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Histoire de la FEN
S’ils se veulent indépendants de tous les syndicats, nos Cahiers ne les ignorent pas pour autant. Le gros livre de Guy Brucy, qui, à travers l’histoire de la FEN, retrace aussi la mutation considérable de l’école depuis un siècle, et les problèmes que posait la réussite quantitative, tout en rafraîchissant la mémoire des plus anciens, aidera les plus jeunes à entrer dans une partie de la mémoire collective du monde enseignant.
Il y avait, dès l’origine et surtout après l’euphorie de la libération, une tradition syndicale forte, une aspiration à l’unité. La scission de la CGT amène les enseignants de la FEN, en 1948, à choisir provisoirement l’autonomie pour ne pas avoir à se diviser entre CGT et FO : « Ce n’est pas une doctrine mais une position. » L’organisation en « tendances » est la conséquence de ce choix. À côté de cela, la question essentielle était : l’explosion scolaire doit-elle se faire dans le cadre de l’école primaire prolongée, ou dans celui des lycées, ou dans une structure nouvelle à inventer ? Derrière chaque formule, il y a des instituteurs et des professeurs, chacun légitimement attaché à un type d’établissement, à une conception du rôle social de l’école, à une façon d’enseigner. Et l’histoire de la FEN pourrait se résumer par l’entrecroisement des rivalités corporatives entre syndicats et des oppositions politiques entre tendances. Les oppositions confrontent alors, à certains moments, la fédération et tel syndicat, ou les instituteurs du SNI et les professeurs du SNES, le SNETAA qui regroupe les professeurs de LP jouant une partition originale ; ce serait une caricature que de réduire cette opposition à une opposition entre socialistes et communistes, mais elle n’est pas sans fondement.
Le livre relate par le menu les batailles revendicatives, les discussions pédagogiques, le poids de la FEN dans la vie politique, le combat laïque contre le dualisme scolaire, avec d’abondantes citations des documents. C’est sa force, et c’est sa limite. En restant le plus souvent au niveau de l’appareil national, il ne montre pas ce que représente, pour l’enseignant moyen, son syndicat d’une part, la fédération d’autre part. Qu’est ce que la vie syndicale du militant, celle de l’adhérent de base ? Il n’est pas beaucoup parlé non plus de toutes ces organisations qui gravitent autour de la FEN et des liens idéologiques et humains qui tissent ce qu’on a appelé l’empire FEN. De même, parce que si la FEN est très largement majoritaire, elle n’est pas seule, on ne parle guère des autres syndicats et de l’attitude de la FEN à leur égard. Mais les efforts de la FEN – ou plutôt de la majorité fédérale – pour mettre en synergie les différentes organisations, syndicales ou politiques, particulièrement à certains moments comme la Guerre d’Algérie, 1958 et 1968, sont analysés ; l’autonomie de la FEN lui donne une position centrale, et elle y acquiert une position équivalente à celle d’une confédération.
Le rappel des derniers épisodes est éclairant. La gauche revenue aux affaires en 1981 s’est saisi des problèmes de l’École, mais pas toujours dans la ligne souhaitée par les syndicats ; l’entrée du secrétaire général de la FEN dans le gouvernement Mauroy a posé des problèmes à la fédération. L’abandon par Mitterrand du projet de SPULEN (service public unifié et laïque de l’éducation nationale) a été mal ressenti. Dans la question de l’école moyenne, et donc la rivalité instituteurs-professeurs, ou SNI-SNES comme on voudra, les gouvernements ont essayé, comme dans les années 1950, de ménager les uns et les autres, alors qu’il fallait trancher.
Mais derrière cette question, c’est aussi l’avenir des syndicats et de leur degré d’indépendance par rapport à la fédération qui se jouait. Les tensions n’ont fait que s’aggraver, pour parvenir au point de rupture en 1992, la FEN excluant le SNES – ou constatant qu’il s’était mis en dehors de la fédération -, le SNI se transformant en syndicat des enseignants (SE) de tous les degrés, la FEN devenant UNSA-Education en 2000, et s’agrégeant à une nouvelle confédération, l’UNSA. L’histoire s’arrête là ; la création du SNUIPP et celle de la FSU ne sont pas abordées, c’est dommage.
La conclusion réfléchit sur la désyndicalisation qui touche aussi les enseignants, même si c’est moins que les autres corporations. C’est le rapport de l’individu au collectif qui est en cause, qui doit – sans doute ? Peut-être ? – évoluer. Le rôle des coordinations, par exemple, fait se demander si les formes traditionnelles de la vie syndicale sont toujours adaptées aux aspirations des adhérents potentiels : « Rapport d’extériorité qui tend à dissocier le syndicat de la réalité vécue. De cette situation découle une posture proprement schizophrénique qui consiste à vilipender le syndicat au nom de son incapacité supposée à prendre en compte les « vrais problèmes du terrain » tout en le sollicitant au nom de sa compétence co-gestionnaire reconnue… et en même temps dénoncée comme une collusion avec le pouvoir en place. » On peut poser des questions analogues pour les mouvements pédagogiques !
On le voit, ce livre est à la fois « une contribution parfois décisive à l’histoire du syndicalisme tout entier », comme l’écrit Antoine Prost qui le préface, une analyse de la complexité de toute réforme de l’École (ah, s’il n’y avait qu’à… !), et donc une formation pour tous ceux qui veulent y contribuer d’une façon ou d’une autre.
Le Cahier 424 a rendu compte (p. 68) du livre dirigé par André Robert, Le syndicalisme enseignant et la recherche [[Presses Universitaires de Grenoble et INRP, 2004, 389 pages, 30 €.]]. Son approche est étroite, mais il permet d‘évoquer les autres syndicats et d‘aborder la question difficile : les revendications syndicales, sur le temps scolaire ou l’articulation des disciplines par exemple, ont-elles un fondement scientifique ?
Ce n’est que dans les années 1980 que les syndicats se sont branchés sur la recherche, sauf le SNALC qui tient toujours les « pseudo-sciences de l’éducation » comme dépourvues de valeur scientifique, et les IUFM pour un fléau (« dès lors que les sciences de l’éducation deviennent l’élément primordial de la formation des maîtres, l’agrégé devient l’ennemi, sa formation disciplinaire poussée en faisant un esprit critique capable de démonter les affirmations aussi péremptoires que peu fondées de certains pédagogues »). Mais Ph. Meirieu relève que la conception que les enseignants ont (majoritairement) de leur statut (une qualification attestée une fois pour toutes par le diplôme acquis à l’entrée dans le métier) fait obstacle à leur ancrage sur la recherche. Cela explique-t-il que les publications centrées sur la recherche que certains syndicats ont lancées ne durent pas plus que quelques années ?
Cependant, la dernière phrase du livre d’André Robert semble fondée, avec ses réserves : « Il nous semble voir émerger, avec des disparités entre organisations et bien des limites encore, un syndicalisme à caractère réflexif. »
Jacques George