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Sisyphe et les troubles

Détail d’une amphore attique à figures noires. Nekyia Staatliche Antikensammlungen.
L’objectif de la session de « Form@ctions » proposée par le CRAP-Cahiers pédagogiques le 12 mars 2025 était de proposer des pistes pour accueillir et prendre en compte des élèves porteurs de troubles dys et trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH ) dans les classes, sans s’épuiser à préparer des cours pour chacun et chacune. Deux textes parus dans le n° 552 des Cahiers pédagogiques, « Les dys dans la classe » (2019), avaient été proposés en amont pour amorcer la réflexion :
- « Mission impossible en cours de français ? » de Carine Perrin, professeure de lettres-histoire témoignant de sa pratique dans une classe qui accueille un tiers d’élèves à besoins particuliers ;
- « En formation, s’approprier une démarche », écrit par Mike Noeppel, conseiller pédagogique ASH (Adaptation scolaire et scolarisation des élèves handicapés), qui parle de sa façon d’aborder la formation des enseignants aux besoins spécifiques des élèves porteurs de troubles dys ou TDAH.
Au lycée, ma discipline, les lettres, est au cœur de la bataille. Autant dire que l’intitulé me donnait soif d’en savoir plus ! L’opportunité d’avoir un éclairage savant tout autant qu’un dialogue interdegrés était à saisir, d’autant qu’éviter l’épuisement est devenu une problématique largement répandue dans nombre de métiers.
Par petits groupes, nous avons d’abord discuté des textes proposés. Ce petit temps m’a permis de constater que, selon d’où on parle, nous avions des expériences diverses : dans certains établissements, un travail d’équipe est déjà en place sur ces problématiques. Des temps de parole du type « café des parents » existent pour offrir un espace de dialogue sans jugement et faciliter la coéducation. Ailleurs, la communication entre collègues pose souci : comment ne pas heurter celles et ceux qui ne souhaitent pas évoluer dans leurs représentations et considèrent les élèves à profil particulier comme des privilégiés ?
La session se fait en distanciel. On active son micro à tour de rôle. D’autres, qui ne peuvent pas prendre la parole pour des raisons informatiques que la raison ne connait pas, s’accrochent au tchat : rapidement, tout le monde émet des propositions.
Nous avons retenu comme levier le fait de travailler en réseau, en partenariat, avec les collègues volontaires et les thérapeutes qui le souhaitent, le peuvent. Il s’agit de mutualiser ce qui se fait déjà, d’éviter que les parents expriment des attentes qui semblent irréalisables à des professeurs frustrés, pour leur part, de ne pas pouvoir y répondre et s’épuisant à la tâche.
Je pense à Sisyphe, qui est condamné à rouler éternellement une pierre redescendant chaque soir de sa colline : voilà ce que nous cherchons à éviter. Nous proposons pour cela de préparer des séances en équipe, de prévoir l’utilisation des outils numériques adéquats, de faire entrer les professionnels dans les établissements. Du temps passé en amont, mais un épuisement évité pendant les séances.
Le maitre-mot de cette idée est de faire alliance. Nous évoquons les fois où c’est possible et à quel point ça fonctionne, gageant qu’en s’appuyant sur les volontaires, on peut faire évoluer à la fois les représentations du collectif et l’image que les élèves se font de leurs capacités.
Nous pensons aussi aux parents et pointons l’importance de ne pas stigmatiser les élèves ni les collègues hostiles à la remise en question et au changement. « Ensemble on va plus loin » dit l’adage, mais ici, c’est plutôt « quand les adultes travaillent ensemble, l’élève va plus loin ».
Ce respect et cette mobilisation des forces vives s’étend à la question des accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH). Quand l’intensité du besoin de l’élève suivi le permet, quand la personne est en capacité de le faire et a de l’appétence, l’AESH peut s’intégrer au collectif et s’adresser à la classe dans une forme de co-intervention.
Dans la discussion qui suivra avec Michèle Mazeau, spécialisée en médecine physique et de réadaptation (MPR), il sera question aussi du dialogue avec les thérapeutes. Ces derniers ne peuvent pas toujours venir aux réunions, qui sont des temps non rémunérés. Il ne s’agit pas de les épuiser, on l’a dit, c’est le maitre-mot et c’est ce qui fait que les propositions sont réalistes : passer un coup de téléphone de temps en temps à l’ergothérapeute, à l’orthophoniste qui suit l’enfant peut s’avérer fécond.
L’alliance, c’est un joli mot, mais c’est aussi une belle réalité, et pour cela, naturellement, on prend l’accord des parents. On pourra s’attacher ainsi à demander aux spécialistes ce qui est réalisable au sein de la classe.
