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Explorer l’imagination créatrice en classe à partir d’albums jeunesse

Pour répondre aux enjeux d’une société dans laquelle évoluera l’adulte de demain et développer les compétences du XXIe siècle, en particulier la créativité et l’innovation, le collectif de recherche en éducation et en formation (Coref) « Littérature, imagination créatrice et apprentissages » de l’Inspé de Bretagne expérimente une approche de la littérature jeunesse sous l’angle du concept d’imagination créatrice.
L’objectif de ce collectif, qui réunit des enseignants et des formateurs, est de bâtir et d’éprouver dans quatre classes (deux CP-CE1, deux CM1-CM2) des séquences d’enseignement afin de développer l’imagination créatrice des élèves en prenant appui sur des albums jeunesse. Ce court article rend compte de la première phase d’expérimentations dans une des classes de CP-CE1, phase dont l’objectif est d’amener l’élève à conscientiser le concept d’imagination.
En philosophie, l’imagination est définie comme une fonction psychique impliquée dans l’ensemble des opérations intellectuelles, une fonction consistant à amener à la présence ce qui est absent1.
Deux formes d’imagination sont distinguées : l’imagination propositionnelle (« j’imagine que telle proposition est vraie ») et l’imagination perceptuelle (contenu visuel, auditif, sensitif, olfactif par exemple). Les représentations imaginées sont en relation de miroir avec la réalité tout en restant isolées de cette dernière2.
L’imagination créatrice consiste, quant à elle, à être dans une réalité possible (le possible) ou dans une réalité imaginaire (l’irréel). Elle forme par exemple des représentations nouvelles à partir d’anciennes, crée un nouvel arrangement de données3. Cette caractérisation rejoint la définition de référence qui est donnée de la créativité : réaliser une production qui soit à la fois nouvelle et adaptée aux contraintes de la réalité.
En psychologie, Paul L. Harris4 montre que l’imagination constitue une capacité précoce et que le très jeune enfant (2-3 ans) distingue le réel de l’imaginaire (jeux symboliques, pensée contrefactuelle, écoute de fictions).
La séance 0 s’inspire des ateliers philosophie de l’Agsas (Association des groupes de soutien au soutien) : les élèves s’expriment librement s’ils le souhaitent sur le terme d’imagination et partagent ce que le terme évoque pour eux, terme qu’ils devront définir à l’issue de la séquence. Cette séance permet de recueillir les représentations initiales des élèves.
La séance 1 s’appuie sur Piccadilly Circus d’Alex Cousseau, illustré par Gaya Wisniewski. L’album fait voyager le lecteur et les personnages dans un bus à impériale, qui n’est en fait qu’un élément du manège de Piccadilly Circus et qui ne quittera jamais sa base. Les trois héros partis en direction des montagnes rencontrent des personnages incroyables, tels un frigo qui se lie d’amitié avec un bidon ou un yéti collectionneur de cactus.
Les tâches proposées aux élèves font approcher l’activité imaginante, ses objets ainsi que ses rôles en situation de lecture d’une fiction : imaginer ce qui pourrait se passer quand le bus quitte le manège (écrire son idée et la dessiner), échanger sur les idées des élèves ainsi que sur l’origine des idées, recenser à l’issue de la lecture de l’album quand et en quoi l’auteur, les personnages et le lecteur font preuve d’imagination, récapituler ce qui a été appris à propos de l’imagination.
En séance 2, les élèves découvrent comment fonctionne l’imagination créatrice dans C’est dingue ! de Francesco Pittau et Bernadette Gervais : fusionner des éléments empruntés au réel, un animal + un objet, sur la base d’une parenté formelle, afin de composer du nouveau, un animal existant. Par exemple, un hippopotame et deux cornets de glace, « ça fait un rhinocéros ! C’est dingue ! »
Nous avons privilégié une lecture ludique mettant les élèves à contribution en leur faisant émettre, sur certaines doubles pages, des hypothèses quant à l’animal obtenu, puis en leur faisant retrouver les autres associations ou fusions effectuées par les auteurs. Un atelier artistique a suivi, afin de mettre en pratique le processus créatif découvert et ainsi mieux le conscientiser.
