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« Ne vous limitez pas ! Soyez plus ambitieux ! »
Theodore Zeldin est mondialement connu pour ses travaux de philosophe, sociologue et historien des idées. On lui doit notamment une Histoire des passions françaises, écrite au début des années 1980 (en cinq volumes, chez Points) et, plus récemment, Les plaisirs cachés de la vie (Fayard, 2014). Sa longue expérience sur presque un siècle d’existence, faite d’échanges partout dans le monde, lui donne un incroyable recul sur la « nouveauté » et lui permet un regard lucide, pas forcément réjouissant, sur « le monde comme il va ».
L’enthousiasme des promoteurs de la classe dehors et de la reconnexion de nos enfants avec la nature est mis à l’épreuve de cette interpellation, comme un appel à faire davantage et mieux, un appel à être au-devant de soi dans la rencontre.
Theodore Zeldin note d’abord que le projet autour de la classe dehors concerne essentiellement les très jeunes alors que tout le monde devrait être concerné. Dans les pays pionniers, le nombre des classes fonctionnant de cette manière reste faible (sept-cents en Angleterre, peut-être deux mille en Allemagne). Les besoins de notre époque sont pourtant bien plus importants à l’heure du changement climatique.
En historien, il note également le risque de ne pas tenir compte des changements qui se sont opérés depuis le lancement de l’idée d’enseigner dehors.
Theodore Zeldin déplore l’obsession du diplôme pour avoir le meilleur emploi au détriment d’une éducation à la sociabilité. Dès le plus jeune âge, ces « fondamentaux » ne sont pas tout ce qui apprend « à vivre ». L’éducation devrait d’abord être la compréhension des autres, avec comme objectif de diminuer la haine.
Or, ce n’est pas le chemin que prennent nos sociétés. Theodore Zeldin fait allusion à l’Angleterre du Brexit (« un pays qui se suicide »), mais aussi à des pays avec des systèmes éducatifs avancés, comme la Finlande, qui vient pourtant de donner la majorité à une droite alliée à l’extrême-droite. À cet égard, « la classe dehors » ne fait pas sortir du cadre de « la classe ».
« Vous n’êtes pas assez ambitieux, vous vous limitez ! […] J’interprète le mot “dehors” plus largement », s’exclame-t-il. Le contact avec la nature n’ouvre pas forcément à la « liberté », mais à la complexité, à la nouveauté… et à nos propres limites. Donc, à une humilité, celle que nous apprend aussi la crise climatique. En développant la noble idée de la classe dehors, il faut tenir compte des réalités d’un monde devenu majoritairement urbain, ce qui demande de trouver un nouvel art de vivre. C’est un changement considérable qui est devant nous.
Les relations humaines sont essentielles ; comment comprendre les autres, les raisons qu’ils ont d’agir. D’où l’accent mis par Theodore Zeldin sur « la conversation ». C’est bien cette capacité à converser qu’il faut développer, alors que l’habitude de celle-ci semble se perdre. « Oui, il faut s’émerveiller de la nature, mais la classe dehors doit aussi nous permettre de découvrir les autres, leurs métiers, leurs manières de vivre. »
Il faut aussi étudier l’histoire, l’histoire du rapport des hommes à la nature. On a pu écrire des choses merveilleuses sur la nature et, en même temps, la détruire. Il cite ici l’histoire de la Chine et de mandarins capables à la fois d’écrire des poèmes sensibles et magnifiques sur la nature et de provoquer une destruction massive des forêts.
Le message du changement climatique, c’est d’admettre d’abord que ce que l’on a fait depuis des décennies, des siècles, ne marche plus. Il nous faut beaucoup d’imagination pour ne pas répéter les erreurs du passé. Connaitre la nature ne suffit pas, il faut connaitre ce que les hommes ont fait de la nature. Cette réflexion est trop peu présente à l’école.
Théodore Zeldin conclut en insistant sur l’importance de comprendre les autres avant toute chose, afin de réduire les divisions entre les hommes. On doit aimer la différence, bien plus intéressante que la ressemblance. La culture, les arts peuvent y aider, mais ne suffisent pas. Dans son dernier livre, l’historien évoque « ces minuscules différences, en apparence souvent insignifiantes, qui nous éloignent les uns des autres », et propose « de réfléchir à la manière de les rendre fertiles plutôt que stériles ».
Rendez-vous est donné avec lui à Poitiers le 2 juin, pendant les Rencontres internationales de la classe dehors, pour un gouter de conversation et une rencontre à la Roseraie.
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