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Quand des enfants parlent de leur école

Comment fonctionne une école Freinet aujourd’hui ? Et qu’en disent les enfants qui y sont scolarisés ? Pour le savoir, on peut écouter le podcast La Buissonnière, enregistré dans une classe de maternelle multiniveaux de l’école Freinet de Vence, celle-là même que fondèrent Élise et Célestin Freinet. Entretien avec Marie Masquelier, enseignante de la classe, et Héloïse Pierre, animatrice du postcast.

Marie Masquelier et Héloïse Pierre. ©DR

Pourquoi avoir décidé de créer un podcast sur la pédagogie Freinet ?

Héloïse : Cela fait plusieurs années que nous nous connaissons avec Marie. À force de l’entendre me parler de sa classe, j’ai eu envie de documenter tout cela. Je voulais vraiment le faire en audio, car je trouve que c’est un média magique ! Les enfants sont plus naturels sans caméra, on peut enregistrer facilement et capter toutes les pépites du quotidien. Ensuite, l’audio n’a pas de morphologie et de couleurs, on peut beaucoup plus facilement s’imaginer dupliquer ce que l’on entend. Avec ce podcast, nous voulions montrer au jour le jour la pédagogie Freinet pour que chacun et chacune puisse venir y puiser des ressources pour sa propre classe.

Marie : Parce que c’est, selon moi, la pédagogie la plus incroyable de toutes ! Plus sérieusement, parce que c’est une pédagogie qui a près de 100 ans et qui est pourtant plus que jamais d’actualité. Elle allie apprentissage de l’autonomie, de la responsabilisation, de la démocratie, de la coopération, du respect de l’autre, de la nature… Elle apprend à communiquer, à s’exprimer avec aisance, à développer son esprit critique, sa curiosité, sa personnalité, sa confiance en soi, bref, tout ce qui, selon moi, est nécessaire à l’enfant pour devenir l’adulte de demain épanoui et responsable.

Comment vous êtes-vous impliquées dans ce projet ?

Héloïse : Marie a enregistré toute l’année ce qu’il se passait dans sa classe. Moi, je suis venue plusieurs fois pour observer, enregistrer et questionner les enfants. Ensuite, je m’occupe de l’organisation et de la réalisation des épisodes. Marie m’aide beaucoup et on affine le tout ensemble ensuite.

Marie : Ce projet m’a portée pendant près de deux ans. J’ai adoré enregistrer mes élèves et les réécouter, sélectionner ce qui me semblait pertinent dans ces enregistrements. Cela me permettait aussi d’analyser ce qui se passait dans la classe, ma pratique… Réfléchir aux textes des voix off, à la construction des épisodes avec Héloïse a été passionnant et très inspirant.

Pourquoi avoir choisi la classe de maternelle et non une autre ?

Héloïse : Il se trouve que je connais bien Marie, enregistrer dans sa classe paraissait une évidence. Je trouve que les enfants de maternelle sont fascinants par leur soif d’apprentissage. En audio, cela rend vraiment très bien ! On entend bien la différence de maturité entre un enfant de petite section ou de grande section et l’entraide qui peut se nouer entre les différents âges. Je trouve cela très beau et intéressant.

Marie : J’ajouterais que les enfants de maternelle ont un naturel et une spontanéité plus grande que les enfants plus âgés. C’est ce qui est touchant et amusant à écouter. On voit que, dès le plus jeune âge, tout est possible… En entendant ce dont sont capables les enfants de maternelle, on comprend amplement ce qu’ils peuvent faire plus grands.

Comment avez-vous choisi les différents thèmes abordés dans le podcast ?

Héloïse : Nous avons décidé de produire vingt-huit épisodes. La temporalité suit celle de l’année. Chaque épisode aborde un aspect de la pédagogie Freinet : la réunion de coopérative, le parrainage, le texte libre, les trouvailles, les conférences, la gestion de conflit…

Marie : Nous avons choisi les thématiques qui rythment le quotidien de l’école et qui bien sûr sont chères à Freinet. Le but était de permettre aux auditeurs d’avoir un aperçu de ce qu’est cette pédagogie et comment elle est pratiquée dans l’école d’origine.

Quel est l’héritage principal, le plus visible, de Célestin et Élise Freinet dans l’école de Vence actuelle ?

Marie : Il y a une véritable filiation pédagogique entre les Freinet et l’école de Vence, puisqu’Élise elle-même a formé pendant plusieurs années Carmen Montès et Brigitte Konecny qui furent enseignantes à l’école pendant près de trente ans, et qui ont formé à leur tour (et forment encore) l’équipe actuelle. Toutes les institutions pensées par Freinet sont donc pleinement pratiquées à l’école : la réunion de coopérative, l’expression libre, le plan de travail individualisé, le journal scolaire, le travail de la terre… Toutes ces institutions sont intemporelles.

