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Donner du crédit à la parole des élèves

Dans les classes coopératives du lycée Jacques-Feyder d’Épinay-sur-Seine, des entretiens collégiaux sont organisés pour aider les élèves à faire leur propre bilan de leur travail et de leur implication. Un processus qui les aide aussi à prendre confiance à l’oral.

Le projet des classes coopératives du lycée Jacques-Feyder a vécu sa sixième rentrée en septembre dernier. Les équipes éducatives considèrent les élèves comme des interlocuteurs valables, leur donnent une place active, intégrée et responsabilisante dans leur scolarité. Dans ce projet, elles réalisent des entretiens individualisés avec chaque élève à cinq reprises dans l’année.

Le premier entretien a lieu à la rentrée, au moment de la vérification des informations administratives de chaque élève. Alors que l’ensemble de la classe est reçu, l’équipe enseignante individualise l’accueil des élèves afin d’humaniser leur arrivée dans un nouvel établissement, de noter leurs singularités et de profiter d’un premier contact.

Pendant cet échange en tête-à-tête avec un enseignant, les lycéens qui attendent leur tour travaillent sur des questionnaires en autonomie, des activités introductives (par exemple, réaliser l’envoi d’un mail à un enseignant). Durant l’entretien, différents thèmes sont abordés, à la fois administratifs et plus personnels (activités extrascolaires, passions, conditions de travail à la maison, projection vers l’avenir). Cet échange n’est pas un interrogatoire : Antoine, élève de 2, se montre fermé, il répond par oui et non. Nous ne faisons pas durer l’entretien pour ne pas créer de malaise dans la relation.

Un échange collégial

Le lycée fonctionne en semestres et nous réalisons des entretiens avec les élèves aux mi-semestres (novembre, mars-avril) et fin de semestre lors du conseil de classe (janvier, mai-juin), soit quatre entretiens dans l’année.

Pour préparer cet entretien, Antoine passe, en amont, par une phase écrite. Il commence par se positionner sur un graphique en toile d’araignée autour de différents items : le travail en classe, à la maison, l’organisation, la gestion du calme, l’entraide… Il hésite, c’est la première fois que cela lui est demandé. Il prépare ensuite les lignes directrices de son intervention orale : réussites et échecs de la période ou points positifs et négatifs, engagement, appréciation à saisir sur le bulletin, et a la possibilité d’en discuter avec ses camarades, qui le rassurent ou au contraire lui soumettent un désaccord. Enfin, il a accès à son bulletin : il doit rédiger lui-même son appréciation générale du semestre. Heureusement, il peut toujours en discuter avec ses camarades, au sein d’un groupe restreint. Jean lui donne son avis et tous sont d’accord avec la forme finale.

Lors de la présentation orale de son bilan, Antoine est reçu par au moins un délégué de la classe, ici Sophie, et par plusieurs professeurs ou CPE (conseiller principal d’éducation) de l’équipe, et un proviseur adjoint. Sophie accueille donc Antoine et anime la séance.

Antoine s’exprime sans être interrompu par les personnes présentes. Quand il a fini, Sophie donne la parole aux adultes. Ils complètent d’abord le bilan en expliquant en quoi ils sont en accord, en désaccord, et proposent éventuellement des ajouts. En cas de désaccord de l’équipe enseignante, des modifications ou explicitations sont faites avec l’élève. Comme Antoine propose en appréciation : « Antoine est un élève calme mais il faut qu’il révise davantage pour progresser », une discussion importante s’ensuit. Il s’agit d’expliciter le sens du mot révision pour arriver à une coconstruction entre Antoine et les enseignants. L’équipe en profite pour indiquer des méthodes de révision.

Sophie a la possibilité d’intervenir, et elle se lance de plus en plus facilement au fil des entretiens de la journée et de l’année, par habitude et prise de recul.

Antoine énonce ensuite à nouveau son appréciation générale afin qu’elle soit notée sur son bulletin : « Antoine doit travailler davantage, fournir un travail plus régulier à la maison et doit participer plus en classe. »

Enfin, il est demandé à Antoine de proposer un engagement, un seul, soit au niveau du travail (quantité, méthode), soit de l’attitude (participation, assiduité…), soit de l’hygiène de vie (sommeil…). Antoine dit qu’il va beaucoup réviser. Les enseignants lui expliquent qu’il est difficile de tenir un engagement aussi général et lui proposent plutôt de s’engager concrètement à travailler sur son emploi du temps de la semaine pour organiser ses révisions. Avec l’accord d’Antoine sur cette formulation et ce qu’elle implique, l’engagement est noté en bas du bulletin. À la fin de la période suivante, Antoine doit faire également le point à ce sujet.

