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Des apprentis chercheurs en STL-biotechnologies

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Le cadre offert par la série technologique STL ainsi que des partenariats permettent l’immersion des élèves et de leurs professeurs dans une activité de recherche stimulant les apprentissages.

En 2015, sous l’impulsion de l’inspection de biotechnologies-biochimie, plusieurs classes de STL (sciences et technologies de laboratoire) biotechnologies de l’académie de Versailles ont participé à une collaboration avec le CRI1. Au niveau scientifique, l’objectif était de faire découvrir aux élèves la biologie synthétique, domaine qui n’est pas enseigné académiquement avant la licence 3. Sur le plan technologique, les manipulations proposées aux élèves ont été développées par le MIT2. D’un point de vue pédagogique, la démarche suivie et les nombreuses interactions avec les étudiants du CRI ont éveillé la curiosité scientifique des élèves, les projetant vers des poursuites d’études ambitieuses : classe préparatoire aux grandes écoles de biologie, master de recherche.

Une pédagogie ludique

La biologie synthétique est un domaine émergent combinant biologie et principe d’ingénierie, dans le but de concevoir et construire, par modification génétique, des organismes possédant de nouvelles fonctions. Une compétition de biologie synthétique, le concours IGEM3, est organisée chaque année au MIT : des étudiants du monde entier y participent, notamment ceux du CRI. La fondation Biobuilder du MIT transforme des travaux présentés au concours IGEM en activités réalisables au lycée et organise des sessions de formation pour les enseignants. Grâce au soutien financier du CRI, deux enseignants de biotechnologies de l’académie de Versailles y ont participé, afin de former ultérieurement leurs collègues à la transposition des manipulations de biologie synthétique en lycée. Le séjour aux États-Unis leur a permis de mieux appréhender la biologie synthétique et de découvrir une pédagogie ludique utilisant le numérique pour interagir avec les participants. De façon surprenante, la démarche d’évaluation des risques était négligée. En France en revanche, la mise en œuvre d’expériences de biologie synthétique est conditionnée par l’analyse des risques liés à la fabrication d’un OGM et par la déclaration, auprès du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, des modalités de manipulation, de la nature de l’équipement et de l’aménagement des laboratoires, ainsi que de la gestion des déchets. Nous avons ainsi pu mesurer l’une des plus-values de l’enseignement technologique : les élèves sont habilités à effectuer des expériences scientifiques ambitieuses en raison de la qualité de la formation technique reçue, du savoir-faire développé et de la démarche de prévention des risques biologiques mise en œuvre.

Quatre établissements de l’académie de Versailles se sont approprié le projet de biologie synthétique, l’adaptant pour des élèves de 2de, 1re STL et première année de BTS-biotechnologies. Au lycée Marie-Curie, des élèves de 1re STL biotechnologies ont travaillé sur ce projet durant quatre semaines en enseignement de biotechnologies (six heures par semaine au laboratoire) et en ETLV (enseignement technologique en langue vivante), visant la pratique orale et l’appropriation de l’anglais scientifique (une heure par semaine).

Le projet
Réflexion sur la dimension bioéthique de la biologie synthétique dans le cadre d’un jeu de rôle en anglais sur l’utilisation d’OGM

Cette approche ludique et engageante a été particulièrement mobilisatrice pour les élèves. Amorcer la biologie synthétique par les questions de bioéthique qui en sont indissociables permet d’ouvrir aux questions de société soulevées par ce domaine émergent de la biologie, d’en saisir partiellement la complexité et de ne pas se cantonner à sa dimension scientifique.

Introduction des concepts scientifiques fondamentaux par pédagogie inversée à l’aide d’un MOOCMassive Open Online Courses., conçu par les étudiants d’OSS

Après visualisation des vidéos du MOOC, les élèves devaient, par groupe, aboutir à un document consensuel sur différents concepts de biologie synthétique. En mettant en place une pratique pédagogique active qui autorise les élèves à prendre le temps de s’approprier les concepts et qui favorise les échanges entre pairs, l’enseignant ne se contente plus de transmettre un savoir, mais accompagne les élèves vers la découverte de notions nouvelles et génère le débat nécessaire à leur appropriation.

Analyse du protocole expérimental et démarche d’évaluation des risques, en anglais

La place de l’anglais, langue scientifique internationale, est prépondérante dans ce projet, car non seulement les supports des outils technologiques exploités étaient fournis en anglais, mais, de plus, les étudiants du CRI sont de nationalités variées. Même s’ils parlaient français avec les élèves, ces derniers ont rapidement pris conscience de l’importance de l’anglais scientifique et de la richesse de la mobilité internationale pour leur poursuite d’études.

