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Urgence climatique : jeunesse militante

Le dérèglement climatique appelle l’urgence d’agir. Les jeunes générations nous le rappellent avec la force de leur premier engagement. Rita, une jeune lycéenne marseillaise, se mobilise au sein d’un collectif pour sensibiliser toutes les générations aux enjeux du climat. Elle nous raconte son combat pour une justice climatique, sociale et fiscale.

Actuellement en terminale et tout juste majeure, Rita a commencé à s’engager dès son entrée en 2de. Le déclic était venu l’année précédente à l’occasion des mouvements qui se déroulaient en France : les grèves étudiantes contre Parcoursup, les Gilets jaunes et surtout la grève scolaire pour le climat, lancée tous les vendredis par Greta Thunberg. « Les collégiens comprenaient les enjeux, avaient envie de s’engager, mais nous ne savions pas comment faire et nous avions peur des représailles de la part du collège. »

Arrivée au lycée, elle rejoint le collectif Youth for Climate qui engage notamment des actions de désobéissance civile afin de sensibiliser et d’alerter sur le dérèglement climatique. Le mouvement Fridays for Future est alors très suivi, notamment à Marseille avec des cortèges étoffés lors des manifestations. Un jour de Black Friday, les terrasses sont bloquées dans le quartier de la Joliette et une grande braderie est organisée. Une autre fois, au Vieux-Port, c’est un village alternatif qui est installé avec des associations invitées, des forums, une friperie, un repas végétarien fait maison. Quelque mois plus tard, le covid stoppe l’élan. Lorsqu’à nouveau des actions sont possibles, des jeunes engagés ont quitté la ville pour partir étudier ailleurs. « On a dû tout reconstruire avec peu d’expérience. »

Comment mobiliser ?

Aujourd’hui, le collectif rassemble une majorité de lycéens, quelques collégiens et étudiants. Les plus âgés ont 23 ans. « On ne peut pas se permettre des actions nécessitant une préparation importante, car on ne se sent pas légitimes au niveau de l’organisation. » La mobilisation par des manifestations semble aussi difficile. « Avant le covid, il y a eu de grosses manifestations mais rien n’a changé. Ça a démotivé les gens. »

Le lien avec d’autres collectifs permet de trouver d’autres moyens d’agir avec le relai de la Base, un espace commun où se rassemblent mouvements et associations engagés dans l’accélération de la transition. Youth for Climate y a toute sa place aux côtés, entre autres, d’Alternatiba, de Marseille en Transition, de l’ANV (Action non-violente) COP 21 ou d’Extinction Rébellion.

Végétalisation urbaine

À partir de ce lieu partagé et autogéré, des actions communes se construisent. Un boulevard de la ville a été en partie débétonné et revégétalisé. Des friperies sont organisées. Avec des articles peu chers, elles attirent du monde, jeunes et plus âgés, ce qui permet d’engager le dialogue avec les visiteurs, de les sensibiliser aux enjeux climatiques en répondant à leurs questions. Des ateliers de peinture sur carton, destinés aux enfants, sont proposés sur le Vieux-Port, et permettent d’échanger avec les parents. « On parle avec eux pour leur expliquer. Ils ne changeront peut-être pas pour autant leurs habitudes tout de suite, mais ça progresse. »

Organiser un Ecoday

Aux manifestations impressionnantes d’avant covid ont succédé des actions de proximité, y compris dans les établissements scolaires. « Cette année, je me suis mise à monter des projets en lien avec l’écologie, dans mon lycée. La population est plus proche que celle rencontrée dans la rue, j’ai l’impression d’avoir plus d’impact. » La semaine dernière, elle a participé à l’organisation d’un Ecoday. Le matin se sont déroulées des activités au sein d’un village des alternatives, pour faire, par exemple, des tawashis (éponges fabriquées à partir de textiles usagés), réaliser son compost ou encore contribuer à une fresque du climat. Rita a animé un atelier pour végétaliser le lycée. Cinquante personnes ont participé en désherbant, plantant et inscrivant le nom des plantes sur des pancartes pérennes.

