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Embarquer tous les élèves

Comment associer les élèves d’une grande section à la construction d’un projet collectif ? Pour « Viens voir notre jardin », l’enseignante utilise le « dessin collectif », une pratique popularisée par la pédagogue Germaine Tortel, présentée dans l’article de Blandine Tissier, également en ligne.

Si mes élèves sont à l’initiative d’activités, de jeux, d’aménagements spatiaux, la plupart des projets que nous menons en classe sont nés sous mon impulsion. Les élèves s’en saisissent et nous conduisent parfois dans des directions inattendues. Mais au départ, un projet, c’est la rencontre entre un savoir à enseigner et ce que je qualifierais d’opportunité. Cela peut être un matériau de récupération, une personne ressource, une fête à organiser, un espace à aménager… Le projet « Viens voir notre jardin » ne fait pas exception.

Mon école possède un petit jardin. Un jardin secret, que l’on ne voit pas de l’extérieur et qu’on aperçoit seulement depuis la cour de récréation. Un jardin peu hospitalier, orienté au nord, flanqué de hautes grilles, de murs gris. C’est là que s’échouent les murs tranchants du bâtiment de l’école. Cet espace inutilisé, dans lequel on a versé un peu de terre et planté deux arbres, n’a pas été pensé par les architectes pour accueillir les enfants.

L’équipe de l’école a, depuis longtemps, envie de faire vivre ce lieu, d’en faire un espace pédagogique à part entière, où l’on apprendrait à regarder, toucher, sentir, et éprouver le rythme des saisons, mais se heurte à plusieurs difficultés : rien ne pousse, l’espace est petit, sur différents niveaux, avec des escaliers dangereux et il est bien difficile d’occuper tout le groupe classe en jardinant.

« Viens voir notre jardin » est né de la rencontre entre le désir de l’équipe et le travail de la plasticienne Emma Bourgin et du paysagiste Léonard Nguyen. À travers des pratiques artistiques, à travers le jardinage, l’objectif du projet est de permettre aux élèves d’habiter le jardin comme un lieu qui s’offre au regard et à tous les sens, un lieu dont ils prendront soin.

Un projet des adultes ?

Pour mener à bien un projet ambitieux, s’assurer que les élèves pourront dépasser les difficultés qui ne manqueront pas de se présenter, l’enseignant planifie plus ou moins finement les tâches, recherche les ressources et les supports qui interviendront, anticipe l’activité des élèves. Lorsque des intervenants ou des experts sont étroitement associés, les adultes se réunissent sans les élèves et vont encore plus loin dans l’organisation et l’anticipation, ils cherchent à se sentir en maitrise. Au moment de lancer le projet, le matériel est réuni, les consignes sont définies.

Du côté des élèves, le risque est grand que ce projet ne se distingue plus vraiment des autres tâches scolaires. Il ne reste plus que l’exécution d’une série de tâches. Si l’enseignant prend soin d’expliquer et de faire verbaliser en quoi chaque étape nous approche du but final, ici inviter les parents à visiter un beau jardin, les tâches prennent sens pour certains : les élèves ayant le mieux compris le métier d’élève y adhèreront. Qu’en est-t-il des autres ? La pédagogie du projet, telle qu’elle est portée par Germaine Tortel1, a une autre ambition. Celle d’appuyer le travail scolaire sur le désir d’agir, sur la découverte des capacités collectives à créer et à transformer notre environnement.

Or, nous dérivions de plus en plus vers un projet de l’équipe dont les enfants auraient été les exécutants. J’ai décidé de m’inspirer des pratiques défendues par Germaine Tortel : se mettre à l’écoute des enfants et prendre le temps de construire le projet avec eux en explorant ensemble toutes ses dimensions, en cherchant ensemble les ressources qui nous permettront de dépasser nos difficultés.

Que voulons-nous pour notre jardin ?

Après plusieurs visites de notre espace jardin et la prise de photos sur le site, nous nous sommes installés au coin regroupement face à un grand papier fresque. Cette page blanche représente notre jardin. Nous allons dessiner ce que nous voulons pour notre jardin. Pourrons-nous tout changer ? Les élèves conviennent que non. Aidés par les photographies, ils nomment les éléments qui resteront à la fin du projet : les murs, les grilles, l’espace bitumé au sol, l’escalier extérieur du bâtiment. Au fur et à mesure, j’esquisse leur forme au crayon. Ce sont comme des caches que les enfants viendront remplir avec leur propre dessin. Peu à peu, les espaces apparaissent. Et les arbres ? À l’unanimité, ils sont conservés. Ils prennent forme sur le papier.

La fresque du jardin du futur.

