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Questionner le projet « Réconciliations »

Extrait du film « Réconciliations : le collectif ».
« Réconciliations », c’est une méthode associant enseignants et parents pour mettre les élèves au travail et obtenir 100 % de réussite. Elle suscite beaucoup d’intérêt, mais aussi beaucoup de questions, et parfois de critiques. Monique Royer, membre du Comité de rédaction des Cahiers pédagogiques et autrice de plusieurs portraits autour de ce projet, et Gwenaël Le Guevel, président du CRAP-Cahiers pédagogiques, ont rencontré son initiateur, Jérémie Fontanieu, pour un échange plein d’interrogations.
La méthode « Réconciliations », initiée par Jérémie Fontanieu et David Benoit à Drancy, est désormais utilisée par un collectif d’enseignants. Son principe est de s’appuyer sur la coéducation en associant les parents, en particulier par l’envoi régulier de SMS. La presse a beaucoup relayé l’initiative, notamment à l’occasion de la sortie de deux documentaires.
Dans ces deux aperçus complémentaires de ce qui se joue, de ce que vise la méthode, on perçoit les postulats et préoccupations pédagogiques communs que nous avons : l’éducabilité, la volonté de partir du terrain, d’inclure enfants et parents depuis là où ils sont. Il subsiste aussi des questions, des besoins de creuser pour mieux comprendre.
La méthode se présente comme une modalité particulière de coéducation. Peu avant la rentrée, les parents d’élèves sont contactés par téléphone. C’est le début d’une alliance nourrie par des informations qui leur seront délivrés par SMS sur les résultats et le comportement de leurs enfants.
Mais comment accrocher ceux qui se sentent eux-mêmes éloignés de l’école ? « Quand tu vas chercher les parents aussi tôt, ils sont surpris, à priori favorables En appelant le 1er septembre, on leur dit qu’on est ravis de faire leur connaissance, que l’on va travailler ensemble pour la réussite de leur enfant. Les parents peu à l’aise avec l’école sont ceux qui nous suivent le plus, car avant ils n’avaient jamais eu ce genre de contact ».
L’alliance doit tenir dans la durée et tous les parents, sans doute, ne s’y investissent pas de la même façon. « Certains n’ont pas envie de prendre entièrement leur part. L’alliance est importante, donc on s’adapte, on fait preuve de patience, de diplomatie pour que tous les parents s’engagent, même les moins favorables à priori. Il n’y a pas une seule famille avec qui des tensions perdurent. »
Le système d’envoi hebdomadaire de SMS interroge aussi. Certes, ils sont formulés de façon positive. « Derrière les messages sympathiques, l’idée est de pousser les parents à prendre leur part pour nous faciliter le travail. » Les élèves n’ont-ils pas l’impression qu’ils n’ont plus de marge d’autonomie, que leurs parents sont au courant de tout, alors que les adolescents ont besoin de tiers lieux, de liberté ?
Est-ce qu’il n’y a pas de risque aussi d’une forte pression familiale sur l’enfant, voire de violences ? « C’est un triangle parents-profs-élèves, ce n’est pas une alliance des adultes contre les enfants. Il y a des choses que l’on ne transmet pas, pour protéger les enfants. En impliquant les parents, on établit une relation régulière basée sur du respect et de la confiance. Cela peut aider les parents à faire des pas de côté, à percevoir ce qui aide leur enfant à réussir ou au contraire ce qui peut l’empêcher de s’épanouir. On en parle de façon détournée, c’est un levier aussi pour l’évolution des parents. »
L’impression au départ était celle d’un enseignant isolé, qui passait un temps fou à envoyer des messages aux parents, à cadrer et guider ses élèves pour atteindre l’objectif du « 100 % au bac ». « À l’origine, c’était une incursion auprès des parents dans ma matière. Ensuite, nous avons fonctionné en binôme avec David, qui enseigne les mathématiques. » On voit dans le documentaire Le monde est à eux ce binôme en action.
Mais au-delà, quelle articulation avec l’équipe pédagogique ? « Ce que le film Le monde est à eux ne montre pas, c’est que la méthode est aujourd’hui surtout utilisée par des profs pour leur seule discipline. Je ne suis plus prof principal à Drancy, et j’ai chaque année entre 200 et 250 élèves avec lesquels j’utilise la méthode pour ma matière. »
Depuis 2021, des enseignants de tous niveaux et de toutes régions ont rejoint le projet. Réconciliations : le collectif, l’autre documentaire, raconte ce volet. « Je me rends compte que nous allons être entre 300 et 400 l’an prochain. Avec l’écho dans les médias, il y a un afflux de collègues avec des profils et des parcours différents. Il y a des échanges avec chacun et dans le collectif ce qui amène un changement de regard sur la méthode. »
Un quart des projets sont animés par des professeurs des écoles, 60 % par des enseignants en collège. On compte aussi cinq enseignants de Segpa. D’autres enseignent en lycée professionnel, en lycées généraux y compris de centre-ville, là où « les parents sont parfois trop présents ou consuméristes. Quel que soit le contexte, il s’agit de mettre les parents à la bonne distance. » Au sein du collectif, des outils se partagent, des échanges se développent pour s’épauler.