Un autre groupe proposera, dans cet état d’esprit, de favoriser l’accès rapide aux plans d’accompagnement personnalisé (PAP). Pourquoi ne pas déployer l’accès au livret de parcours inclusif (LPI) ? Mais là, le clignotant d’alerte tourne au rouge : le livret, c’est peut-être trop chronophage, et on ose l’expression « usine à gaz ». En tout cas, il est possible de placer des documents dans Pronote, lorsque c’est le logiciel utilisé. Avec un pictogramme associé à l’élève, cela peut permettre en un clic d’en apprendre un peu plus et de compléter ce qui est observable pendant les cours.
Travailler autrement, et non pas travailler davantage. C’est vendeur, pas toujours simple, mais un pas plus loin est toujours possible.
Par exemple, pour la lecture, il n’est pas toujours adapté de travailler en groupes hétérogènes : penser par cycles, regrouper différemment les élèves, peut porter ses fruits.
Michèle Mazeau abonde dans ce sens pendant son temps de parole. Lire à haute voix une consigne ou un texte, c’est bien et ça témoigne d’une volonté d’étayer l’élève. Mais n’importe qui relit plusieurs fois, même des gens qui lisent très bien ! Cette évidence l’amène à nous parler des logiciels oralisateurs de texte, que ce soit l’outil de traitement de texte de base ou des supports de textes en version audio. Avec cette possibilité d’écouter et de réécouter, un élève jeune, en cycle 3 par exemple, peut s’autonomiser.
Du côté du médical, lorsque le spécialiste est en tête à tête avec l’élève, il peut travailler dans ce sens, et lors des échanges entre l’équipe enseignante et les rééducateurs, on peut porter l’attention sur ce qui permet l’autonomisation de l’élève. Pour cela, précise Michèle Mazeau, le plus tôt est le mieux. Nous avons tous et toutes l’image de l’élève à profil particulier qui se met au fond de la classe, qui évite ou refuse les aides proposées : plus il s’autonomise tôt, mieux cela vaudra. Bénéfice supplémentaire : voilà que l’enseignant monte en compétences !
En parlant d’apprendre, j’adore et j’adopte cette distinction que nous soumet la spécialiste : il y a, d’une part, les troubles focalisés (dys, par exemple) et, d’autre part, les troubles transversaux (troubles de l’attention, du spectre autistique, qui touchent toutes les disciplines). Pour ce qui est focalisé, l’élève peut devenir autonome. Pour ce qui est transversal, il peut avoir besoin d’un accompagnement de type AESH.
Voilà qui nous ramène à des besoins de formation concernant le fonctionnement du cerveau. Là, cela concerne les enseignants, et finalement c’est plutôt rassurant, car l’enfant, comme Michèle Mazeau nous le rappelle, ne se résume pas à son trouble. C’est un être dont la vie se poursuit ailleurs que dans le monde scolaire. De ce fait, la formation dessine en creux ce qui appartient à chacun : pour nous, professeurs, c’est l’apprentissage. Et cela peut aussi permettre d’éviter l’épuisement. D’autant qu’en apprendre plus sur le fonctionnement du cerveau permet de mieux enseigner à tous les élèves.
La question de l’évaluation est bien sûr soulevée, l’intérêt notamment de penser en termes de compétences ou, du moins, de valoriser les acquis et non de pointer les manques. De revenir au cœur de la discipline : qu’est-ce que l’enfant connait, qu’est-ce qu’il ou elle sait faire ? Et non : comment sont restitués les savoirs.
Dans le temps qui a suivi, Michèle Mazeau a pointé deux faits qui, d’ores et déjà, éclairent le regard porté sur nos élèves.
Le premier, c’est que les enfants ayant un trouble agissent comme une loupe. Ils ont une difficulté que toutes et tous peuvent éprouver, mais chez eux, elle est grossie. La métaphore rappelle que les aménagements mis en place, nombreux, parfois non conscientisés, parfois pas si couteux, sont utiles au groupe classe.
Le second, c’est que ce qui conditionne leur avenir, c’est le domaine où ils ne sont pas en difficulté. Je l’oublie si souvent, moi qui n’ai devant moi que des futurs professeurs agrégés de lettres modernes, bien évidemment, alors que certains s’entêtent à être excellents pour arbitrer, créer, résoudre un problème et toutes sortes de savoir-faire ! Ironie mise à part, l’avenir de ces élèves se situe là où ils sont en réussite, il est donc impératif de valoriser, d’insister sur ce qui leur est profitable. Leur avenir, c’est leur point fort. Mais oui : c’est peut-être pas plus mal si tout le monde ne devient pas « littéraire » !
Autant dire qu’en me souvenant de préconisations apprises lors de stages précédents et réactualisées, en bénéficiant des échanges facilités par l’ancrage sur une lecture partagée, en m’appuyant sur l’énergie positive de ce temps, je suis sortie stimulée par cette formation. Quelques outils, quelques leviers, et un horizon pour mon action : rendre autonomes les élèves, valoriser leur domaine de réussite. Adieu Sisyphe ! Nos dys sont des loupes très utiles pour explorer le champ humain.
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