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L’école de la forêt en Finlande

Quelques mois d’observation dans une classe de plein air, au cœur de la forêt finlandaise, montrent les bénéfices qu’en tirent les enfants (sur le plan social et émotionnel notamment), mais aussi les enseignants, qui apprécient en particulier de ne plus subir le volume sonore de la classe fermée. 

Dans ce vaste pays de nature qu’est la Finlande, recouvert à 80 % de forêt, on compte une trentaine de jardins d’enfants qui proposent des luontopainottein esikoulu, dont le terme signifie littéralement « classe préscolaire de nature ». La classe a lieu hors les murs, par tous les temps, quelle que soit la saison. Les enfants quittent chaque matin la cour de récréation et marchent de cinq à dix minutes pour rejoindre la forêt : leur classe à ciel ouvert de 9 heures à 14 heures.

Pour la grande majorité, il ne s’agit pas d’établissements hors contrat ou alternatifs, mais des jardins d’enfants publics ordinaires dont la direction a décidé, parfois sous l’impulsion d’un enseignant, d’ouvrir cette section de plein air. À l’exception de ce groupe forestier, les autres groupes sont dans le schéma classique, entre quatre murs, dans une salle de classe.

Ce sont les parents qui ont fait le choix d’inscrire leur enfant dans ce groupe forestier pour diverses raisons, certains étant convaincus des vertus de l’apprentissage en plein air, d’autres pour des raisons logistiques (proche de la maison, ou bien le frère ou la sœur de l’enfant est inscrit dans le même jardin d’enfants). Pour la société finlandaise, qui a fait de la nature un art de vivre, il n’y a rien de surprenant à inscrire son enfant dans un groupe forestier.

Les enseignants du groupe forestier ont suivi la même formation que leurs homologues (niveau bac + 3) travaillant en jardin d’enfants conventionnel. En revanche, certains de ces enseignants ont été formés sur la base du volontariat avec l’association nationale Sumoen Latu (promotion des activités de plein air) pour encadrer des animations nature bénévolement. Cette formation leur a permis d’acquérir un socle commun de connaissances, de pratiques d’enseignement et de valeurs.

Tous les enseignants du dehors que j’ai rencontrés m’ont confié le même constat : ils ne pourraient plus faire classe à l’intérieur aujourd’hui, en particulier à cause de la gêne sonore générée par les cris des enfants. L’apprentissage en plein air n’est pas uniquement bénéfique pour les enfants, les enseignants ressentent aussi du bienêtre en immersion dans la nature.

L’activité physique au cœur de la pédagogie par la nature

Les enseignants de la forêt suivent les objectifs pédagogiques fixés par le curriculum de la petite enfance. Seul l’environnement d’apprentissage diffère de celui des jardins d’enfants conventionnels. L’acquisition de compétences sociales se situe au cœur des objectifs du système finlandais ; savoir écrire, lire et compter est secondaire au jardin d’enfants. Cela constitue d’ailleurs une grande différence par rapport aux écoles maternelles françaises.

En revanche, les moyens utilisés pour atteindre les objectifs sont différents. Dans la forêt, les enseignants n’utilisent pas de livres, de cahiers ou de crayons, mais des matériaux de la nature (des bâtons, des cailloux, etc.). Ils utilisent une pédagogie active construite à partir des stimulus de nature et des intérêts manifestés par l’enfant. La pédagogie par la nature inclut des expériences multisensorielles engageant tous les sens de l’enfant. Tout cela renforce la motivation endogène et l’envie d’apprendre de l’enfant.

Minna Okkonen, enseignante au jardin d’enfants Uudenlahden à Rauma, que j’ai accompagnée durant mon stage, a fondé sa pédagogie sur la conviction suivante : « En bougeant, le cerveau est plus irrigué, cela renforce les capacités d’attention et la qualité du processus d’apprentissage de l’enfant. Quand on muscle son corps, on muscle aussi son cerveau. » Peu importe la discipline (mathématiques, finnois, etc.), le mouvement est au cœur de toutes les activités d’apprentissage proposées.

