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Inclure tous les élèves : une obsession française ?

Un certain candidat à l’élection présidentielle a récemment estimé que les enfants en situation de handicap devraient être scolarisés dans des établissements spécialisés, dénonçant une « obsession de l’inclusion ». Nous rappelons ici pourquoi il est important au contraire de maintenir le principe de l’inclusion scolaire, sans nier les difficultés ni négliger le chemin qui reste à faire.

« Clémentine pousse des cris, tape ses camarades, mord son AESH (accompagnante d’élève en situation de handicap) et se roule par terre. Et puis moi, j’en ai vingt-quatre en classe. Tout le monde est en souffrance : ses camarades, son AESH et surtout elle. Elle n’a rien à faire à l’école. Elle n’apprend rien. Ce qu’il lui faut, c’est des soins. »

Voici un ou une collègue qui n’en peut plus, qui n’y arrive pas et pourrait adhérer aux propos relatifs à « l’obsession de l’inclusion ». Il ne s’agit pas d’émettre un jugement. Ces propos sont souvent le résultat d’un sentiment d’impuissance. La colère est là parce qu’« on n’a pas signé pour ça ». Le désespoir arrive parfois parce qu’on est seul, impuissant et pris dans une injonction paradoxale majeure, comme le souligne Benjamin Moignard1 : une institution qui dit vouloir accueillir tous les enfants en étant de plus en plus normative.

Essayons donc de regarder plus posément ces propos pour ne pas jeter le bébé de l’inclusion avec l’eau du bain normatif.

Elle crie et mord toute la journée, Clémentine ?

Probablement pas… L’emploi du présent de l’indicatif pourrait pourtant le laisser entendre. La tentation est grande d’accoler à Clémentine l’étiquette d’ « élève perturbatrice ». De ne voir plus que ça, chez Clémentine. On la guette comme le lait sur le feu. On s’en méfie et on a du mal à saisir les moments où on pourrait encourager autre chose. Elle est là et elle perturbe le groupe, le programme. Elle me perturbe.

Elle n’apprend rien Clémentine ? Vraiment rien ?

Un des arguments rapidement utilisé est celui-ci : c’est pour elle, c’est pour son bien, elle apprendra davantage dans un établissement spécialisé. Mais qui peut en attester ? Qui est dans la tête de Clémentine ? Qui sait ce qu’elle retient, apprend ? Est-ce qu’on se soucie autant d’un élève qui ne prend pas la parole de l’année par timidité ? Certes, il ne s’agit pas non plus de s’éloigner trop de la fameuse « zone proximale de développement »2, il ne faut pas proposer des marches trop hautes à monter. Mais attention aux réflexes d’exclusion qui font qu’on a tendance à oublier ce que les élèves peuvent s’apporter entre eux ! Qu’est-ce qu’on met en place pour la rencontre, pour leurs interactions, pour leur coopération ?

Le Graal : le diagnostic !

Clémentine, pour qu’elle aille perturber ailleurs, on aimerait bien que quelqu’un établisse rapidement un diagnostic. Alors on lui en pose un à l’emporte-pièce : « Il lui faut des soins. » Mais le handicap n’est pas une maladie ! Et dans un établissement spécialisé, on ne passe pas sa journée à « faire des soins ». On peut y trouver des orthophonistes, des psychomotriciennes, des psychologues qui prendront l’enfant une heure ou deux par semaine. Beaucoup de groupes d’IME (Institut médicoéducatif) fonctionnent comme des petites classes de maternelle. Ritualisées, sans pression programmatique excessive, avec des ateliers au choix, un rythme adapté, etc.

La question sous-jacente est : à partir de quand on est trop éloigné de la norme ? Les normes, ce sont des programmes, le rythme, les horaires. Est-ce que c’est à Clémentine de s’y adapter ou est-ce qu’on ne pourrait pas faire évoluer la norme pour rendre l’école plus accessible ? C’est la question de la recherche d’une vie en société inclusive, c’est à dire une société qui n’exclut personne. Une société dans laquelle on cherche à concilier le singulier et le commun, l’individu et le collectif.

Et la souffrance des enseignants ? On peut dire qu’on y arrive pas ?

