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Parcoursup : classer quoiqu’il en coute ?

La plateforme Parcoursup a été mise en service à la rentrée 2018 après le vote de la loi ORE (Orientation et réussite des étudiants) de mars 2018. Au départ, la décision d’en finir avec la plateforme précédente, APB (Admission post-bac), pour affecter les bacheliers dans l’enseignement supérieur a été prise au motif que des filières dites « en tension » avaient dû recourir au tirage au sort pour départager des postulants trop nombreux, faute de places suffisantes. Ces tirages au sort concernaient 0,5 % des candidats.
La différence essentielle entre les deux plateformes, rappelle le collectif Nos services publics dans sa note, tient à la suppression de la hiérarchisation à priori de leurs vœux par les candidats et dans l’existence de 15 000 algorithmes locaux de classement (le nombre est avancé par la Cour des comptes1), selon des critères décidés par chacune des formations, y compris celles qui ne sont pas censées être sélectives, sans cadrage national.
Ce fonctionnement constitue un changement de logique, puisque l’on passe d’un choix de formation par les futurs étudiants à un classement des lycéens par les formations. Le collectif souligne d’ailleurs que la loi ORE a modifié le code de l’éducation, dont notamment l’article L.612-3 qui ne fait plus mention de la liberté de choix de leur filière par les étudiants. Cela induit un allongement considérable de la procédure d’affection entre APB et Parcoursup. Avec APB, la procédure se déroulait en trois phases, avec Parcoursup, elle se déroule en quelque sorte en continu à partir de début juin et jusqu’à septembre, un postulant étant susceptible de recevoir de nouvelles propositions chaque jour au gré de son avancée dans les files d’attente des formations.
Nos services publics pointe plusieurs conséquences de ce système.
D’abord, le temps d’attente pour les futurs étudiants, dont plus de la moitié n’a aucune proposition le premier jour des résultats (le 2 juin en 2022) alors que 80 % des lycéens en avaient une au premier jour avec APB. Il faut attendre plusieurs jours pour qu’un effet de cascade se mette en place, les places libérées au fur et à mesure par les élèves les mieux classés étant progressivement proposées à ceux situés plus bas dans le classement. En 2021, 82 % des lycéens effectivement affectés par Parcoursup avaient trouvé la procédure stressante, relève le collectif, citant une enquête du ministère de l’Enseignement supérieur menée en octobre 2021.
Il y a aussi une désorganisation de l’année de terminale, avec des épreuves terminales pour les spécialités prévues en mars (mais décalées en mai en 2022 du fait de la pandémie) afin que les notes puissent être intégrées dans Parcoursup, ce qui raccourcit considérablement l’année (douze semaines de moins, soit quatre-vingt-deux heures d’enseignement pour chaque spécialité).
Enfin, le cout en termes d’heures passées par les enseignants de terminale (au premier rang desquels les professeurs principaux) à accompagner les élèves dans la procédure et à renseigner les appréciations individuelles exigées par la procédure est très important. Le collectif a mené une enquête auprès de ces enseignants2 et évalue à 2,6 millions le nombre de ces heures, sur le temps de classe ou sur leur temps personnel, l’équivalent de 2 000 enseignants à temps plein pour un cout de 100 à 110 millions d’euros. Et les enseignants du secondaire ne sont pas les seuls à intervenir sur la plateforme, puisque d’autres personnels du second degré (chefs d’établissement, Psy-EN, etc.), de l’enseignement supérieur, des services de l’État (centraux ou déconcentrés) sont susceptibles de le faire aussi.
Pour le collectif Nos services publics, « Parcoursup a manqué son objet ». D’abord parce que cela ne représente pas une solution plus juste que le tirage au sort auquel avait abouti APB à la marge, mais aussi parce que cela n’a « apporté aucune solution à l’opportunité que représente l’augmentation du nombre de bacheliers pour la société dans son ensemble ». Derrière le discours officiel sur l’ « orientation active » et la personnalisation des parcours des étudiants, souligne le collectif, ceux-ci ne sont en fait plus décisionnaires, ce qui soulève pour lui la question de la légitimité de l’État à décider des formations dont les jeunes vont bénéficier.
Dans les faits, ce sont les formations qui choisissent leurs étudiants, mais la responsabilité est renvoyée aux postulants à travers un classement reposant pour l’essentiel sur leurs résultats en 1re et en terminale. Et à l’échelle individuelle, Parcoursup accentue les inégalités sociales, car les lycéens sont amenés, quand ils le peuvent, à élaborer des stratégies pour tirer le meilleur profit du système, en se renseignant parfois très en amont sur les filières afin de faire les bons choix.
Le véritable problème pour l’affectation dans l’enseignement supérieur, selon Nos services publics, c’est bien celui du nombre de places offertes et de l’adéquation de l’offre avec les souhaits des lycéens. Le collectif propose de supprimer le classement pour les filières non sélectives et de rétablir le principe du libre choix des formations par les futurs étudiants, ainsi que la création de places dans l’enseignement supérieur public à la hauteur des besoins exprimés. Pour cela, la réintroduction d’une hiérarchisation des vœux par les lycéens est indispensable puisqu’à l’heure actuelle, leurs véritables souhaits ne sont plus connus du fait de l’absence de hiérarchisation des vœux (ce qui empêche également de mesurer la réussite de l’affectation sur le plan qualitatif).
En attendant, la note relève que la plateforme constitue en quelque sorte « un marchepied efficace » pour l’enseignement supérieur privé, puisque ces formations, même celles conduisant à des diplômes non reconnus par l’État, y sont recensées au même titre que les formations publiques. Toutes bénéficient ainsi des mêmes moyens de promotion, et certaines formations privées envoient des propositions d’admission aux jeunes avant même les résultats officiels.
La note sur le site du collectif.
À lire également sur notre site :
De quelques privatisations en éducation, par Anne-Françoise Gibert
Qui dois-je sacrifier? Par Delphine Riccio
Notes
- Cour des comptes, communication au comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale, Un premier bilan de l’accès à l’enseignement supérieur dans le cadre de la loi Orientation et réussite des étudiants, février 2020.
- Enquête menée en ligne en avril et mai 2022, ayant obtenu 352 réponses d’enseignants des lycées généraux, technologiques et professionnels.