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Développer l’écocitoyenneté, un remède contre l’écoanxiété

Frédérick Heissat, avec son collègue Antoine Maldonado, est à l’initiative du réseau Profs en transition. Il partage avec nous l’importance d’intégrer la transition écologique et sociale dans les pratiques pédagogiques pour la formation des citoyens de demain.

L’enseignement est pour lui une deuxième carrière, après avoir été ingénieur chef de projet dans le secteur privé. « L’attentat contre Charlie-Hebdo, puis la naissance de mon premier fils, m’ont donné envie de me réorienter vers le métier de prof pour être raccord avec mes valeurs et me sentir utile. » Frédérick Heissat commence sa nouvelle profession dans un village landais où il enseigne auprès de CM1-CM2.

Il se sent vite à l’étroit dans la salle de classe et entrevoit les richesses du dehors, de l’extérieur, les possibilités d’ancrer les apprentissages par des situations concrètes, en mobilisant les sensations, les émotions. Le déclic vient d’une poésie de Rimbaud dont la récitation lui semble incongrue dans un espace fermé. Il emmène ses élèves dehors, se place au pied d’un arbre. « J’ai vu qu’on était bien, les élèves aussi, je le voyais dans leur posture y compris celle des élèves décrocheurs. »

Lier citoyenneté et écologie

Il est convaincu, décide d’explorer cette voie qui lui permet de mettre en place des pédagogies actives pour travailler les enjeux de la citoyenneté et de l’écologie. Il organise des ramassages de déchets sauvages sur les différents lieux de la commune avec des relevés statistiques, pour, en classe, analyser les différences entre les quartiers avec une approche sociologique. Des séances de poésie se déroulent au marché, et favorisent les liens intergénérationnels, « apportent de la joie, de la vie », avec des textes dont les personnes âgées se souviennent.

Pendant cinq ans, dont trois ans quotidiennement, il transpose des activités dehors « dans un décor apaisant et bienveillant ». Dedans ou dehors, il aborde aussi des questions sociales, comme les migrations, en utilisant la littérature jeunesse « pour en discuter de façon humaine et lucide ».

Depuis trois ans, il forme pour Canopé, des enseignants et des directeurs d’école pour développer des apprentissages à l’extérieur. L’idée est aussi de viser une « acculturation aux lieux qui accueillent les enfants pour qu’ils soient accueillants et capacitants, permettent de bien apprendre ».

Mutualiser et diffuser

En développant ses pratiques pédagogiques avec sa classe, il s’aperçoit que le sujet de l’éducation aux transitions écologiques et sociales est peu partagé, que les enseignants qui s’en emparent sont isolés. « Avec Antoine Maldonado, on a l’idée de réunir virtuellement les éducateurs qui portent ces sujets-là pour mutualiser et diffuser les pratiques. »

Le réseau Profs en transition est d’abord un groupe Facebook. Il est créé en 2018, au moment où Nicolas Hulot démissionne du gouvernement pour dénoncer l’inaction de celui-ci, et où commencent les mouvements de la jeunesse pour le climat à l’initiative de Greta Thumberg. « On est en plein bouillonnement et le réseau fédère rapidement beaucoup d’acteurs francophones, pas mal de belges, suisses, canadiens, éducateurs de différents pays africains mais aussi des établissements français à l’étranger ».

Fédérer autour des enjeux actuels

Les participants du réseau sont des éducateurs au sens large du terme, qui interviennent de la petite enfance à l’université en tant qu’enseignants, animateurs, directeurs de l’éducation, membres d’associations. Aujourd’hui, 32 000 acteurs participent au réseau dans le cadre du groupe Facebook ou avec le site créé entretemps. « Comment j’adapte mon geste professionnel en lien avec les enjeux en cours : le dérèglement climatique, l’effondrement de la biodiversité, le lien social pour fédérer ? ».

