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Écolière et « hors norme » : le droit d’être élève est chahuté

Être parent d’un enfant en situation de handicap, c’est se confronter aux réalités d’un système qui affiche l’inclusion à son fronton sans que les faits donnent corps à l’intention. Caroline Boudet, maman d’une petite fille atteinte de trisomie 21, témoigne sur son parcours de combattante pour que l’école inclusive soit une réalité quotidienne.

Avec un parcours d’élève et d’étudiante sans faille, elle avait pourtant à priori confiance dans un système scolaire où elle s’était épanouie. Son fils aîné vivait à son tour un début de scolarité heureux. « J’avais une vie assez tracée. J’avais l’impression d’être sur une autoroute. » La naissance de Louise a été une « arrivée dans l’univers du handicap assez fracassante ». La vie « normale » est bouleversée, les repères explosent. Pourtant, ironie du sort, la mère de Caroline Boudet travaillait à la Cotorep (Commission technique d’orientation et de reclassement professionnel, remplacée par les CDAPH – commissions des droits et de l’autonomie des des personnes handicapées) mais cet univers lui semblait lointain dans l’absence de tout contact avec des enfants handicapés, à l’école ou dans son entourage.

Dès les premiers jours de sa petite fille, elle est confrontée, dans l’enchaînement des rendez-vous médicaux, à des paroles blessantes, à des regards peu amènes. Un jour, elle est heurtée encore plus fortement par un « c’est une petite trisomique » lancé par un médecin et dont le « c’est » déshumanise totalement Louise, la range dans les objets.

Elle est journaliste, elle manie bien les mots et s’en saisit pour partager sa colère sur les réseaux sociaux. Sa publication est relayée partout dans le monde. « J’ai touché sans doute pas mal de personnes qui se sentaient différentes ». Des maisons d’édition la contactent pour qu’elle témoigne plus longuement. Son premier livre « La vie réserve des surprises », racontant les premiers mois de sa petite fille, puise dans les textes écrits au jour le jour dans un lent processus d’acceptation.

L’entrée à l’école

Elle pensait s’arrêter là, d’autant que désormais Louise avait trouvé un cadre accueillant au sein de la crèche du quartier. « Je ne voulais pas que cela devienne un filon, du style « Martine à la plage« . Et puis, la perspective d’une entrée à l’école se dessine.

Dès le mois de septembre de l’année précédant cette première rentrée, les parents de la fillette s’attellent à construire le dossier pour la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées) afin d’obtenir la présence d’une auxiliaire de vie scolaire et des aménagements. Ils prennent contact avec la directrice de l’école afin d’envisager la venue d’un orthophoniste et d’un kinésithérapeute pendant le temps scolaire comme cela a été fait à la crèche. Ils ont en tête les principes énoncés par la loi sur le handicap de 2005, qui « reconnaît à tout enfant porteur de handicap le droit d’être inscrit, en milieu ordinaire, dans l’école dont relève son domicile ». « Nous avons été naïfs, mais nous avons vite compris que cela allait être compliqué alors qu’il s’agissait d’une entrée en petite section de maternelle. »

Tout semble calé lorsque l’enseignante référente appelle, pour dire que le suivi des spécialistes au sein de l’école n’allait pas être possible. À leur question « pourquoi ? », la réponse tombe dans toute son inhumanité administrative « parce que cela ne s’est jamais fait ». La bataille reprend de plus belle avec le passage devant une commission pléthorique après un recours. L’enjeu est aussi d’obtenir une assistante de vie scolaire individuelle et non partagée avec d’autres enfants car Louise manque d’autonomie.

« Nous sommes des parents avec des bagages socioculturels conséquents. C’est une chance pour se battre et pouvoir parler avec des représentants des institutions. » La journaliste reprend sa plume pour raconter dans L’effet Louise ce quotidien partagé souvent en silence par de nombreuses familles. « Là, j’avais vraiment quelque chose à dire. Le livre parle du constat d’un gouffre entre les discours sur l’inclusion et la réalité de ce que l’on vivait. » Le combat en valait la peine. Aujourd’hui en grande section de maternelle, la petite fille affiche un grand sourire à l’heure de partir à l’école, gratifie chaque jour son enseignante d’un grand câlin. L’intégration auprès des autres élèves était aussi une crainte « C’est finalement un non sujet, il suffit de leur expliquer au départ des choses concrètes : pourquoi elle ne parle pas encore ou pourquoi elle porte des couches. »

Louise à l’école.

