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AESH ou le mirage de l’école inclusive

Le site Eduscol l’affirme : « Permettre à l’école d’être pleinement inclusive est une ambition forte du président de la République, qui a fait de la scolarisation des élèves en situation de handicap une priorité du quinquennat. » L’écart entre l’ambition affichée et la réalité vécue dans les écoles est si fort qu’une journée de mobilisation contre la précarité des AESH (Accompagnants d’élèves en situation de handicap) a lieu ce jeudi 8 avril. Témoignages de deux AESH et d’un parent d’élève multi-dys.


Louis et Karine[[Étant donné le statut précaire des AESH, les témoignages ont été anonymisés.]] aiment leur travail. Être AESH leur donne le sentiment d’être utiles, de voir les élèves qu’ils accompagnent progresser, quelle que soit la nature de leur handicap.

Louis a postulé sur les conseils de sa compagne enseignante. Outre des qualités humaines telles que l’empathie ou le goût du travail en équipe, le niveau requis est celui du bac ou d’un diplôme professionnel dans le domaine de l’aide à la personne. Titulaire d’une licence en arts plastiques, il a tenté « au feeling » en se donnant un an pour voir si cela lui plairait. « J’ai vécu une première expérience bénéfique en accompagnant en moyenne section un enfant avec de multiples problèmes. L’équipe était soudée, sans différence entre l’ATSEM [Agent territorial spécialisé des écoles maternelles], l’enseignante et moi. Je me suis senti valorisé. » Le sentiment d’utilité et d’appartenance ne l’a pas quitté l’année suivante, en élémentaire.

Aujourd’hui, il partage son temps entre un enfant en maternelle « qui se met constamment en danger » et un collégien handicapé moteur. Il apprécie la variété des accompagnements et des contextes. « On s’adapte à chaque enfant et à chaque enseignant. »

« ON SE FORME NOUS-MÊMES »

Karine, elle-même en situation de handicap, « adore [son] métier » qu’elle pratique depuis 2016. « Au début, je ne savais pas trop où j’allais. La maitresse a su m’expliquer ce qu’avait l’enfant dont je connaissais juste le prénom. » Même si, depuis 2017, les néo-AESH suivent une formation de soixante heures lissée sur deux ans, l’apprentissage se fait souvent sur le tas et en échangeant avec les collègues. «Les formations sont trop courtes, avec trop de monde pour pouvoir poser des questions. On recherche sur Internet, on se passe les documents entre nous. On apprend, on se forme nous-mêmes. C’est parfois compliqué, sur l’autisme par exemple.»

Louis explique qu’ « il faut être très souple, car les méthodes ne sont pas applicables de la même façon d’un enfant à l’autre. C’est une question d’écoute. On ne connait pas toujours les pathologies. On évalue, on jauge nos méthodes. »

Pour les enfants en situation de handicap, l’accompagnement est une nécessité. Une dysgraphie, une dysorthographie et une dyspraxie ont été diagnostiquées chez le fils de Laurent. « Il a besoin d’une AESH au quotidien. Il suit quand il est seul, car il est volontaire, mais il a des soucis de compréhension des consignes et ne parvient pas à répondre à toutes les questions dans les temps. » Son accompagnatrice copie les réponses qu’il lui dicte, relit si nécessaire les consignes, veille à lui donner les éléments pour qu’il travaille en autonomie. Les effets positifs se lisent dans une confiance en lui qui vient petit à petit, un sentiment d’être capable de réussir les exercices.

UNE AIDE HUMAINE MUTUALISÉE

Karine accompagne un enfant avec syndrome autistique. « Si je suis absente, il ne tient pas en place, il démonte la classe. Généralement, les parents le gardent à la maison quand je ne suis pas là. » Elle est présente à ses côtés vingt heures par semaine, car il bénéficie d’une notification d’accompagnement individualisé délivré par la CDAPH (Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées).

Pour les élèves qui « ne requièrent pas une attention soutenue et continue », selon le site du ministère de l’Éducation nationale, « l’aide humaine » est mutualisée. Les heures d’accompagnement sont donc réparties entre plusieurs bénéficiaires. Le déploiement des PIAL (Pôles inclusifs d’accompagnement localisés) est censé organiser cette répartition. Toutefois, le flou demeure et les inquiétudes s’accroissent.

