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Actrices-acteurs du vivant

Luciana Leclerc, enseignante en sciences de la vie et de la Terre (SVT) et professeure relai à Universcience, nous raconte le parcours qui l’a menée à développer des pratiques d’éducation au développement durable et à les partager dans le cadre de la médiation scientifique.
Enseignante depuis 2002, elle a commencé sa carrière de titulaire au collège Robert-Doisneau dans le XXe arrondissement de Paris. « Au début, j’étais contente d’enfin enseigner, toutefois cela me demandait beaucoup d’énergie pour gérer la classe et désamorcer les conflits. » Au bout de huit ans, elle change d’établissement et arrive au collège Courteline, surnommé le « petit Henri IV de l’est parisien ».
En passant d’une zone sensible à un secteur plus privilégié, elle découvre un climat apaisé, des conditions matérielles meilleures et des élèves très encadrés par leurs parents sur le travail scolaire. Elle se sent plus sereine et s’investit dans des projets comme le faisaient ses collègues de Doisneau. « Je les admirais d’être aussi engagés. »
En 2016, avec la complicité de la secrétaire de direction, elle lance un projet biodiversité. Depuis, chaque année, en impliquant des écodélégués, un nouveau projet est lancé. En 2020, ils ont gagné le premier prix national dans la catégorie collège, un prix décerné par le ministère de l’Éducation nationale et Bayard Presse.
Ils ont été récompensés pour la production de légumes servant à la préparation de repas distribués par des jeunes lors de maraudes. « On s’inscrit dans un cercle vertueux avec les déchets de la cantine récupérés pour fabriquer du compost servant à la production de légumes, et tout ce qui a été mis en place dans le jardin pour développer la biodiversité et donc par ricochet la pollinisation pour la transformation des fleurs en légumes. » Depuis, la serre qu’ils utilisaient a été démontée et le projet à évolué.
Désormais, les élèves collectent des denrées lors des portes ouvertes du collège et les troquent contre des objets qu’ils ont confectionnés, des éponges ou du compost par exemple. Une mare a aussi été creusée pour développer la biodiversité, des nichoirs ont été posés, un escape game a été créé pour sensibiliser l’ensemble des collégiens. Les écodélégués ne manquent pas d’idées pour renouveler leurs actions chaque année, encouragés et encadrés par le binôme secrétaire-enseignante.
Au départ, l’envie de travailler sur ce type de projet correspond à une prise de conscience de la situation environnementale. « Je me suis dit qu’il fallait absolument mettre en place des actions pour se sentir moins anxieux. C’est important en tant qu’enseignante de sensibiliser la jeune génération sur les enjeux ». Elle s’implique d’abord en tant que citoyenne dans son quartier.

Entretien de la mare
Le covid interrompt les actions, qu’elle poursuit dans le cadre de son métier. Les écodélégués sont d’ailleurs aussi venus dans le quartier lors d’une journée organisée avec la bibliothèque municipale. « Je suis convaincue qu’il faut avoir connaissance de la situation de la planète, par les programmes, tout en associant les savoirs avec de l’action. Donner des leviers d’action aide les élèves à être moins anxieux. » Elle veille à cette association dans ses cours aussi dès la 6e en abordant le thème du vivant de façon concrète. Elle illustre la biodiversité en allant regarder les végétaux du collège.
Les 6e travaillent aussi avec des collèges de Paris et de Montpellier sur des nichoirs connectés en lien avec un laboratoire de recherche en écologie qui travaille sur l’adaptation des mésanges au changement climatique. Avec les 3e, elle a mené un projet théâtre où les élèves étaient invités à rejoindre les comédiens sur scène pour un spectacle qui parlait des migrants climatiques, de la montée des eaux, avec sensibilité et humour.
Elle privilégie l’interdisciplinarité pour « éviter de rebuter les élèves avec les chiffres, avec le sentiment de trop entendre parler d’un thème qu’ils pourraient estimer trop complexe. L’objectif est de rendre les connaissances accessibles mais aussi d’associer le français, les arts plastiques, la musique pour que la dimension sensible soit une autre porte d’accès. »
Elle a proposé à ses élèves de 3e un travail de prospective, ils devaient imaginer leur quartier en 2054, un projet lancé et accompagné par l’OCE (Office for Climate Education). Ils ont écrit des nouvelles après avoir étudié la dystopie et l’utopie en français. Les arts plastiques, l’éducation musicale ont été aussi parties prenantes pour représenter le quartier et imaginer les sons du futur.
L’interdisciplinarité peut aussi, selon les thèmes, inclure la physique-chimie et l’histoire. C’est le cas lorsque le sujet concerne le devenir des technologies et des avancées scientifiques développées pendant les guerres, comment elles sont réinvesties en temps de paix et quels sont leurs impacts aujourd’hui en matière de santé et d’environnement. Le sujet amène à des controverses selon que l’on s’intéresse aux radars, au nucléaire ou à l’usage du napalm. « Cela leur permet d’avoir un sens critique, de s’interroger sur les choix qui ont été faits et ceux qui auraient pu être faits ».
Dans ses pratiques pédagogiques, le collectif est essentiel. Elle regarde autour d’elle les projets que d’autres ont développés, comme la webradio du collège, et les liens qui se créent entre toutes les initiatives, encouragées par la direction et l’équipe administrative. Elle répond aux propositions de ses collègues, pour créer une cogniclasse.
Elle répond même au-delà de son établissement en devenant formatrice académique en sciences cognitives l’année dernière ou encore pour intégrer un groupe sur « EDD et numérique ». Face aux réductions budgétaires, elle s’inquiète du devenir de tous ces projets où les heures de coanimation et de préparation sont essentielles.
Professeure relai à Universcience depuis trois ans, elle constate également côté médiation scientifique l’importance des projets pédagogiques pour les élèves mais aussi les enseignants. La structure regroupe le Palais de la découverte et la Cité des sciences et de l’industrie avec, au fronton, la volonté de promouvoir la culture scientifique et technique.
Luciana Leclerc participe à la production d’outils pédagogiques à destination des enseignants et propose des formations où science et arts se mêlent. Dans ces missions se glisse un partenariat avec un réseau d’éducation prioritaire pour développer des projets. Cette année, le thème est « jardiner à l’école ». Elle accompagne les enseignants volontaires qui viennent à la Cité des sciences avec leurs élèves. Un entomologiste doit intervenir dans les classes impliquées et favoriser ensemble l’accueil des petites bêtes dans les jardins de leurs écoles.
Elle avoue, dans cette superposition de fonctions, entre décharge et heures supplémentaires, connaitre des périodes de l’année en surcharge mentale. Elle est toutefois motivée « d’être au contact de scientifiques dans un lieu où on apprend plein de choses ». Elle voit l’envers du décor, s’immerge dans la muséographie pour mieux exercer son rôle de médiatrice. Elle constate que son gout d’enseigner se renouvelle et se renforce là aussi. « J’adore accueillir les élèves, montrer que la science est à portée de main. Tous les enseignants devraient à un moment donné, s’alléger un peu de la charge d’enseignement et faire autre chose à côté. »
Elle a aussi repris le chemin des études en entreprenant un master de didactique des sciences de la nature et un mémoire sur les sciences participatives et l’extinction de l’expérience de nature. Et là encore, elle s’intéresse à la démarche scientifique, à la façon dont elle peut être partagée avec les élèves, pour ne plus être que spectateurs, mais acteurs à part entière du vivant et de son devenir.

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