En regardant les deux documentaires, on peut s’interroger sur l’investissement en temps nécessaire pour mettre en œuvre la méthode. Pour Jérémie Fontanieu, les difficultés ne sont pas de ce côté-là. « J’ai réalisé que la difficulté de la méthode n’est pas d’être chronophage, on partage des astuces qui rendent l’envoi des SMS très rapide. Elle est plutôt dans un déplacement par rapport à notre vision du métier. Nous considérons que notre priorité n’est pas de nous occuper des enfants mais des parents, car si les parents nous suivent, 90 % de nos difficultés d’enseignants disparaitront. »

Des enseignants membre du collectif constitué autour du projet « Réconciliations ».
La relation aux élèves change également. « Au début de l’année, ils ont l’impression qu’on les flique. On les intimide un peu en disant qu’on va les protéger contre la flemme, contre la peur de passer pour un fayot, contre la société qui les a fait passer pour nuls. Le cœur de la méthode, c’est que les élèves se mettent à bosser. Ils y prennent plaisir progressivement. »
Le documentaire Le monde est à eux souligne cette relation particulière aux élèves et aux parents. Il a donné l’envie à des professeurs d’adopter à leur tour la méthode. Il n’est toutefois pas si simple de la mettre en œuvre. « Cela se construit sur trois ans, c’est l’horizon temporel à avoir pour y arriver en faisant de mieux en mieux chaque année. Moi aussi, j’avance lentement et contre la petite voix qui me dit que ça ne va pas assez vite. »
Il constate un gain de temps, avec des élèves qui se mettent rapidement au travail. Avec les terminales, il a terminé le programme depuis plus d’un mois et peut consacrer du temps aux révisions. Le constat est partagé au sein du collectif, quel que soit le niveau d’enseignement. « Ce qui change tout, c’est lorsque les parents et les élèves font aussi leur part. On en avait tous marre d’avoir l’impression d’être tout seuls à nous battre pour la réussite des élèves. »
Même si l’on peut percevoir des échos venant des sciences de l’éducation, aucun éclairage scientifique n’est apporté sur la méthode. « On nous a proposé d’objectiver, avec des recherches en sciences cognitives, en sciences de l’éducation ou en sociologie. Mais nous n’avons aucune ambition intellectuelle : nous ne prétendons pas avoir trouvé une “bonne méthode“ ou “une méthode dont les effets sont prouvés”. »
Au début du projet, il a échangé avec Philippe Meirieu, François Dubet et Bernard Lahire, et continue à les informer sur son avancée, sans pour autant ouvrir les portes à des regards de chercheurs. « La méthode est née de notre souffrance d’enseignants face aux élèves qui gâchent leur potentiel malgré tout ce que nous mettions en place. Les observations suffisent pour voir l’investissement au travail, l’arrêt de cette souffrance, la rupture avec le fatalisme, la résignation. Je ne sais pas s’il existe une vérité juste, j’ai juste envie subjectivement d’avoir l’impression d’être utile à quelque chose. J’ai le sentiment que notre subjectivité d’enseignants nous protège de la vérité ou d’un rapport en termes de vérité aux choses, qui est normatif. »
Pour lui, la méthode s’enrichit par le collectif d’enseignants engagés, par les questionnements qui s’exposent et trouvent des réponses en s’appuyant sur les expériences singulières des uns et des autres. « Tout part de la classe, de la dimension collective. De là découle la pensée, pas en amont ». Les échanges se font via un groupe Facebook, lors de séances de visio hebdomadaires ou de rencontres en présentiel.
Dans le cadre du Conseil national de la refondation, il a été contacté par le cabinet de l’Élysée dans l’idée de déployer la méthode à l’échelle nationale. « Une telle diffusion serait inefficace, à l’encontre de la transmission horizontale entre pairs, au partage de la difficulté vécue, des solutions trouvées. La construction d’un collectif informel, avec un fonctionnement horizontal est privilégiée, par volonté aussi de ne pas être associés aux politiques éducatives catastrophiques actuelles ».
Une association a été créée, financée par l’argent des ventes de livres ou du film liés à l’expérience, ce qui permet de prendre en charge les déplacements pour les rencontres du collectif. « On fonctionne un peu en vase clos. On pourrait mettre des outils sur Internet, mais on a besoin de temps pour avoir un nombre important d’expérience. Quand ce sera le cas, dans quelques années, nous publierons un ouvrage sur la méthode qui sera disponible aussi sur Internet pour être accessible à tous. »
Alors, quel est le message principal à transmettre ? « Le drame de l’Éducation nationale, c’est que nous, les profs, sommes compétents mais personne n’agit en conséquence : nous savons ce que les élèves et leurs parents doivent faire pour favoriser la réussite scolaire, mais personne ne suit nos recommandations, ce qui gâche les potentiels des enfants, des adolescents, comme des adultes. Cette méthode, ce collectif, consistent à faire en sorte que les parents nous suivent pour que les élèves nous suivent et qu’ainsi, plus personne (nous les premiers !) ne subisse. »
Sur le projet « Réconciliations », à lire également sur notre site :
Quand Kery James rencontre Pierre Bourdieu
Ceux qui ont franchi la colline et l’Everest
Pour que l’Everest se transforme en colline
Pour aller plus loin :
Bande annonce du film Le monde est à eux et le dossier pédagogique du film.
Film Réconciliations : le collectif.
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