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Pour que l’Everest se transforme en colline 

 

À la rentrée 2012, jeune enseignant en sciences économiques et sociales au lycée Delacroix de Drancy (Seine-Saint-Denis), Jérémie Fontanieu lance le défi « 100 % de réussite au bac » à la classe dont il est professeur principal. Son initiative, mêlant une forte exigence, la cohésion de groupe et des contacts réguliers avec les parents, suscite les discussions après sa médiatisation. Sept ans plus tard, elle perdure, enrichie par l’arrivée de David Benoit, professeur de mathématiques et coanimateur de la démarche depuis 2014.


David Benoit, professeur de mathématiques, portait peu d’attention aux polémiques en salle des profs autour des pratiques pédagogiques de Jérémie Fontanieu, professeur de sciences économiques et sociales et initiateur en 2012 du défi « 100 % de réussite au bac ». Il a vu les élèves changer, être plus attentifs dans une ambiance de classe apaisée, constaté le fort taux de réussite au bac qui semblait a priori une utopie. Il va voir son collègue, avec qui les échanges étaient rares, lui demande de lui expliquer son fonctionnement et lui propose de faire équipe avec lui l’année suivante : « J’avais envie de faire partie de cela. »

Ce sont donc deux professeurs principaux qui continuent ensemble le projet, chacun avec sa personnalité, mais avec en commun le pragmatisme, y compris dans la perception du métier d’enseignant. Tous les deux sont devenus professeurs pour avoir un travail et ont découvert un métier passionnant. David s’amuse de ses à priori : « Ma compagne voulait être prof. J’avais besoin de trouver un boulot et puis je trouvais que ça avait l’air cool, avec beaucoup de vacances. Pendant la formation, d’autres stagiaires critiquaient mon attitude dilettante. Le stage en classe m’a retourné. Le contact avec les élèves m’a donné la pêche. J’avais trouvé ma vocation. »

Des professeurs en binôme

Avant tout, David Benoit veut comprendre et instiller à son tour dans sa classe l’idée que la réussite est accessible si l’implication et le travail sont au rendez-vous. Le binôme travaille de concert pour préparer la rentrée puis s’invite mutuellement pour assister à des cours de l’autre, en spectateur. Ils se familiarisent avec la matière de l’autre. Jérémie se prend de passion pour les maths. Dans ses cours, il privilégie des séances dialoguées. David met beaucoup les élèves en activité sur des exercices.

Progressivement, au fil des années, se mettent en place des co-interventions ponctuelles où la complémentarité du binôme, la patience de l’un, l’énergie débordante de l’autre, font le bonheur pédagogique des élèves. Eux se nourrissent, améliorent leurs pratiques de classe avec les retours critiques mutuels. « Au fur et à mesure, la relation a grandi et le projet s’est renforcé » explique Jérémie. « Au début j’étais tout seul, un prof principal spécial, avec une promo et des cours spéciaux. Là nous sommes deux professeurs principaux avec une démarche légitimée par les résultats. » En juin 2014, 95 % des élèves de sa classe obtiennent le bac ES, un taux bien au-dessus des années précédentes. Ce succès l’encourage, lui donne des ailes, et paradoxalement brouille le message auprès de la promotion suivante : « On est partis avec une surdose de confiance et nous n’avons pas vu les signes de relâchement à temps » regrette-t-il. Depuis lors, la constance est de mise dans la méthode comme dans les résultats, avec 100 % des élèves reçus au bac depuis trois ans.

Des parents partenaires

« Notre méthode répond à tout ce qui pousse les élèves à ne pas travailler, par manque d’habitude, manque d’ambiance propice au lycée, difficultés à la maison. Nous avons décidé de passer par un système de contraintes en associant les parents. » Quelques jours avant la rentrée, les parents sont conviés à une réunion pour partager le projet et se mettre sur la même longueur d’ondes. Dans cette ville dont les habitants ressortent des classes sociales populaires voire défavorisées, cette rencontre sonne comme une porte ouverte sur l’école, une reconnaissance du rôle des familles, en prenant en compte leurs difficultés, leur envie aussi de s’impliquer, d’être aux côtés de leurs enfants pour rendre accessible la réussite scolaire dont eux-mêmes ont été en grande partie privés.

