorties de terrain plus ponctuelles, mais aussi dans le périscolaire. Il s’agit dans ce dossier d’interroger ce qui s’apprend de spécifique dehors.

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