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« La question des racismes interroge fortement l’éthique professionnelle »

En effet, nous l’avons mis en route avant que le Rassemblement national ne montre sa force dans les urnes. Mais les attaques concernant les personnes qu’on peut dire « racisées » dans notre société (à distinguer de l’adjectif « racialisé » : on trouvera dans le dossier des éclairages conceptuels à ce propos) – c’est-à-dire celles et ceux qui ne sont pas blancs ou blanches et catholiques ou athées – avaient déjà monté en flèche, en particulier sur la scène politique, directement et plus souvent de façon déguisée sous divers discours sur l’« islamogauchisme », l’intersectionnalité, le « wokisme », le « communautarisme » ou le « séparatisme », etc.
Il nous semblait urgent d’aider les collègues à se repérer dans cette confusion, car la question interroge fortement l’éthique professionnelle. Elle impose plus généralement de réfléchir sur la complexité et la diversité des racismes présents au sein de notre société et la manière dont ils se manifestent au sein de l’école, non pas uniquement à travers des violences physiques ou insultes explicitement racistes, mais à travers du harcèlement discriminatoire fondé sur des remarques qui ont l’air banales, des mises à l’écart ou encore des jugements à l’œuvre dans le rapport aux familles, aux élèves et à leur travail scolaire, etc. Il s’agit ici d’un ensemble de comportements, de pratiques et d’actes qui composent le racisme au quotidien que nous avons souhaité mettre en lumière dans ce dossier.
C’est pour attirer l’attention sur la diversité, mais également sur l’imbrication des formes d’assignation à une altérité radicale vécues par les personnes victimes du racisme, avec des effets réels de marginalisation dans leurs trajectoires sociales (scolaires, professionnelles, de santé, loisirs, etc.). Les filles et femmes qui portent un foulard musulman, par exemple, ne vivent pas aujourd’hui les mêmes épreuves que celles et ceux qui ont une couleur de peau jugée trop sombre, ou qui n’est pas rose (ou rosâtre !), ou encore que celles et ceux qui ont un nom ou un prénom juif, etc. Or, si les programmes et instructions parlent peu de racisme, quand elles le font, c’est toujours au singulier. Et cela renvoie typiquement à deux cas : l’extermination des Juifs par les nazis, et la réduction des Africains en esclavage. Il y a une sorte de stéréotypage du racisme, au détriment de l’étude des logiques en quoi il consiste, ou encore de la mise au jour des processus de racialisation qui le fabriquent.
Et d’autres faits historiques ou situations procédant des mêmes logiques et processus ne sont pas étudiées comme telles, comme la colonisation, l’assignation raciale des immigrés, des personnes perçues comme roms, asiatiques, etc. Il nous a paru nécessaire de souligner cette diversité pour inciter nos lectrices et lecteurs à sortir d’une vision colorblind (c’est-à-dire supposément « aveugle à la couleur »), pour développer un regard critique face aux situations relevant du racisme : en les invitant à se demander en quoi telle ou telle situation est (ou a été) structurée par l’altérisation radicale des personnes ou l’assignation à une culture ou une religion, par le déni de la normalité des personnes et de leur dignité morale.
Un dossier c’est court, donc on ne trouvera pas tout. Et il a fallu équilibrer, comme on essaie toujours de le faire dans les Cahiers, entre les articles de pratiques ou les fiches-outils qui peuvent concerner les différents niveaux de l’enseignement, et les articles plus théoriques, qui donnent les cadres conceptuels.
Mais nous avons voulu commencer par le racisme au quotidien, ou le vécu du racisme au sein du système scolaire : on l’oublie parfois, l’école n’est pas indemne de relations racistes. Nous en avons parlé sans fard, tout en ayant le souci de la mesure. À ce propos, il ne faudra pas oublier d’aller lire sur le site d’autres articles qui s’inscrivent dans le dossier, et notamment le témoignage d’une enseignante d’origine martiniquaise qui raconte comment sa couleur l’a mise à l’épreuve au cours de sa scolarité et dans ses débuts dans l’enseignement, et comment elle aide aujourd’hui ses élèves de lycée professionnel à se situer eux-mêmes dans un contexte français où la couleur compte, bien qu’on s’en défende en s’abritant derrière les principes républicains.
Et nous avons terminé par les articles de cadrage théorique ou thématiques, pour que les lectrices et les lecteurs les lisent après avoir fait un tour des problèmes interpersonnels et pratiques qui se vivent dans l’espace scolaire. La montée en généralité sur la nature des racismes dont nous traitons vient ainsi après qu’on a tracé le périmètre des faits que la question concerne dans l’école. Nous avons aussi inséré des articles légers, très brefs, des saynètes qui expriment un vécu moins lourd, comme ce que nous pouvons répondre aux élèves qui nous disent à tort : « Madame, Monsieur, vous êtes raciste ! ». Mais attention, ils le disent parfois à raison, nous avons un article qui le montre.
En réalité, l’appel à contribution que nous avons lancé n’a pas apporté beaucoup de textes, ce qui montre que la réflexion professionnelle sur la question n’a pas vraiment décollé encore. Presque tous les articles ont été commandés par nous. De toute façon, tous ont été repris par les autrices et auteurs après échange avec nous, pour assurer la cohérence d’ensemble du dossier et la complémentarité entre les textes.
Nous aurions aimé davantage exploiter les réponses très variées que nous avons récoltées auprès des enseignants et enseignantes à propos de leur attitude face à des accusations de racisme par leurs élèves. C’est un corpus qui pourrait servir de matière pour la formation sur les racismes qui reste très lacunaire au sein des Inspé, comme le montrent certains travaux de recherche. Nous attirons d’ailleurs l’attention à la fin du dossier sur le caractère impérieux d’une réelle prise en charge de ce problème, afin d’aider les enseignantes et les enseignants qui nous disent être confrontés aux racismes à l’école, mais qui se trouvent complètement démunis pour y répondre de façon judicieuse.