Chaque année, fin aout ou début septembre, la réunion de rentrée marque « l’alliance » entre parents et professeurs, en présence de Yamina Ben Omar, CPE (aout 2019).

Les parents sont considérés comme des partenaires : ils seront avertis en cas de difficultés, informés lorsque les progrès sont constatés, par SMS et plus rarement par téléphone. La contrainte peut effrayer certains, mais la plupart adhèrent au système. Des anciens lycéens viennent témoigner, raconter comment ils ont vécu la méthode mixant confiance et exigence. Lors d’une de ces réunions, un père résume le dispositif : « C’est simple, c’est comme en escalade, les profs sont devant, les enfants au milieu et nous derrière. Si l’un d’entre nous tombe, tout le monde tombe. »

En début d’année, la pression est forte pour adopter un rythme de travail soutenu. « Ils sont fatigués dès le début, K.O. à la Toussaint. On leur explique que c’est normal, qu’ils se débarrassent de mauvaises habitudes, mais qu’ils vont y arriver. On fait attention à eux » précise Jérémie. Les parents le savent et peuvent apporter leur soutien, et les témoignages de bacheliers des promotions précédentes sont un encouragement.

Des séances de révision imposées

Des heures de révision après les cours sont imposées : deux heures en terminale, une heure en seconde. En septembre, l’accent est mis sur les maths, une discipline redoutée mais où les progrès se mesurent rapidement. « Pour les élèves c’est une matière noire, un Everest qui leur semble impossible à atteindre » constate David. Les séances de révision sont animées en binôme pour apporter tout le soutien nécessaire. Et arrive le déclic, le moment où les notes commencent à monter, signe que la réussite est accessible.

L’Everest s’avère alors être une colline. « Une fois cette phase de tension inéluctable passée, ce qui est magnifique, c’est de voir les élèves mettre de côté les obstacles créés par l’ennui, la faible estime de soi, la paresse ou les moqueries. » La cohésion du groupe est un autre ingrédient ; l’entraide, la solidarité suscitent une fierté collective lorsque chacun progresse et voit la réussite possible. La vigilance est constante pour que les bons résultats s’inscrivent non comme un coup d’essai, mais comme une pierre fichée sur une longue route. Elle porte principalement sur le comportement, l’effort porté au travail.

Des écarts sanctionnés

Lors des derniers discours, les anciens bacheliers (ici au second plan) rejoignent élèves, familles et professeurs (juillet 2020).

Chaque écart est sanctionné. « Les parents sont informés, on décide ensemble. Nous avons besoin d’eux comme ils ont besoin de nous pour la réussite de leurs enfants. » Jérémie souligne ainsi la nécessaire ligne commune pour favoriser une véritable coéducation. Le projet s’appelle Réconciliations : « Au pluriel, car les réconciliations sont nombreuses : les profs avec les parents, les parents avec l’école, les profs entre eux ー la communication entre nous est si rare ! ー, les élèves avec les adultes, avec l’école et le travail, avec eux-mêmes surtout. » L’expérience réclame aux enseignants une implication dépassant parfois les limites horaires, une retenue aussi sur leur rôle : « Nous ne sommes pas des sauveurs. On révèle une puissance que les élèves ont déjà. »

Ils ne cherchent pas à convaincre sur leur méthode : le mélange sévérité-solidarité-confiance-coéducation détonne en associant des approches de prime abord peu compatibles. Ils regardent juste les sourires épanouis le jour de la fête de fin d’année organisée pour célébrer le bac en compagnie des parents et des lycéens. Ils s’épatent des parcours réussis, ceux qui passent ensuite en classe préparatoire, comme ceux qui empruntent une voie choisie et non socialement subie. Ils aimeraient simplement échanger, dresser des passerelles entre des initiatives parentes, pour briser collectivement la fatalité d’une réussite réservée à ceux qui sont nés au bon endroit. Et pour partager cette belle aventure pédagogique, ils ont fixé sur pellicule une année entière. Là encore, les élèves et les familles ont été associés pour incarner pleinement le nom du projet et titre du film Réconciliations.

Monique Royer


La bande-annonce du film Réconciliations :


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