Il n’y a pas de lieu pour ça. Alors que la plupart des métiers de l’humain ont intégré de l’analyse de pratique au temps de travail, ça n’est toujours pas le cas pour les enseignants et pour les enseignantes. Une difficulté personnelle ? Va voir un psy et reviens quand ton problème est réglé. Un sentiment d’impuissance auquel on ajoute la solitude ? Ton problème n’est pas le nôtre. Est-ce que Clémentine est considérée comme l’élève de toute l’école ou est-ce que c’est juste Untel ou Unetelle qui doit « la subir » cette année et passera le relais l’année prochaine ? S’ajoute à cela une culture : le statut de l’erreur en France. Il faut réussir du premier coup, les processus itératifs (essai/erreur/essai/erreur) ne sont pas les bienvenus.

Alors peut-être que Clémentine serait mieux accueillie et ferait plus de progrès dans un établissement spécialisé… Qu’aurait-on pu mettre en place pour rendre l’école de son quartier plus accessible à Clémentine et lui éviter une heure et demi de taxi par jour pour se rendre à l’IME ?

Comme pour Clémentine, l’établissement spécialisé apparaît donc d’emblée comme la seule solution pour certains enfants que l’on considère comme inéducables par l’école de la République et en son sein. Y a-t-il dès lors en France une véritable « obsession de l’inclusion », comme on a pu l’entendre ? Deux rapports successifs de l’ONU parlent, quant à eux, d’une nécessaire désinstitutionnalisation3 pour que soient respectés en France les droits des enfants en situation de handicap4. On est donc encore loin d’une « école de la République pleinement inclusive en 2022 »5 !

Il apparaît urgent de mettre en regard ces éléments pour demander au ministère de l’Éducation nationale un plan à la fois réaliste et ambitieux en faveur de l’inclusion. Un plan qui pourrait articuler accessibilité pédagogique et didactique et compensation, et ferait place à de véritables alliances éducatives dans l’intérêt et le respect de l’enfant et de l’adolescent hors norme scolaire. Pour que les avancées de l’école inclusive ne s’arrêtent pas en marche ! Et pour éviter le retour du pire…

Évelyne Clavier
Enseignante coordinatrice ULIS et membre du Lasalé (laboratoire sur l’accrochage scolaire et les alliances éducatives) de la HEP-VAUD (Suisse)
Gwenael Le Guével
Président du CRAP-Cahiers pédagogiques

À lire également sur notre site :

Pour une école réellement inclusive, par Cécile Blanchard

Écolière et « hors norme » : le droit d’être élève est chahuté, portrait de Caroline Boudet par Monique Royer

École inclusive et dilemmes professionnels, par Catherine Reverdy

« On aimerait mieux, souvent, voir l’élève inclus dans la classe. » Interview d’Élisabeth Bussienne et Évelyne Clavier, coordonnatrices du dossier « Inclure tous les élèves » des Cahiers pédagogiques


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Inclure tous les élèves

Pour les élèves à besoins éducatifs particuliers, l’écart est parfois grand entre ce qui est prescrit et la réalité de leur scolarisation. Ce dossier vise à en pointer les freins et à proposer des leviers à même de faire vivre l’école inclusive refondée.

 


Notes
  1. Voir ici :  https://www.autonome-solidarite.fr/articles/benjamin-moignard-parler-deleve-hautement-perturbateur-est-un-moyen-commode-de-ne-pas-interroger-linstitution/
  2. Ce concept de Lev Vygotski concerne l’étendue des tâches qu’un enfant peut maitriser entre celles qu’il peut accomplir en autonomie et celles qu’il parvient à réaliser avec l’aide d’une personne plus avancée dans ce domaine, un autre enfant plus expérimenté ou un enseignant.
  3. Une fermeture progressive des institutions médicosociales et un transfert de leurs personnels et de leurs compétences vers les écoles.
  4. Organisation des Nations-unies, Visite en France – Rapport de la Rapporteuse spéciale sur les droits des personnes handicapées(2019) et Observations finales concernant le rapport initial de la France du 4 octobre 2021.
  5. Ministère de l’Éducation nationale, Ensemble pour l’école inclusive, dossier du 18 juillet 2018.