Mais plus que des techniques, ce sont avant tout un esprit et une philosophie qui ont été hérités des Freinet : une vision de l’enfance, la place de l’enseignant, une éducation à la solidarité… C’est ce qui m’a frappée lorsque je suis venue à l’école pour la première fois. J’avais déjà visité des classes et écoles qui utilisaient les outils et les techniques de Freinet. Mais celle-ci se démarque vraiment par l’ambiance et l’esprit qui y règnent.

Est-ce qu’il y a eu des évolutions, des transformations ? Lesquelles ?

Marie : Bien sûr. Les enfants et la société ne sont plus les mêmes qu’à l’époque de Freinet. Le propre de l’école est de préparer les enfants au monde qui les entoure et au monde de demain. Elle doit s’adapter à l’évolution de la société : le numérique, l’urgence climatique, la consommation, le harcèlement, les stéréotypes de genre sont des sujets qui ont une place importante à l’école aujourd’hui et sur lesquels nous travaillons beaucoup.

Quelle est l’importance apportée au groupe dans l’école ?

Marie : Dans la pédagogie d’Élise et Célestin Freinet, le groupe est extrêmement important. D’ailleurs, pour eux, le vrai but éducatif de l’école « est de développer au maximum la personnalité de l’enfant au sein d’une communauté qui le sert et qu’il sert ». L’enfant s’inscrit dans la communauté, qu’il va aider à faire fonctionner, et la communauté va l’aider à bien grandir. Le groupe sert de tuteur à l’enfant, par sa bienveillance, le rappel des règles et du cadre à respecter, l’intervention des uns et des autres lorsqu’ils assistent à une dispute… La réunion de coopérative est l’institution phare de cette pédagogie, et c’est en assistant à cette réunion du vendredi que l’on perçoit le plus clairement la beauté des relations qui se sont construites entre les enfants dans ce groupe, et la magie qui opère lorsqu’on les responsabilise et qu’on leur fait confiance.

Est-ce qu’il y a des moments où le groupe est un frein, un obstacle, à l’apprentissage ?

Marie : Je n’en vois pas. Le groupe est tellement porteur. C’est lui qui crée l’émulation et la richesse de la vie de la classe sur laquelle repose une grande partie des apprentissages. D’autant que les enfants ont de nombreux moments dans la journée où ils peuvent travailler seuls, ce sont des moments privilégiés avec l’adulte. Mais le groupe est toujours un important point d’appui : les enfants s’entraident, les plus grands de la classe parrainent les plus petits, les réunions de classe permettent de solutionner des conflits, de faire émerger des projets, les recherches de groupes sont souvent fructueuses… Pendant les confinements de 2020, nous avons dû fonctionner en demi-groupes de douze élèves. Il était beaucoup plus difficile de créer une émulation et une cohésion de classe, ce qui impactait la richesse des échanges et du travail.

Comment l’enseignante s’inscrit-elle dans le groupe classe ? Quelle est sa place ?

Marie : Dans ce type de classe, l’adulte a une place beaucoup moins centrale que dans une classe dite « classique » car la coopération et l’entraide sont extrêmement présentes. Les élèves savent d’ailleurs que lorsqu’ils rencontrent une difficulté, ils peuvent demander à un « grand » ou à un autre très à l’aise dans ce domaine avant de se tourner vers l’adulte. L’enseignant ne construit pas en amont des apprentissages qu’il transmet ensuite de manière décontextualisée. Il construit ces apprentissages avec les élèves. Son rôle consiste en partie à se saisir de leurs centres d’intérêt et de ce qui émerge de la vie de la classe, à chercher avec eux. Parfois, il ne sait pas exactement où il va : la classe se lance dans un projet proposé par un enfant, et l’enseignant l’accompagne.

L’adulte est le garant du cadre posé dans la classe, cadre qui allie liberté, rigueur et exigence. Il veille à ce que chacun se mette au travail, avance à son rythme, soit écouté et respecté…

Qu’a pensé le groupe du podcast ? Ont-ils pu écouter les épisodes ?

Marie : Bien sûr, toute l’école écoute les épisodes du podcast ! Les enfants les adorent et sont très fiers de leur école. Les parents en ont d’ailleurs assez de les écouter en boucle à la maison ! Pour beaucoup, l’écoute de La Buissonnière, c’est le rituel du mercredi matin.

Propos recueillis par Charlotte Boukechchache

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