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Langage oral et classe dehors à l’école maternelle

Je pratique la classe dehors depuis la rentrée 2020 tous les mercredis matin. Avec ma classe, nous nous rendons toujours au même endroit, qui se situe à cheval entre une grande pelouse et un espace arboré. Les élèves peuvent grimper à un arbre, ramasser et observer des éléments de la nature. Ils creusent dans la terre, construisent des cabanes, font des courses de relais, roulent dans l’herbe, peignent, écrivent, jouent à la dinette, se cachent, jouent de la musique, dessinent, lisent, etc.
Les possibilités de jeux et d’apprentissages sont infinies. Après un temps de regroupement sur une bâche, et le rappel de règles de sécurité, le groupe classe s’éclate, des petits groupes se forment par-ci par-là, par affinités ou autour d’une activité commune. La classe dehors permet une levée des contraintes liées au bruit et à l’espace.
Ce n’est pas anecdotique : en classe dehors, l’élève expérimente une forme de liberté qui me semble être un terreau fertile au développement du langage : vocabulaire, syntaxe, communication entre élèves mais aussi entre les élèves et l’adulte. L’éclatement en petits groupes autonomes autorise des échanges permanents, et permet à l’adulte d’être pleinement – et parfois longuement – disponible pour le ou les élèves qui le sollicitent.
Il me semble que la classe dehors est particulièrement bien adaptée à la mise en œuvre de certains pans des programmes officiels concernant le langage oral. Voici quelques exemples.
- Oser entrer en communication et exprimer un besoin
Le fait de sortir des murs de l’école redistribue les cartes de la prise de parole. J’ai vu des élèves habituellement petits parleurs devenir très volubiles et s’exprimer à haute et intelligible voix en extérieur. Peut-être en raison d’un rapport au langage très éloigné des attendus de l’école ? Les élèves sont dans un autre rapport aux autres, notamment à l’adulte, qui fait un pas de côté et laisse la spontanéité des élèves prendre le pas sur des activités prévues ou organisées.
L’écoute de l’enseignant est nécessairement active en classe dehors. D’autant que la classe dehors, ce sont aussi des prises de risques mesurées. Certes, sans murs, on pourrait se perdre, tomber, glisser, se faire une égratignure. Parfois, même, le fait de se salir peut susciter une inquiétude chez l’élève. Cela implique que les adultes (enseignants et accompagnateurs) soit un repère absolu et disponible, à qui l’élève peut adresser une demande d’aide à tout moment, pour répondre à un besoin immédiat. C’est peut-être aussi ce qui favorise la levée de timidité de certains élèves.
- Comprendre et se faire comprendre
Parce qu’ils se sentent libres, presque sans contraintes spatiales, et grâce au truchement d’éléments naturels auxquels les petits parisiens ont rarement accès, la classe dehors est un moment beaucoup plus pacifique que la récréation. Les échanges y sont nombreux et riches. Les élèves prennent le temps de faire des propositions, ils émettent des idées de jeux : « Et si on construisait une cabane ? » « On imagine qu’on serait des pirates. » Ils établissent des règles : « Je garde la pelle cinq minutes et après je te la prête. » Ils expriment leur avis : « Je la trouve belle, cette feuille. »
Les situations de coopération sont nombreuses, dans lesquelles l’usage d’une parole juste et précise est indispensable : « Toi, tu tiens le seau et moi je mélange la soupe avec la spatule. » Si un désaccord apparait, le groupe se scinde et chacun fait comme bon lui semble. Des comparaisons ont alors lieu : concours de cabanes, concours de bouquets, etc.
Le rôle de l’adulte est d’apporter le vocabulaire recherché lorsqu’un élève bute sur une explication, voire de réguler les désaccords et proposer des solutions alternatives.
- Se construire des outils cognitifs, reconnaitre, rapprocher, catégoriser
En classe dehors, les possibilités sont nombreuses :
– de faire des tris : Les feuilles d’automne par couleur, par forme, les feuilles ou les bâtons par taille
– de réaliser des collections : un brin d’herbe, deux graines, trois escargots, quatre feuilles, cinq bâtons, etc.
– d’apprendre à nommer : les racines, le tronc, la sève, l’écorce, la graine, la fleur, le germe, la larve, le cocon, la chenille, la coccinelle, le gendarme, la corneille, le lombric.
La classe dehors permet d’heureux réinvestissements. L’an passé, nous avons utilisé en classe un germoir pour observer le développement de graines de radis au contact de l’eau. Après quelques jours, des germes sont apparus. Le mot germe a été introduit une seule fois. Le lendemain matin, au parc, des élèves m’interpellent : « Maitresse, regarde on a trouvé un marron germé ! » Très vite, tous les élèves ont mémorisé le mot germe et appris à identifier des graines germées (c’était le printemps et le sol du parc en était jonché !).
Il s’avère qu’en classe dehors, les élèves ont un rapport sensoriel, souvent tactile avec la nature : toucher la sève qui colle aux doigts, prendre un lombric dans la main, gratter la terre et tomber sur une racine, permet aux mots de passer de l’oreille à la mémoire en passant par la main.
Le vocabulaire est fixé beaucoup plus rapidement, ce qui fait penser qu’il faudrait autant que possible multiplier les accès sensoriels pour la mémorisation de mots nouveaux : dire ce que l’on entend (le chant du merle) pour savoir le nommer, dire ce que l’on touche (l’écorce d’un arbre), dire ce que l’on sent (le parfum des fleurs).
La classe dehors a de nombreux autres intérêts du point de vue du développement du langage oral en maternelle : vocabulaire du repérage spatial, verbes d’action en lien avec les déplacements, tutorat qui favorise des échanges verbaux, etc.
La classe dehors a aussi ses limites. Je n’ai par exemple jamais beaucoup travaillé en phonologie – le passage de l’oral à l’écrit – pendant nos sorties au parc. Le langage d’évocation est quant à lui plutôt travaillé au retour de sortie. Je prends de nombreuses photographies afin de revenir en classe sur les moments vécus dehors.
Je veux encore mentionner le chant, qui permet de travailler la mémoire, le vocabulaire et certaines formes syntaxiques : sur le chemin du retour, pour se donner du courage après une matinée au grand air, nous marchons en chantant.
Il me semble que c’est précisément dans la triade corps-langage-mémoire que, du point de vue du développement du langage, réside la richesse toute particulière de la classe dehors : marcher en chantant, parler en faisant, toucher en apprenant, sentir en écoutant, etc.
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