La séance 3 a pour support l’album Attention ! Fais marcher ton imagination de Nicola O’Byrne. L’imagination est à la fois l’objet et le sujet de cet ouvrage. Le loup, rusé, enseigne au lapin comment utiliser son imagination, mais tel est pris qui croyait prendre, car le lapin, grâce à son imagination, aura la vie sauve. Un échange dirigé a permis aux élèves de répondre aux questions suivantes : « Qui a de l’imagination dans cette histoire ? À qui, à quoi sert-elle ? »
La séance 4 engage les élèves répartis en groupes à synthétiser ce qui a été découvert au fil de la séquence en tentant de définir le terme imagination.
Au terme de cette première phase d’expérimentation, nous avons tenté de mesurer l’impact des séances proposées et des supports utilisés sur la conceptualisation de l’imagination par les élèves. L’analyse des données recueillies fait apparaitre une évolution dans la représentation du terme imagination au fil des séances.
Alors qu’en séance 0, les élèves révèlent des représentations très spécifiques – « L’imagination, c’est imaginer un dragon, des extraterrestres », « Moi quand je joue, j’imagine » –, leurs formulations en séance 4 se font plus généralisantes : « Imaginer, c’est faire des images dans sa tête », « Ça sert à inventer », « créer », « rêver ».
De même, ils proposent une définition plus en lien avec le processus créatif : « L’auteur d’une histoire imagine où elle se passe, il imagine les personnages, ce qu’ils font… » « Il met ensemble, il associe des choses qui ne peuvent pas être ensemble. »
L’analyse des séances fait également apparaitre des conceptions plus spécifiantes : les élèves définissent l’activité d’imagination comme une production et un assemblage d’images. Nous faisons l’hypothèse que l’album C’est dingue ! a participé à cette évolution.
Concernant les objets de l’imagination, l’idée d’extraordinaire renforce la prédominance d’irréel : « des situations bizarres », « des surprises », « des choses incroyables ». Nous pensons que l’album Piccadilly Circus, en mettant en scène des personnages comme un frigo ou un yéti, a influencé les élèves.
À l’issue des quatre séances, de nouvelles fonctions sont mentionnées, telles que des fonctions cognitives (« réfléchir », « penser ») ou des fonctions pragmatiques liées à la lecture de fictions. Enfin, en séance 4, tous les groupes mentionnent dans leurs réponses les trois albums lus pendant la séquence.
Ainsi, la conceptualisation de l’imagination s’est approfondie tout au long de la séquence. Les élèves ont conscientisé l’activité d’imagination : l’activité imaginative elle-même, ses circonstances mais surtout ses objets et ses fonctions. Il semble que les principaux vecteurs d’évolution reposent sur les caractéristiques des albums sélectionnés et la progressivité de la démarche.
Ces analyses nous ont amenés à remanier cette séquence d’enseignement sur la deuxième année d’expérimentation, afin de favoriser chez les élèves une densification et une spécification plus grandes de la conceptualisation (activité d’imagination).
Il nous parait également intéressant d’amener les élèves à dépasser la notion d’image pour aller vers celle d’imaginaire : l’imagination n’étant pas uniquement liée à la perception visuelle, tous les sens peuvent être convoqués.
Face aux difficultés à reproduire le processus créatif éprouvées par les élèves lors de la séance sur C’est dingue !, nous avons déplacé cette séance dans la phase 2 de notre expérimentation. Prenant appui sur les albums C’est dingue !, La Chaise bleue de Claude Boujon et Les Restaurants imaginaires de Loïc Clément et Anne Montel, cette deuxième phase consiste à amener les élèves à expérimenter le processus créatif au travers de plusieurs activités en production orale, écrite et artistique : créer un animal en associant deux réalités différentes ; détourner un objet de son usage courant ; inventer une recette correspondant à un restaurant imaginaire.
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