Que voulons-nous pour notre jardin ? Beaucoup de plantes potagères : des fruits, des légumes sont cités. Nous cherchons leur image sur Internet pour que chacun puisse les identifier. Rapidement, un imagier des plantes s’esquisse, il sera mis en forme plus tard. La discussion se poursuit : où les placer ? Aidés par l’intonation de ma question, les élèves comprennent qu’il s’agit d’une question importante et qu’il faudra y réfléchir. Une petite fille nous raconte qu’elle a planté des tomates avec sa maman et qu’elles n’ont pas rougi parce qu’elles n’étaient pas au bon endroit. Ça alors, les plantes, ça ne pousse pas partout ? Nous notons cette question sur une affiche… Il faudra que l’on y repense plus tard.

Les obstacles sont des opportunités d’apprentissage. Il appartient à l’enseignant de les identifier, de choisir la manière dont ils seront dépassés. Certains, hors de portée des élèves, seront pris en charge par l’enseignant, pour d’autres, la classe pourra avoir recours à des recherches ou des ressources (expert, livre, vidéo…) qui seront autant d’occasions d’acquérir des savoirs et de construire des représentations sur le savoir (comment apprend-on ?). Les besoins des plantes ont fait l’objet d’une séquence que j’ai trouvée dans « Billes de sciences », la chaine YouTube de La Main à la pâte2. Sensibilisés, les élèves se sont ensuite tournés vers Léonard, notre expert en plantes, pour demander lesquelles pouvaient se satisfaire du peu d’ensoleillement de notre jardin.

Sommes-nous seuls à profiter du jardin ?

Revenons au début du projet, la réalisation du dessin collectif. Un jardin nourricier c’est parfait, mais sommes-nous les seuls à profiter de cet espace ? Les élèves parlent des oiseaux, des insectes. L’hôtel à insectes est dessiné. En quoi ces petits animaux peuvent-ils aider le jardinier ? Les élèves ont quelques réponses, mais nous décidons de noter cette question pour y revenir plus tard. Les élèves ne parlent pas spontanément de fleurs, la dimension paysagère est absente de leurs premiers échanges.

Le jour suivant, je leur demande : « Qu’avons-nous envie de regarder dans notre jardin ? » Ils proposent une grande peinture de licorne sur la grille (unanimité !) et se mettent d’accord pour des fleurs. Quelques élèves savent citer le nom de certaines fleurs. Nous suivons la même démarche que pour les plantes potagères : nous recherchons des images tout de suite et nous créons un imagier plus tard. Il me semble important de ne pas se satisfaire des connaissances de quelques élèves, mais de s’assurer que tous les enfants puissent construire les savoirs en jeu. Les imagiers, qui peuvent être prolongés par un affichage sonore (comme le mur bavard d’Easytis3) servent de support d’apprentissage du vocabulaire, ainsi que de modèles pour dessiner.

J’attire l’attention des élèves sur un espace inemployé du jardin et particulièrement laid : l’espace bitumé qui se trouve sous l’escalier extérieur de l’école. L’équipe enseignante envisageait d’en faire un lieu de rangement et d’installer des jardinières. Mes élèves, eux, imaginent des tables et des chaises de différentes formes pour pouvoir dessiner et jouer. C’est leur idée qui a été retenue et nos artistes ont fabriqué des petits meubles en bois qui permettent maintenant à des groupes d’enfants de s’assoir pour dessiner, par exemple, pendant que d’autres jardinent.

Et vient le temps de la réalisation

Une fois les différents espaces grossièrement esquissés au crayon sur notre fresque, est venu le temps pour les enfants d’y intervenir eux-mêmes. Par équipe de six, ils ont été chargés de dessiner et mettre en peinture les éléments : arbres, plantes, mobiliers. Avant chaque séance, la classe tout entière donne leur mission aux peintres. Les imagiers sont consultés. Ici, il ne s’agit pas de s’amuser ni d’inventer, les peintres doivent représenter le projet collectif. C’est ainsi que le travail est regardé par la classe ensuite. Certaines corrections ont été demandées, et le peintre a dû reprendre son travail le lendemain. La peinture, heureusement, offre la possibilité d’avoir des repentirs !

Quelques semaines plus tard, lors de la première rencontre avec nos artistes, les élèves ont pu leur présenter leur fresque et parler avec eux de ce qu’il est possible ou non de réaliser. Très heureux des compliments sur leur travail, les élèves ont vu leurs idées de mobilier et de fresque reprises et améliorées par les artistes. Emma leur a proposé de réaliser des nichoirs à oiseaux, Léonard leur a assuré connaitre des fruits qui s’épanouissent même sans soleil. Les élèves ont réellement profité de cette rencontre et se sont d’autant plus investis dans les nombreuses activités du projet : sculpture, peinture végétale, jardinage, balade urbaine avec collecte de plantes. Ils ont pu faire, de ce jardin, leur jardin.

Maëliss Rousseau
Professeure des écoles et maitresse formatrice à Asnières.

 

Notes
  1. Sur la pédagogie de Germaine Tortel, voir également, dans ce dossier, les articles de Blandine Tissier et d’Élisabeth Tresallet.
  2. https://www.youtube.com/c/Billesdesciences/featured?app=desktop.
  3. https://www.easytis.com/fr/tts/3140-mur-sonore-interactif.html.