Le temps de travail de Louis se répartit entre une école maternelle et un collège. « Au collège, mes deux collègues suivent six enfants en notification mutualisée avec un minimum de deux élèves à aider par classe, témoigne Louis. Ils n’ont pas les mêmes besoins, il faut jongler pour consacrer du temps à chacun. »

Karine craint que la mutualisation des aides humaines ne dégrade encore plus les conditions de travail des AESH : « On risque de travailler sur plusieurs écoles. Il faudra gérer les trajets sans savoir s’ils seront pris en charge financièrement. Et puis, quelle confiance pourra-t-on instaurer avec un enfant que l’on ne verra que deux heures de temps en temps ? »

Elle souligne l’importance des rituels, d’un cadre construit avec l’élève et l’enseignant. Elle craint qu’il ne vole en éclats en l’absence de régularité, et plus fortement encore si plusieurs AESH accompagnent le même enfant au gré d’une logique de répartition dont les règles sont peu transparentes. « On se sent comme des pions, sans prise en compte de nos compétences. Je connais plein de choses maintenant sur l’autisme, des collègues ont plus d’expérience sur les troubles dys. »

« LES PORTES DE L’ÉCOLE INCLUSIVE SE FERMENT, FAUTE DE MOYENS »

Côté parents comme côté accompagnateurs, les règles de répartition semblent opaques. Ainsi, le temps d’accompagnement du fils de Laurent est passé de dix à sept heures, sans explication. « On pense à priori que l’AESH sera présente sur tout le temps scolaire, mais en fait cela représente peu d’heures, et le volume est modifiable. La répartition est aléatoire en fonction des disponibilités. » Louis confirme le constat du papa : « Chaque établissement fait sa tambouille à partir des moyens disponibles, avec un nombre d’élèves concernés en augmentation. On a eu une grande réunion de présentation du PIAL où on nous a dit que nous étions les garants de l’école inclusive. Mais dans la réalité, la porte se referme, faute de moyens. »

Le travail en équipe avec les enseignants est primordial pour comprendre le travail demandé à l’élève, trouver sa place pour relayer les intentions pédagogiques, accompagner sans intervenir. En filigrane, cette collaboration favorise un climat de classe apaisé, propice aux apprentissages. D’autant que, comme le précise Laurent à propos de son fils, « d’autres élèves sont en difficulté dans la classe, mais ne bénéficient pas d’un accompagnement, faute de notification. Pour certains parents, la démarche est difficile ».[[Pour obtenir une notification, il faut déposer un dossier à la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées), ce qui nécessite au préalable d’obtenir un rendez-vous chez un orthophoniste (et parfois d’autres spécialistes), avec à la clé des frais médicaux partiellement remboursés.]]

La présence dans la classe d’une AESH permet aussi à l’enseignant d’adapter ses interventions aux difficultés individuelles. Le rôle de ces accompagnants s’est affirmé d’année en année, avec une intégration rapide ou plus lente dans les équipes, selon le niveau d’enseignement et le contexte de l’établissement.

MOBILISATION CONTRE LA PRÉCARITÉ ET LES BAS SALAIRES

Le métier est riche, s’appuie sur des compétences qui s’élargissent constamment. Pourtant, le salaire marque un manque de reconnaissance pour des acteurs clés de l’inclusion scolaire : 780 euros net mensuels pour vingt-quatre heures de travail hebdomadaire.

Le faible salaire, la précarité des postes et les incertitudes liées au déploiement des PIAL sont en tête des revendications de la journée de mobilisation du 8 avril. Le mouvement fait l’objet d’un appel syndical unitaire, signe que le devenir des AESH est une préoccupation partagée. Localement, des pétitions et des démarches auprès des élus ont été organisées conjointement par les enseignants et par les parents. « Il y a un décalage entre le discours d’Emmanuel Macron sur la scolarisation de tous les enfants et l’absence de solution pérenne. Comment suivre une scolarisation normale sur moins d’un tiers du temps de l’année ? L’égalité des chances en prend un coup », dénonce Laurent.

Derrière les slogans ressortent des inquiétudes immensément humaines. « Rien de ce qui est dit n’est fait. Deux heures par semaine d’aide humaine pour un élève, ça sert à quoi ? L’enfant ne fera rien, la maitresse sera démunie, les autres enfants dérangés. C’est une véritable maltraitance », déplore Karine. Pourtant, elle continue à aimer son métier. Tout comme Louis, qui résume ainsi son métier : « C’est un boulot gratifiant, mais avec un faible salaire pour beaucoup de poids. »

Monique Royer


L’appel intersyndical pour la mobilisation du 8 avril


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