La question est fondatrice du réseau, car elle reçoit peu de réponses dans le cadre institutionnel. Les ressources issues du monde associatif, en revanche, fourmillent. Le réseau sert d’interface pour que ces ressources soient connues et utilisées par les profs. « On a des liens étroits avec le tissu associatif qui fait un gros boulot, on est ancré dans ce monde-là. »

L’importance du réseau ouvre la porte des institutions, européennes et nationales, pour intervenir sur les questions d’adaptation des écoles au changement climatique, questionner les décideurs et proposer des pistes pour une véritable éducation aux transitions écologiques et sociales. « Nous sommes un réseau bénévole sans lien avec un parti ou un syndicat. Quand on discute avec les politiques, on a un angle exclusivement pédagogique, on reste sur le geste professionnel. »

Construire un parcours dès la petite enfance

Le plaidoyer porte sur la nécessité de pleinement ancrer l’éducation au développement durable pour tous les enfants de tous les territoires, de la systématiser en instaurant un parcours, de la petite enfance à l’université.

L’idée est celle d’une progression dans le temps, avec pour les plus petits des activités pour rentrer dans une logique d’attention à la nature, puis en cycle 2 et 3 un questionnement et des apports pour comprendre, enfin dans le secondaire un axe mis sur la logique d’action, sur ce qui peut être fait pour changer. « Il s’agit d’accompagner progressivement et de façon bienveillante vers l’écocitoyenneté et de sortir de l’écoanxiété. L’écoanxiété est peu abordée à l’école et dans les familles. Or, les enfants y sont sensibles. »

Il semble alors important de donner des clés pour comprendre, exercer son esprit critique et son pouvoir d’action. En prenant à bras-le-corps cette urgence, les éducateurs, et en premier lieu les enseignants, mettent les enfants en situation de réfléchir, d’envisager des actions et d’agir. « Il faut laisser de la place aux imaginaires des enfants, car ce sont eux qui seront porteurs de la solution. Et, essayez les solutions proposées, des fois elles sont à côté, d’autres fois elles laissent présager des belles choses. »

Créer du lien social

Il se rappelle des actions menées avec sa classe : la plantation de 300 mètres de haies agricoles, la création de panneaux d’information, la sensibilisation des parents sur l’incidence des déchets sauvages, la valorisation du travail des agents municipaux lors de projets partagés avec eux. Chaque fois, l’approche est transversale, mobilise diverses disciplines et visite le lien social. « L’école dehors n’est pas une école naturaliste. On va retrouver l’environnement extérieur, la biodiversité mais aussi les gens qui l’occupent et leurs activités. »

Le réseau Profs en transition a donné naissance à l’opération « Cartables vert », qui amène élèves et enseignants à réfléchir sur ce qu’ils utilisent dans le cadre de la classe, ce dont ils ont réellement besoin au regard de ce qu’ils consomment, achètent. La réflexion englobe les habitudes de consommation, le développement durable et percute la pédagogie. « Par exemple, si l’on décide de se passer du blanco ou du tippex, et de ne pas effacer les erreurs, les élèves vont voir leur progression. »

Elle a un effet boule de neige dans les établissements et dans les familles, instaure une dynamique vertueuse dans la classe et au-delà. « L’éducation à la consommation répond à pas mal de choses, et aiguise l’esprit critique en regardant comment on utilise les ressources pour des choses potentiellement utiles. On tisse des liens économiques et sociaux avec les familles. »

Le réseau partage également des initiatives qui permettent aux enfants de créer un lien avec la nature, quel que soit l’endroit où ils vivent, d’agir en revégétalisant, par un potager, par la plantation d’arbres, la pose de nichoirs. « On donne à voir des choses et des solutions positives pour éviter l’écoanxiété, éviter de faire porter les urgences aux enfants. On propose des initiatives qui leur permettent d’agir à leur échelle, d’agir ensemble. »

Monique Royer

Pour en savoir plus

Le site de Profs en transition

Le groupe facebook


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