Cette scolarisation réussie est due en grande partie aux professionnels de l’éducation : enseignants, animateurs du périscolaire, Atsem (agent territorial spécialisé des écoles maternelles), AESH (accompagnants d’élèves en situation de handicap). « Il faut faire une nuance entre la machine Éducation nationale face à laquelle on se sent tout petit et les individus sur le terrain. »

Amère victoire

La victoire est amère, puisque ce dont bénéficie Louise, de nombreux enfants en sont privés car leurs parents n’ont pas les clés, les mots, les moyens pour batailler contre un système qui érige la complexité des dossiers en barrière. « Plein de familles abandonnent, baissent les bras et font ce qu’on leur dit de faire : orienter leurs enfants au plus vite vers le milieu spécialisé. Le handicap décuple les injustices. » Elle a écrit L’effet Louise, mue par une colère née de l’injustice, des discours gouvernementaux satisfaits qui gomment les difficultés. « J’avais envie de porter tout cela, de dire que tout ne va pas mieux dans le meilleur des mondes. Les choses ont certainement progressé. Mais l’école est encore dans une phase d’intégration, pas d’inclusion. »

Elle cite l’exemple de l’Italie où, depuis les années 80, les effectifs sont divisés par deux dans les classes accueillant un élève handicapé avec la présence d’un enseignant spécialisé auprès de l’enseignant titulaire de la classe. Elle compare avec la France où les AESH sont mal payés, peu formés, mal reconnus au sein de l’institution. « On fait avec des bouts de ficelles pour une grande ambition. » Encore une fois, elle regarde du côté de l’institution qui n’octroie pas les moyens nécessaires pour que les enseignants puissent appliquer sereinement et efficacement une pédagogie adaptée.

La relation humaine, l’attachement est un moteur pour Louise. Elle apprend en regardant les autres enfants. Elle est motivée par les attentions, les regards encourageants de son AESH qui, avant elle, n’avait jamais accompagné d’enfant trisomique. Elle aussi a appris, en dialoguant avec les parents de la petite fille, en lisant. Les accompagnants passent d’un type de handicap à l’autre, sans formation spécifique, comme si les situations étaient toutes semblables. « C’est un boulot formidable mais le manque de statut réel montre un certain mépris de la part de l’institution ».

Et là encore, les inégalités sont criantes : avoir une AESH à plein temps et dans la durée est une chance, alors que cela devrait être un droit. Les parents échangent beaucoup sur des forums et sur les réseaux sociaux. Les différences sont criantes d’une école à l’autre et selon les territoires. Le manque de moyens et de formation conduit bien souvent à un simulacre d’inclusion et à un échec programmé. L’orientation vers des structures spécialisées semble alors inéluctable, une véritable relégation des enfants handicapés. « On s’attaque à des choses fortement ancrées en France avec d’un côté l’Éducation nationale et de l’autre le médicosocial. Il faudrait exploser la barrière entre les deux. »

Pour Louise

Aujourd’hui, Louise est une petite fille heureuse, qui fête son anniversaire avec ses copains de classe, joue au square avec d’autres enfants et irradie de son sourire les yeux et le cœur des adultes. « On part d’un présupposé simple : Louise a 6 ans, on souhaite qu’elle vive dans la cité, dans la vie « normale« . Le pilier c’est l’école, on y apprend à vivre ensemble. Si à un moment, on constate qu’elle est en souffrance à l’école, on l’orientera ailleurs. »

Louise

Pour Caroline Boudet, l’espoir porté par les enfants estompe le découragement né de la violence du système, « un système pensé autour d’une certaine moyenne ». Elle constate que de plus en plus d’élèves en situation de handicap sont présents dans les classes ordinaires, habituant ainsi les enfants à côtoyer les différences, toutes sortes de différences. Et puis, elle souligne que « à chaque fois, quand il y a eu des difficultés, des individualités formidables nous ont aidés, nous ont donné aussi la force nécessaire pour continuer ». La force est indispensable pour compléter les formulaires, monter les dossiers, plaider pour un droit qui n’en est pas tout à fait un dans les faits.

La bataille pour Louise interroge, au-delà de l’exemple individuel, sur la question de la norme au sein de l’école et de la vie sociale. « Quelle société voulons-nous dans vingt ans ? Quel apprentissage de l’altérité aujourd’hui ? » Les interrogations de Caroline Boudet ouvrent vers le plan large de l’éducation aujourd’hui.

Monique Royer

La vie réserve des surprises aux éditions Fayard, 2016

L’effet Louise aux éditions Stock, 2020


À lire également sur notre site :
Pour une école réellement inclusive, compte-rendu d’une conférence d’Alexandre Ployé, par Cécile Blanchard

École inclusive et dilemmes professionnels, par Catherine Reverdy

« On aimerait mieux, souvent, voir l’élève inclus dans la classe. » Interview d’Élisabeth Bussienne et Évelyne Clavier, coordonnatrices du dossier « Inclure tous les élèves » des Cahiers pédagogiques


Sur notre librairie :

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N°526 – « Inclure tous les élèves »
Dossier coordonné par Élisabeth Bussienne et Évelyne Clavier

Pour les élèves à besoins éducatifs particuliers, l’écart est parfois grand entre ce qui est prescrit et la réalité de leur scolarisation. Ce dossier vise à en pointer les freins et à proposer des leviers à même de faire vivre l’école inclusive refondée.