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« La nature est-elle un objet, un moyen ou un contexte d’apprentissage ? »

L’appel de la forêt, ou de la nature en général, est dans l’air du temps. Notre société majoritairement urbaine a besoin de se reconnecter avec la nature, en particulier les enfants, et en particulier à l’école. Mais en quoi le contact avec la nature est-il nécessaire aux élèves, et à quelles conditions permet-il de mieux apprendre ? En gardant à l’esprit qu’ « Apprendre avec la nature » ne se réduit pas à faire l’ « école dehors ». Entretien avec les coordonnateurs du dossier, Laurent Reynaud et Jean-Michel Zakhartchouk.
Qu’est-ce qui différencie ce dossier des Cahiers pédagogiques des précédents, « Apprendre dehors » (en 2021) et Urgence écologique : un défi pour l’école (en 2020) ?

Ce dossier « Apprendre avec la nature » s’immisce justement entre les deux. D’une part, il donne les moyens de mieux cerner ce qu’est l’objet des urgences écologiques. On aborde souvent ces problématiques en ayant une vision fantasmée de ce qu’est la nature. Par exemple, on aborde la biodiversité en imaginant la forêt tropicale, ou le réchauffement climatique en visualisant la calotte glaciaire, mais la nature n’est pas nécessairement loin. D’ailleurs était-elle nécessairement verte ? Le terrain de football de la ville n’est-il pas un lieu de nature ? C’est toute cette complexité sémantique que le dossier aborde avec des articles de chercheurs et de philosophes, pour tenter de mieux cerner ce que ce mot recouvre et, avec lui, les enjeux anthropiques qui peuvent être associés. Clarifier pour mieux appréhender et s’engager. C’est notamment l’objet d’un article d’un professeur de philosophie qui consacre quelques séances à la clarification de ce mot avec ses élèves.

D’autre part, ce dossier ouvre les horizons en focalisant sur la nature plutôt que le « dehors ». En effet, il faut se réjouir du retour et de l’engouement pour la classe dehors, mais il ne faut pas ignorer l’existence de risques de dérive. Nous souhaitions ouvrir les possibles, en montrant, au travers de pratiques partagées, qu’on peut faire de la nature un objet d’apprentissage sans nécessairement se confronter aux difficultés ou aux appréhensions de la classe dehors. « La classe, c’est quand il pleut », disait Ovide Decroly, mais, justement, que fait-on dans la classe ? Comment peut-on mobiliser la nature en classe, en milieu urbain par exemple ?

Apprend-on vraiment avec, par, ou dans la nature ? Et quoi ?

« Emmener les élèves dans la nature pour les reconnecter à l’environnement », « On apprend mieux dans la nature qu’entre quatre murs », « Être dans la nature c’est apprendre à développer une approche sensible »… Ces assertions résonnent assez régulièrement notamment à l’occasion de l’essor de l’école dehors. Elles postulent toutes un lien évident entre les apprentissages et la nature. Dans ce numéro, nous avons souhaité faire écrire des enseignants et des chercheurs qui questionnent justement cette évidence.

La nature est-elle envisagée comme un objet, un moyen ou uniquement un contexte d’apprentissage ? Bien sûr, chacun orientera sa réponse en fonction de ses habitudes. Le professeur de SVT fera de la nature un objet d’apprentissage, le professeur des écoles pourra utiliser des ressources de la nature pour une activité manuelle, le professeur d’EPS penchera plus pour un contexte propice à la course d’orientation, par exemple. Les articles de ce dossier vont au-delà du constat prévisible, et nous avons poussé la réflexion des auteurs sur leurs pratiques en leur posant systématiquement la question : « Concrètement pourquoi est-ce nécessaire d’aller au contact de la nature pour apprendre ? »

Là aussi, les réponses varient, mais certains invariants semblent se profiler. Apprendre dans la nature, c’est s’ouvrir à l’imprévisible et à la gestion du risque avec des élèves. Ce n’est pas simple, mais la posture professionnelle évolue nécessairement. Apprendre avec la nature, c’est organiser une séance pour donner à voir aux élèves ce qu’est la nature et en quoi elle peut être une ressource pour apprendre.

Loin d’être spontanées, ces séances qui mobilisent la nature, d’une manière ou d’une autre, s’organisent et se planifient bien en amont. Il ne suffit pas de dire qu’on va aller au contact de la nature pour développer le sens de l’observation et l’approche sensible du monde, au risque sinon de voir les élèves s’ennuyer et se connecter davantage devant leurs écrans. On retrouve d’ailleurs l’essence de ces réflexions dans une controverse à lire dans le dossier entre deux collègues d’un même collège qui étudient avec leurs élèves l’anatomie d’une fleur, l’une sur de vraies fleurs, et l’autre sur un logiciel.

Ajoutons que, si l’approche scientifique est indispensable, la dimension sensible ne doit pas être absente et cela passe aussi par l’art, la poésie… Et ceux-ci sont bien présents dans notre dossier.

Qui ce dossier peut-il intéresser, selon vous ?

Il devrait intéresser tout le monde, d’autant que tous les niveaux d’enseignement sont représentés, et quasi toutes les disciplines.

Disons que cela s’adresse aussi bien à l’enseignant tenté par la classe dehors, et qui recherche des idées d’optimisation de cette nouveauté qui a le vent en poupe, au formateur qui veut intégrer la sortie nature à son programme de formation, comme puissant moyen d’ouvrir à une conception du métier plus large que celle du cours entre quatre murs, ou encore à l’enseignante de lettres qui va puiser des idées pour faire écrire les élèves… Ils trouveront aussi beaucoup de questionnements et surtout pas un éloge béat et peu réfléchi de la sortie. Nous avons voulu proposer surtout des récits de pratiques concrètes, pas forcément spectaculaires, même si certaines expériences sont particulièrement stimulantes et originales.

De plus, on peut dire que des lecteurs plus éloignés, à première vue, du champ éducatif pourront être intéressés par certains articles qui alimentent des réflexions plus générales autour de la nature et de l’écologie. Et pour s’y retrouver nous avons prévu un arbre aux questions en guise de sommaire. Ainsi, on peut lire ce numéro des Cahiers au gré des questions et des saisons.

Un regret, un manque ?

Deux peut-être. Nous aurions voulu évoquer davantage ce qui se fait dans les autres pays, mais la place manquait et nous n’avons pas eu certains retours espérés. Mais il nous faudra revenir sur la question.

Propos recueillis par Cécile Blanchard

À voir également sur notre site, le webinaire dédié à ce dossier

Avec Laurent Reynaud et Jean-Michel Zakhartchouk, ainsi que deux autrices du dossier, Frédérique Chenebieras-Ferreira, professeure des écoles-maitre formatrice, en maternelle, à l’école de Mougon, Deux-Sèvres, et Charlotte Michaux, enseignante de lettres modernes au collège René-Cassin de Ballan-Miré, Indre-et-Loire.


Sur notre librairie :

N°585 – Apprendre avec la nature

Coordonné par Laurent Reynaud et Jean-Michel Zakhartchouk

Les expériences de « classes dehors » ont du succès. Une manière de se reconnecter avec la nature. Mais en quoi le contact avec la nature est-il nécessaire aux élèves, et à quelles conditions permet-il de mieux apprendre ?