Par exemple, les enfants suivent un parcours en skis sur un lac gelé, et l’équipe d’encadrement postée autour du lac propose des ateliers de mathématiques. Ainsi, les enfants skient puis s’arrêtent pour constituer une suite de chiffres croissants avec des cartons plastifiés (de 1 à 10), repartent, et s’arrêtent à nouveau pour faire le même exercice dans l’ordre décroissant. En plus des mathématiques, les enfants auront appris à pratiquer le sport de prédilection national et à développer leur autonomie en portant le matériel et chaussant eux-mêmes leurs skis.

L’apprentissage des compétences sociales et émotionnelles

En observant ces enfants pendant cette immersion de cinq mois, je n’ai vu que très peu de conflits entre les enfants et très peu de pleurs ; ils n’avaient pourtant que 6 ans. Les enseignantes que j’ai interrogées sont unanimes : il y a beaucoup moins de conflits à l’extérieur.

Ce qui m’a également frappée est de voir combien les enfants pouvaient courir et se dépenser dans la forêt. L’interaction des enfants entre eux et avec la nature induit naturellement une forte activité physique et leur permet d’être plus calmes.

Le grand espace de la forêt permet à l’enfant de jouir d’une liberté de se mouvoir et de s’exprimer à haute voix sans gêner l’autre, ce qui réduit les tentatives de distraction et les occasions de générer un conflit. De plus, l’enfant a l’espace nécessaire pour apprendre à réguler ses émotions. Il peut s’isoler du groupe puis revenir quand il l’aura décidé ou bien dialoguer avec l’enseignant sans attirer l’attention des autres enfants.

Tout cela participe à l’instauration d’un climat de paix sociale lui-même propice à l’apprentissage des compétences sociales et émotionnelles, en particulier la maitrise de soi.

Si un tel modèle n’est pas directement applicable en France, il est tout de même possible d’intégrer cette idée riche de sens et les principes de la pédagogie par la nature dans l’éducation formelle. C’est d’ailleurs déjà le cas dans certaines régions françaises.

Cette approche représente un important changement de paradigme. C’est d’abord par des initiatives locales positives et partagées, portées par des enseignants engagés, que les mentalités et les politiques éducatives pourront évoluer dans ce sens : le changement viendra du terrain.

Je constate un fort engouement de la part des enseignants en France pour le dehors. Je les encourage à se former, à expérimenter et à partager les résultats obtenus au sein de la communauté éducative.

Claire Boulch-Pedler
Formatrice d’enseignants à la pratique de la classe du dehors

Contexte
Expatriée en Finlande pendant trois ans, Claire Boulch-Pedler a réalisé un mémoire de recherche en sciences de l’éducation sur les effets de l’apprentissage en plein air et de la connexion à la nature sur le développement de l’enfant (université Paul-Valéry, Montpellier 3). Ce travail universitaire fait suite à un stage d’observation de cinq mois dans un jardin d’enfants où elle était en immersion dans la forêt finlandaise avec un groupe d’enfants de 6 ans. Les résultats de la recherche ont été rassemblés dans le documentaire L’école de la forêt finlandaise, une éducation riche de sens, en tournée dans toute la France.

Cet article fait partie du dossier du n°570 des Cahiers pédagogiques, en vente sur notre librairie:

 

Apprendre dehors

Coordonné par Aurélie Zwang et Jean-Michel Zakhartchouk

Après les confinements successifs, l’intérêt pour les pratiques d’éducation en plein air est grandissant. Inscrites dans l’histoire de la pédagogie, elles sont non seulement mises en œuvre à l’école, de façon régulière ou lors de sorties de terrain plus ponctuelles, mais aussi dans le périscolaire. Il s’agit dans ce dossier d’interroger ce qui s’apprend de spécifique dehors.

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