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Apprendre la coopération avec des chamallows

Autoriser des élèves à travailler et apprendre en coopérant ne va pas de soi, sauf à prendre le risque que cela soit un accélérateur d’inégalités entre ceux qui parviennent à se concentrer malgré les distractions, et les autres… Deux professeurs de lycée et un professeur de collège-lycée témoignent d’une activité, « le défi chamallow », visant justement à former les élèves aux gestes élémentaires du travail coopératif.

Mardi 18 septembre 2018, la classe de 2e 4 du lycée Feyder d’Épinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis) a relevé un défi technique en enseignement d’exploration MPS (méthodes et pratiques scientifiques). L’objectif : réaliser la plus haute « Spaguetower » (tour de spaghettis). « Les règles : construire la plus grande tour possible avec un chamallow au bout, en prenant pour support soit sa table soit sa chaise. Tout cela en n’ayant à disposition que vingt spaghettis, du ruban adhésif, et de la ficelle ! », détaille Axel, l’un des élèves de la classe.

Enseignants dans cet établissement, nous (Fanny Durand-Raucher et Laurent Reynaud) nous sommes inspirés du retour d’expérience de Cyril Lascassies, professeur de mathématiques en collège et en lycée dans les Hautes-Pyrénées.

Un dispositif simple et peu coûteux

« C’est la troisième rentrée où j’utilise ce dispositif, avec des élèves de 4e, de 3e et de 2e, témoigne Cyril Lascassies. L’investissement matériel est minime. Pour chaque groupe de quatre ou cinq élèves, je compte un chamallow, vingt spaghettis, 80 cm à un mètre de ficelle et à peu près la même longueur de ruban adhésif (j’accroche ce dernier entre la table et le sol).
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Je ne laisse que quinze minutes aux élèves pour relever le défi, afin de garder du temps pour le débriefing. Je constitue les groupes par ordre alphabétique, car mon objectif est d’apprendre à connaître mes élèves le plus tôt possible (ce que je leur explicite).
Une erreur à éviter, en tant qu’enseignant, est de regarder les constructions en train d’être réalisées. Il est préférable d’observer les interactions au sein des équipes : qui prend des initiatives, qui impose ses idées, qui reste à l’écart, qui fait autre chose, qui parle plus fort, etc.
La hauteur de la tour n’a aucune importance. Elle peut être haute et l’activité manquée, et inversement. En effet, l’objectif est que le travail en équipe se passe bien, que tous participent, que chacun puisse s’exprimer dans le respect des différences, etc.
Une fois le temps écoulé, les constructions sont interrompues en l’état et nous passons au compte-rendu de l’expérience.
»

L’apprentissage du travail en équipe

Pour l’analyse de ce qui s’est passé, un outil de sondage comme Plickers permet de lancer la discussion.

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Cyril Lascassies interroge la classe sur son ressenti de l’ambiance dans laquelle s’est déroulée l’expérience :
«Souhaitez-vous travailler comme ceci cette année ?
– Oui ! répondent les élèves.
– Moi non !
-…
– Parce qu’il y a trop de bruit !
»

À partir de ces échanges, des règles de vie de classe et de coopération sont définies :

  • droit de s’exprimer => devoir d’écouter,
  • droit à l’erreur => devoir de ne pas se moquer,
  • droit à une ambiance propice aux apprentissages => devoir de participer à l’entretien du calme dans la classe. Introduction des feux tricolores (affichage qui explicite les moments où je n’ai pas le droit de parler, de ceux où je peux murmurer, etc.),
  • introduction des cartes de rôles (référent du calme, de la parole, de la consigne, du temps, etc.) pour travailler en groupe.

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Au lycée Feyder d’Épinay-sur-Seine, nous avons suivi le déroulé proposé par Cyril Lascassies. Nous avons ajouté une phase individuelle de réalisation de plans, ainsi qu’un enregistrement audio de la séance, que nous avons diffusé lors de la phase de discussion. Les élèves ont été surpris de la différence de volume sonore entre la phase individuelle et la phase collective. La discussion pour l’analyse a été très intéressante et a fait l’objet d’un compte-rendu.

Un bilan partagé sur le blog du lycée

Axel, élève en 2e 4, s’est porté volontaire pour écrire un article sur le blog du lycée, qui résume assez bien la séance :
« Ce fut une activité très plaisante pour la plupart des participants : elle a permis de développer les relations entre élèves ne se connaissant pas. Les participants ont dû apprendre à communiquer calmement pour pouvoir se faire entendre et se faire comprendre. À la fin de l’activité, un bilan a été fait. Les élèves ont fait part de leurs impressions ainsi que les professeurs, qui nous ont déclaré à l’unanimité qu’ils ne pourraient pas travailler dans ces conditions, à cause d’un problème majeur : le bruit. Nous avons donc réfléchi à comment limiter ce problème.
Les élèves ont exprimé pourquoi faire des activités comme cela pouvait être intéressant : apprendre plus facilement, être repris plus rapidement, développer l’esprit d’équipe et bien plus. Des élèves ont pris la responsabilité de réaliser une affiche résumant nos discussions (avantages, inconvénients et règles à suivre) pour l’afficher dans notre salle.
»

Le défi chamallow s’avère une expérience doublement enrichissante. D’une part, pour les élèves, qui apprennent à travailler en groupe et à établir des règles de vie en classe. D’autre part, pour les professeurs, qui peuvent ainsi appréhender les différentes personnalités en présence et les lacunes de chacun sur le plan comportemental ou des connaissances.

Fanny Durand Raucher
professeure de physique-chimie au lycée Feyder d’Épinay-sur-Seine
Laurent Reynaud
professeur de SVT au lycée Feyder d’Épinay-sur-Seine
Cyril Lascassies
professeur de mathématiques en collège et en lycée dans les Hautes-Pyrénées

À lire également sur notre site:
La coopération, c’est politique ! Conférence de Sylvain Connac aux Rencontres d’été du CRAP 2017

Le défi de la «tour de spaghettis» est un exercice imaginé par les fondateurs de la d.school de l’université de Stanford pour initier les étudiants au design thinking. Le principe est d’associer réflexion et réalisation, en utilisant ce que l’on a sous la main. L’expérience est transposable aussi bien en milieu scolaire qu’en entreprise, en adaptant la difficulté (taille du groupe, durée, etc.).