L’après-midi avait lieu une simulation de COP (conférence des parties sur le changement climatique), organisée avec le Réseau action climat. Une centaine de participants du monde entier étaient répartis en différentes zones géographiques pour, durant quatre heures, émettre des propositions, élaborer des résolutions et trouver tous ensemble un accord final. Des enseignants ont apporté leur aide pour la mise en place de cette journée. Les cours n’étaient pas banalisés, mais la participation des élèves aux activités et à la COP était considérée comme une absence excusée.

Ce premier Ecoday était un galop d’essai, observé de façon bienveillante par la direction de l’établissement. « C’était vraiment bien. La conseillère principale d’éducation et le proviseur sont venus nous voir pour savoir comment cela s’était passé et envisager le renouvèlement de l’opération. Les élèves de 1re et de 2de aimeraient une journée comme cela l’année prochaine. Petit à petit, si ça se fait comme ça, les élèves vont se mobiliser, s’informer sur ces enjeux-là et participeront aux manifestations. »

L’urgence de l’action

À l’heure où la sixième limite climatique, celle de l’eau, a été dépassée, l’urgence de la prise de conscience et de l’action s’accentue. « Dans notre mouvement, nous acceptons tout le monde. Qui veut, vient. Il est complètement ouvert au-delà des jeunes, même s’il s’appelle Youth for climate. » Le collectif est associé à la construction d’une exposition semi-permanente sur la Méditerranée au Mucem (Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée). Des partenariats sont tissés autour de la présentation du film I’m Greta dans des cinémas et de débats avec le public.

Rita est allée avec une autre volontaire dans un lycée professionnel pour échanger avec une classe sur les enjeux climatiques. Les lycéens étaient un peu timides au départ mais bien conscients des enjeux. Au fil des discussions, des solutions pour agir sur l’écologie au niveau de l’établissement ont émergé. « On aimerait que tous les milieux sociaux soient représentés. On essaie de leur montrer qu’ils sont tout autant légitimes que nous [simples lycéennes] à s’engager. C’est franchement dommage, mais en général se sont plutôt les classes aisées qui s’engagent. Le mouvement écologique doit pouvoir être incarné par tout le monde, sinon ça n’a plus de sens. »

Le collectif s’agrandit en utilisant un salon virtuel sur Discord. L’engagement se fait au fil de discussions, d’adhésion aux idées traduite en implication dans les actions. « C’est très simple, en fait. » Le mouvement est apolitique avec comme ligne commune la volonté de plus de sobriété et la nécessité « d’arrêter de vouloir toujours consommer en croyant que la croissance est infinie ».

Militer pour se sentir utile

Militer est pour elle une évidence que ses parents lui ont transmise. Son engagement pour l’écologie, elle le doit en grande partie à sa grand-mère qui partageait avec elle les secrets de son potager. « J’ai toujours bien aimé la nature. À la fin du collège, à partir du moment où je me suis engagée, je me suis informée sur les végétaux, les animaux, et ma passion pour la biodiversité a augmenté. » Au lycée, elle a choisi les spécialités HGGSP (histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques) et SES (sciences économiques et sociales). Elle aimerait étudier dans un cursus de sciences politiques ou de sciences sociales.

Elle aborde l’écologie avec une approche politique, sociologique et géopolitique en liant justice climatique, sociale et fiscale. « Ce que j’apprends au lycée m’aide beaucoup sur l’approche sociale, économique et politique. En sciences économiques et sociales, on étudie aussi les aspects écologiques des choses avec une professeure engagée sur ces questions. » Elle s’informe, lit, regarde des vidéos qui l’aident à croiser ses connaissances avec des éléments de sciences dures. Lycéenne en Abibac, une section qui lui permet de préparer à la fois le baccalauréat et son équivalent allemand, elle cherche à tisser des liens avec d’autres collectifs outre-Rhin. Quel que soit son avenir, elle sait qu’elle continuera à s’engager. « Je déprime quand je ne milite pas, car alors je ne me sens pas utile. »

Monique Royer

Les comptes Instagram et Discord de Youth for Climate Marseille.

La Base de Marseille : https://labasemarseille.org/


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S’engager pour le climat, entretien avec Aurélien Bigo, Camille Jonchères et Florian TiranaPour une culture générale du climat, par Valérie Masson-Delmotte

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Convention citoyenne pour le climat : aller plus loin sur l’éducation, entretien avec Mathieu Sanchez

 


Sur notre librairie :

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