Des bilans qui nous encouragent à poursuivre

Nos bilans font ressortir la volonté des élèves de poursuivre cette modalité : ils apprécient la place et l’échange qui leur est offert, la possibilité de faire un bilan et d’agir sur leur appréciation.

De notre point de vue d’éducateurs, ce mode de travail permet en premier lieu à l’élève de verbaliser son travail de la période plutôt que d’attendre un verdict de l’extérieur, puis de s’impliquer dans les discussions autour de son appréciation. Cela ressort aussi dans une majorité des bilans des élèves au cours de l’année.

La présence d’un ensemble collégial d’adultes et d’élèves a pour but de limiter la gêne et le stress, ainsi que de montrer la volonté d’horizontalité dans l’échange. La présence de la déléguée, Sophie, aide l’élève, ici Antoine, à prendre la parole.

Dans la majorité des cas, les élèves sont honnêtes et lucides sur leurs forces (réussite dans certaines matières, quantité de travail à la maison) et faiblesses (bavardage, manque de travail, déconcentration). On rencontre des élèves disposant de nombreuses forces qui, par humilité ou manque de réalisme, présentent un bilan négatif. Dans ce cas, l’enseignant explique à l’élève qu’il ou elle n’a pas été lucide sur son retour, et que ce n’est pas un manque de modestie de dire ce qu’on a fait de positif. On peut verbaliser une déception sur certains points sans occulter le reste.

Le fait de mettre en mots l’engagement qu’il prend, ce qu’il se sent capable de faire permet à l’élève d’accroître son niveau d’exigence envers lui-même ; ce qui l’astreint souvent à modifier ses habitudes et à adopter des stratégies adaptées. Par exemple, quand Jean annonce vouloir augmenter sa moyenne, nous lui demandons de formuler des stratégies concrètes, à son échelle, lui permettant d’atteindre cet objectif, comme demander de l’aide à un camarade le plus tôt possible. Et quand Sophie, excellente élève, annonce vouloir également augmenter sa moyenne, nous l’accompagnons vers un engagement où elle apportera de l’aide à ses camarades, lui permettant ainsi de renforcer ses connaissances en les reformulant pour d’autres élèves.

En particulier, lors des entretiens suivants, les retours sur les engagements réalisés donnent du crédit à sa parole. Le fait de considérer l’élève comme un interlocuteur valable passe par ces étapes où, fort des exigences qu’il s’est imposées, il peut constater des progrès. Fort du respect de ses engagements, il affirme sa crédibilité et peut mettre en avant le fait qu’il est écouté et entendu.

Une organisation qui évolue

À la création du projet, tous les adultes assistaient aux entretiens de tous les élèves lors des conseils de classe. Suite à des soucis de temporalité (durée totale trop longue et derniers entretiens moins productifs), nous avons changé l’organisation. Dorénavant, deux équipes fonctionnent en parallèle : lors des entretiens de mi-semestre, une équipe est constituée de deux professeurs ; lors des conseils de classe, ce seront quatre à cinq professeurs, avec le CPE dans un groupe et le proviseur adjoint dans un autre. Cela permet de consacrer 1h30 à deux heures aux entretiens avec un groupe de douze élèves.

Ce fonctionnement est bien accepté par l’équipe enseignante qui en voit la plusvalue pour les élèves tant au niveau de la compréhension, de l’acceptation et des changements qui peuvent en résulter. Les élèves, de leur côté, apprécient cette façon de faire mais se plaignent parfois de la durée d’attente, spécifiquement pour les derniers à passer dans chacun des groupes.

Nous faisons évoluer nos pratiques année après année, et nous comptons bien continuer. Le passage de la trimestrialisation à la semestrialisation dans notre établissement nous a permis de mettre en place les bilans de mi-semestre, qui ne changent pas nos modalités d’actions mais permettent un véritable entraînement pour les élèves : en effet, le stress est minimisé car le bulletin qui en ressort n’a rien d’officiel. Au contraire, la période qui suit permet changements et progrès avec un bilan meilleur lors du conseil de classe officiel.

Les élèves deviennent également de plus en plus à l’aise à l’oral dans leur grande majorité, et nos bilans font ressortir leur volonté de poursuivre cette modalité : ils apprécient la place et l’échange qui leur est offert, la possibilité de faire un bilan et d’agir sur leur appréciation.

Tiphaine Beaslay
Professeure de physique-chimie au lycée général et technologique Jacques-Feyder d’Épinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis)

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N° 572 – Entretiens en milieu scolaire

Coordonné par Michèle Amiel et Anne-Marie Cloet-Sanchez

L’entretien est une forme d’échanges avec les élèves, les familles, les collègues, les personnels ou les stagiaires, etc. Entre souci de relation et exigence d’efficacité, son exercice montre que c’est une compétence qui peut se développer, et devenir même un réel support des apprentissages pour chacun.