Mise en œuvre expérimentale individuelle, avec exploitation critique des résultats et discussion avec les étudiants chercheurs

Les qualités structurelles de la STL, du fait des deux séances de trois heures d’activités technologiques par semaine, permettent de réaliser des manipulations semblables à celles qui se font en recherche. Le groupe classe avait choisi de tester différentes conditions expérimentales ; des hypothèses conduisaient à prévoir des résultats, mais ceux-ci n’étaient connus à l’avance ni des élèves ni de l’enseignante. Cette prise de risque, stimulante pour l’enseignant qui n’a pas de solution clé en main et réfléchit avec les élèves, est très valorisante pour ces derniers. De nombreux échanges ont eu lieu entre eux et avec l’enseignante pour comprendre les éventuelles discordances entre les résultats attendus et ceux qui ont été obtenus. Le bilan de ces réflexions fut partagé avec les étudiants du CRI venus au lycée pour approfondir ce travail, mettre au point des stratégies pour confirmer ou infirmer les hypothèses et guider les élèves vers des notions théoriques plus complexes.

Présentation publique au congrès des jeunes chercheurs des Savanturiers

Comme dans le cadre de la communication de travaux de recherche, les élèves ont participé à un minicongrès public organisé par Les Savanturiers à Futur en Seinehttp://www.futur-en-seine.paris. L’important travail de formalisation qu’ils ont effectué leur a permis de prendre conscience des nombreux concepts scientifiques et technologiques mobilisés lors de l’expérimentation. Ouverte au public, et notamment aux parents d’élèves, cette présentation revêtait des enjeux importants et les élèves, accompagnés par les étudiants du CRI et par plusieurs professeurs, se sont considérablement investis en dehors du temps scolaire pour fournir une présentation de qualité et manier des concepts scientifiques ardus.

On était comme un chercheur dans son labo !

« C’était superbien et superintéressant, mais très stressant et on appréhendait le résultat » : tels sont les mots de Juliette qui témoigne de son engagement dans le projet. Cyril, lui, aurait voulu faire cela à « toutes les séances ». Hamed a apprécié qu’on l’ait mis « dans la position d’un chercheur en labo » et « qu’on n’ait pas forcément des résultats positifs ». Notre participation à ce projet nous a montré combien, lorsqu’ils se sentent capables de réussir, les élèves peuvent devenir leadeurs de projets scientifiques de qualité. Améliorant l’estime de soi, ce projet a eu des effets positifs sur l’attitude de plusieurs élèves et sur leurs résultats scolaires, toutes disciplines confondues. La collaboration avec des étudiants au statut de chercheur leur a ouvert des perspectives de poursuite d’études qu’ils n’avaient pas envisagées à priori, et desquelles ils se sentaient parfois exclus, la représentation des séries technologiques étant encore aujourd’hui trop souvent négative et insuffisamment valorisée.

Portée par la dynamique du projet scolaire, la moitié des élèves a participé, pendant les vacances, à des stages organisés par l’association OSS : en équipe avec des élèves de série S ou des BTS, ils ont conçu et réalisé des expériences de biologie synthétique dans les laboratoires de recherche de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale). Ils ont su réinvestir les compétences acquises en classe : faire preuve d’initiative, mobiliser leur esprit critique et manipuler de façon autonome en biotechnologies.

Un enthousiasme partagé

Cette aventure partagée avec les élèves nous a permis de nous approprier véritablement la démarche de projet et nous a ouverts sur le monde de la recherche. Comme les élèves, les nombreuses collaborations avec le CRI, Les Savanturiers, OSS et Biobuilder, mais aussi les collaborations interétablissements, interdisciplinaires ou intercatégorielles nous ont profondément enrichies. L’enthousiasme avec lequel les élèves sont entrés dans ce projet scientifique mais aussi l’énergie qu’ils ont investie pour le mettre en œuvre nous ont portées.

En offrant l’opportunité de réaliser de tels projets, la série STL biotechnologies trouve toute sa place dans l’ensemble des formations scientifiques françaises.

Anne Combes, Géraldine Carayol
Professeures biotechnologie-biochimie, lycée Marie-Curie, Versailles
Caroline Bonnefoy
IA-IPR biotechnologies-biochimie, académie de Versailles

Notes
  1. Centre de recherches interdisciplinaires de Paris, son antenne Les Savanturiers et une association d’étudiants du CRI, l’OSS (Open Science School).
  2. Massachusetts Institute of Technology. de Boston
  3. http://www.embo.asso.u-psud.fr/?cat=78