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« Notre démarche assumée, et même revendiquée, est celle du tâtonnement. »

Fanny Durand-Raucher et Laurent Reynaud font partie d’une équipe pédagogique faisant vivre des classes coopératives, au lycée Feyder d’Épinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis). Convaincus que la coopération est une modalité qui s’apprend, ils forment depuis quelques années leurs élèves à la coopération. Entretien à deux mais d’une seule voix.
Pour quelles raisons avez-vous choisi de faire coopérer vos élèves ?

Plus qu’un choix ponctuel, il s’agit plutôt d’une série de glissements successifs, partagés par l’équipe, qui ont fait évoluer notre vision du métier et notre posture. Il y a peut-être l’envie d’être utile, trop souvent les élèves en difficulté en début d’année nous quittent… en difficulté. Faire travailler les élèves ensemble peut parfois contribuer à soutenir la motivation de chacun et impliquer tout le monde dans les activités pour éviter la passivité. Il y a aussi l’envie de former nos élèves à devenir des citoyens éclairés et responsables, au-delà des frontières de nos disciplines respectives. Aussi, et surtout, il y a la volonté de dissoudre, un peu, l’individualisme social en construisant le collectif et en ouvrant les apprentissages à toutes et tous.

Qu’est-ce que cela vous a apporté dans l’exercice de votre profession ?

Tout d’abord, cela permet de créer un lien fort de confiance mutuelle entre les élèves et avec les enseignants. C’est agréable et réconfortant de savoir que nous pouvons compter les uns sur les autres.

D’autre part, la mise en place de la classe coopérative dans le secondaire nécessite une coopération et cohésion accrue entre collègues. Nous nous nourrissons des expériences, des réflexions et des doutes des uns, des unes et des autres. Cette démarche de tâtonnement est parfois frustrante, car on n’y arrive pas toujours, mais, partagée à plusieurs, elle motive et nous permet de toujours aller de l’avant, de toujours avoir envie de tester des nouvelles choses.

Pourquoi avez-vous choisi de former vos élèves avant de les laisser coopérer ?

Comme souvent en éducation, nous constatons avec regret le défaut de certaines attitudes : les élèves ne sont pas motivés, ils ne s’écoutent pas, ils ne se concentrent pas, etc. Souvent considérés comme des préalables, nous tentons, en vain, de les raviver par les injonctions : « Motive-toi un peu ! », « concentrez-vous ! » Notre idée était de changer de paradigme, en considérant ces attitudes comme des enjeux éducatifs à part entière qui peuvent, et parfois doivent, faire l’objet d’un apprentissage. Il en va de même avec la coopération entre pairs, il ne suffit pas d’inciter les élèves à travailler en groupe ou de mettre les tables en îlots pour qu’ils coopèrent. Laisser les élèves coopérer de manière spontanée c’est peut-être prendre le risque de creuser encore plus les inégalités. Au début par exemple, on encourageait les élèves qui avaient terminé leur travail en avance à aider leurs camarades. On ne se rendait pas forcément compte qu’avec cette habitude, on plaçait toujours les mêmes élèves, ceux en réussite, en position de tuteur. À force d’aider, eux progressaient encore. Les autres, on ne sait pas vraiment s’ils apprenaient mieux les notions, mais ils devenaient sûrs d’une chose, c’est qu’ils avaient besoin des autres pour y arriver. Certains en arrivaient même à penser qu’ils étaient « nuls ». Très vite on s’est donc dit qu’il fallait que tous les élèves soient tuteurs à un moment ou un autre. Les différentes compétences et disciplines y aident. Il nous fallait aussi former les élèves à aider leurs camarades et à demander de l’aide. Nous avons alors imaginé une première formation pour les élèves avec des origamis.

En ce qui concerne le travail en groupe c’est un peu pareil, souvent un élève timide ou ayant des résultats scolaires insuffisants aura du mal à se faire entendre par le groupe ou même à oser partager son avis.

La coopération nous est donc apparue comme une modalité qui s’apprend. Les équipes pédagogiques de ces classes proposent donc aux élèves une formation à la coopération avec différentes activités :

  • apprendre à travailler en équipe avec l’activité « Spaghetti Marshmallow Tower » ;
  • apprendre à donner et à demander de l’aide avec l’activité « origami »1 ;
  • apprendre à prendre une décision collective avec l’activité « Nasa »2 ;
  • apprendre la persévérance scolaire grâce aux autres avec l’activité « minidéfis »3.
Où trouvez-vous le temps pour ces séances de formation ? N’avez-vous pas peur de ne pas parvenir à finir vos programmes ?

Dans les classes coopératives, nous avons demandé à rajouter une heure supplémentaire dans les emplois du temps des élèves. Cette « heure coop » est dédiée à l’aide et à l’entraide entre les élèves, un peu sur le format de « devoirs faits » au collège. Elle nous permet de ne pas prendre ces formations sur nos heures disciplinaires.

Ces formations peuvent se faire en une heure à une heure et demie chacune. Sans l’heure coop, il faut donc perdre une heure de cours. Peut-être faut-il accepter de perdre pour gagner, le gain en temps une fois les élèves formés est tel que pour tout le reste de l’année ce temps est rapidement regagné.

Après vos premières années d’expérience, que retenez-vous de ces formations d’élèves ?

Nous avons volontairement orienté ces formations sous forme ludique : faire une grenouille en origami, une tour en spaghetti, etc. L’objectif étant que les élèves y participent volontiers et s’y engagent complètement, quel que soit leur niveau scolaire. Si elles sont très bien comprises par les élèves pendant la séance, nous prenons un risque. Le risque que le format de jeu illusionne des élèves, qu’il soit difficile, pour certains élèves, de faire le lien entre ces formations et la coopération lorsque nous revenons à des choses plus disciplinaires. Pour éviter ce malentendu, nous avons décidé de prendre un temps tout de suite après la séance pour débriefer collectivement sur l’intérêt de la formation qu’ils viennent de recevoir. Ainsi, en discutant sur l’expérience vécue ils font émerger les « règles » de coopération qui en découlent.

Comment envisagez-vous la suite ?

Toujours pour éviter le risque de confusion des élèves, nous essayons cette année de faire suivre une formation par une ou deux séances disciplinaires faisant écho spécifiquement aux acquis de formations. Ainsi dans la semaine suivant la formation sur le travail en groupe avec les spaghettis, les élèves feront du travail en équipe en SVT (sciences de la vie et de la Terre) et en français en se référant aux règles qu’ils ont construites avec la formation. L’objectif est que les élèves puissent durablement s’imprégner des conclusions de ces formations et ainsi les réinvestir au mieux et de manière ordinaire.

Notre démarche assumée, et même revendiquée, est celle du tâtonnement. On bricole, on teste et on réajuste en permanence en fonction du retour des élèves, des collègues et des observables qu’on se fixe. Les formations des élèves aux pratiques coopératives n’échappent pas à cette démarche.

Propos recueillis par Sylvain Connac

Bientôt sur notre librairie :

Notes
  1. Voir l’article « S’il te plait, plie-moi une grenouille » de Fanny Durand-Raucher et Laurent Reynaud dans le dossier de notre n°576.
  2. Voir l’article « Perdus sur la lune : carte céleste ou allumettes ? » de Sophie Junien-Lavillauroy dans le dossier de notre n°576.
  3. Voir l’article « Devine les règles du jeu ! » de Céline Cael, Tiphaine Beaslay et Fanny Durand-Raucher dans le dossier de notre n°576.