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« C’est le bon moment pour se réapproprier l’école qui vient »

Raison de plus, si l’humeur est à la morosité, pour ne pas s’y résigner ! La cadence des réformes techniques, l’alternance court-termiste des politiques éducatives et la dévalorisation de l’école publique et de la pédagogie pressurisent le quotidien des enseignants et des enseignantes. Pourtant, chaque matin, ils et elles sont devant leurs classes, animés par une conviction qui dépasse l’épuisement et qui les tient : le pari de l’éducabilité de toutes et tous ! Réfléchir à l’école de demain, c’est ce qu’elles et ils font, en réajustant modestement leurs cours en fonction des élèves, des contextes et des époques. Faute de temps et d’énergie, on abandonne parfois la réflexion de fond sur le devenir global de l’école pour le regard myope des politiques ou celui, intéressé, des entrepreneurs et entrepreneuses privés qui pensent tout connaitre par avance et tout régler avec du management.
Alors oui, c’est le bon moment pour se réapproprier l’école qui vient. Pour faire ce que nous, artisanes et artisans pédagogiques, savons faire : confronter nos points de vue, croiser les regards, s’éclairer par des travaux de recherche et mutualiser nos pratiques de classe. C’est ce que ce dossier contient. C’est le bon moment pour ne pas laisser le futur de l’école à d’autres, qui se contentent de parler.
La désespérance – ou du moins le découragement – est souvent provoquée par le sentiment d’impuissance, de dépossession. Donner la parole à celles et ceux qui, même modestement, font bouger les choses et savent au nom de quelles convictions, peut réinsuffler de l’élan à celles et ceux qui seraient tentés de baisser les bras. Si l’école est « à marée basse d’idéal », comme l’écrit Roger-François Gauthier dans son article, il y a urgence à « rêver à très haute voix » et en grand nombre pour remobiliser les troupes. Comme l’écrivent deux des membres du bureau du CRAP-Cahiers pédagogiques en fin de dossier, pour des militants pédagogiques « le désespoir n’est pas une option ». Alors, « osons essayer » !
Les quatre axes du dossier – écologie, intelligence artificielle, coopération, émancipation – n’ont pas été choisis de façon arbitraire, mais c’est vrai aussi qu’on aurait pu évoquer d’autres questions : l’école face aux inégalités, l’évolution des métiers de l’éducation, la prise en compte de la diversité des élèves, entre autres. Questions souvent traitées dans la revue et que nous continuerons à traiter. Mais il y a eu la volonté d’évoquer des sujets qui dépassent largement le cadre scolaire et qui mettent vraiment en jeu les évolutions possibles de notre société, dont l’école fait partie. L’écologie et l’avenir de l’humanité sur notre terre est un défi majeur. Or, cela reste traité de manière encore trop marginale dans notre système scolaire, à l’heure d’un triste retour de bâton en la matière.
Au contraire, tout le monde parle de l’intelligence artificielle. Comment s’y retrouver entre louanges angéliques et rejet catastrophiste ? Quant au développement de la coopération, cela nous parait tellement essentiel, si on veut que chacun et chacune apprenne mieux ensemble tout en préparant des lendemains plus fraternels et « émancipateurs »… ce qui renvoie au quatrième axe, dont nous avons aussi voulu montrer la complexité, alors que chacun met souvent un peu ce qu’il veut dans ce beau principe…
Il y a un schéma type pour chacun des quatre axes : une discussion franche entre deux praticiens qui fait émerger des dilemmes professionnels, un regard plus distancié d’un spécialiste de la question, et des témoignages de pratiques mises en œuvre en classe, plus ou moins longs, avec parfois une incursion dans d’autres pays. Une cinquième partie permet de dépasser le cadre des quatre pistes. On retrouve des plumes bien connues de notre lectorat : François Dubet, Marie Duru-Bellat, Roger-François Gauthier, qui nous montrent qu’un autre avenir pour l’école est possible. Mais aussi la voix originale et savoureuse d’un grand ancien des Cahiers, Jean Delannoy, que l’on a plaisir à intégrer à ce numéro qui fait le pont entre nos rêves passés (ceux de 68 dont il est question dans son article repris dans la rubrique « Depuis le temps ») et nos espoirs de « lendemains qui au moins ne déchantent pas ».
La diversité des articles propose donc de façon complémentaire des pratiques et une réflexion sur ces pratiques. Une invitation à « Penser là où il y a des “prêts à penser”, là où nous sommes pris dans des processus d’aliénation, là où nous sommes piégés, […] penser ensemble non d’une seule voix mais de voix plurielles, contradictoires, où nous sommes exigeants sans être péremptoires », comme l’écrit Mireille Cifali dans un ouvrage récent1
Laurent Reynaud : Comme toujours, j’ai aimé les dialogues des collègues qui n’évitent pas la confrontation des points de vue sur leur questionnement quotidien. On se retrouve assez bien dans leurs dilemmes professionnels. J’ai aussi apprécié les témoignages de pratique, que je trouve authentiques et donc à portée de main. Ils ne cherchent pas à exposer une belle technique réussie mais bien des tentatives aussi concrètes qu’imparfaites. C’est cela qui donne envie d’essayer ! Et enfin, tout au long de la préparation de ce dossier, j’ai pris du plaisir à regarder un peu plus loin que demain ou l’année prochaine, pour projeter avec les collègues ce que pourrait être l’école si des mouvements de l’éducation nouvelle, comme le CRAP-Cahiers pédagogiques, étaient davantage représentés.
Jean-Michel Zakhartchouk : J’ai bien apprécié les quatre lectures finales de nos amis du bureau du CRAP, dont l’ancien et la nouvelle président(e) de l’association. C’est une formule que nous avons trouvée pour éviter une conclusion surplombante, d’un chercheur par exemple. Quatre petites voix modestes qui nous parlent du chemin à parcourir, entre lenteur réflexive et hâte à bousculer un peu une école ni ange ni démon.
Nicole Priou : Les propos développés par les différents auteurs me semblent marqués par une implication, un engagement, une mobilisation qui, au bout du compte et sans angélisme – car les difficultés ne sont pas gommées – permettent de ne pas désespérer et montrent que des avancées sont possibles si les marges de manœuvre sont investies collectivement. À la condition sans doute de ne pas perdre de vue, comme le rappelle Daniel Hameline, qu’« un combat collectif ne perdure que par les engagements individuels des personnes ». Pour ne pas se laisser envahir par un sentiment d’impuissance, il me semble souvent fécond de se demander face à toute situation insatisfaisante : « Qu’est-ce que je peux faire que personne d’autre ne fera à ma place si moi je ne le fais pas ? »
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