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Inclure pour tous ?

Il ne suffit pas de décréter l’inclusion en milieu ordinaire pour que cela fonctionne. Mais envisager les modalités d’adaptation des supports et de l’environnement est un réel levier de réussite, favorable à tous les élèves.

Envisager l’inclusion de certains élèves, c’est maintenir des écoles spécialisées en parallèle de l’inclusion en milieu « ordinaire ». Les partisans de cette modalité d’inclusion déplorent une éducation uniforme, la même pour tous,  estimant que les parents s’intéressent davantage à l’acquisition des compétences essentielles qu’à l’endroit où ces apprentissages sont dispensés1.  Selon ce modèle, les élèves en situation de handicap doivent bénéficier de professionnels formés et compétents dans le domaine de l’éducation spécialisée pour qu’ils puissent être « instruits ».

L’inclusion de tous propose une autre vision. Selon Paulo Freire, « personne n’éduque autrui, personne ne s’éduque seul, les hommes s’éduquent ensemble par l’intermédiaire du monde2 ». En effet, si on sépare les élèves à besoins spécifiques des autres, on peut se demander quand ils seront confrontés à leurs concitoyens et comment espérer une insertion professionnelle et personnelle réussie.

La CIDE (Convention internationale des droits de l’enfant) considère que l’éducation doit « préparer l’enfant à assumer les responsabilités de la vie dans une société libre, dans un esprit de compréhension, de paix, de tolérance » (article 29). Une étude menée par Handiréseau a montré par exemple que le taux d’absentéisme en entreprise baisse quand on intègre un salarié en situation de handicap. La présence d’un élève en situation de handicap qui montre sa détermination à réussir peut encourager d’autres élèves à s’impliquer davantage. Sa présence oblige ses pairs à réfléchir aux questions sociétales et à interroger leur propre identité.

Et si on allait plus loin ?

Et si notre regard sur le handicap et sur la diversité qu’il apporte à notre société évoluait, une troisième définition serait alors envisageable : celle de l’inclusion pour tous. Un système où l’on considère la diversité comme un atout dans l’éducation mutuelle pour surmonter l’intolérance et la discrimination.

Au Pays de Galles, le code ALN3 souligne qu’il faut innover dans l’évolution des référentiels de formation pour accentuer l’inclusion et avoir des attentes élevées des apprenants à besoins spécifiques pour relever le niveau de réussite. Ainsi, l’inclusion permet une mise en question collective. Elle peut impulser une transformation de la pédagogie et être bénéfique pour tous les élèves. S’interroger sur les pratiques, rechercher des outils numériques, explorer d’autres modèles pédagogiques, seront profitables pour tous.

créer un environnement favorable

Réfléchissons dans un premier temps à l’environnement d’apprentissage. Il y a un fort lien entre l’état émotionnel de l’élève et sa capacité à apprendre. En situation de stress, le cortex préfrontal qui gère la concentration cesse de fonctionner, l’élève est dans la posture de combat-fuite. Certains élèves porteurs de troubles dys expliquent qu’en situation de stress, ils ne voient plus les mots sur la page, uniquement des taches noires.

En revanche, des émotions positives stimulent l’apprentissage. L’encouragement des élèves par les appréciations édifiantes et personnalisées leur permet de progresser plus vite. Le respect mutuel et la bienveillance, y compris entre pairs, aident aussi l’élève à réussir. Pour se sentir bien, l’environnement matériel joue aussi un rôle significatif. L’utilisation des facteurs d’ambiance, comme des couleurs, des plantes et de la lumière naturelle, peut contribuer au bienêtre des élèves.

Un autre facteur à prendre en compte est la transparence. L’objectif est que le handicap ne soit plus un sujet, c’est-à-dire qu’on l’aborde tellement naturellement et en tout contexte qu’il n’est plus tabou au sein de la classe. Par des mises en situation (se mettre dans la peau d’un élève dyslexique), des interventions et des débats ou ateliers philosophique, on sensibilise les jeunes. Les jeux paralympiques sont également l’occasion parfaite d’étudier des modèles inspirants comme Timothée Adolphe4.

Changer le cadre pour tous

Bien que, dans le monde sportif, le handicap vise à redresser un déséquilibre, le mot garde une connotation négative. Ainsi, malgré ses origines anglaises, le mot n’est que rarement employé au Royaume-Uni. Comment faire évoluer cette représentation ?

Pour que l’élève soit en confiance, l’adulte valorise ses compétences et le chemin qu’il a déjà parcouru. Il doit en être de même pour l’élève en position de handicap. Comme tous les enfants, à besoins particuliers ou non, l’enseignant peut mettre en avant les notions de persévérance, d’empathie, d’ingéniosité ou tout simplement de réussite scolaire très ordinaire.

Pour inciter les jeunes à s’entraider, la création des espaces collaboratifs est particulièrement intéressante. On peut expérimenter une classe flexible, avec son choix de mobilier et la possibilité de circuler dans la classe selon l’activité proposée, ou une classe mutuelle, avec l’enseignement par des pairs, en petits groupes, où l’enseignant devient animateur, l’AESH facilitateur et les élèves acteurs de l’apprentissage. Toutes ces adaptations profiteront à tous et faciliteront l’inclusion d’un élève en situation de handicap sur le plan éducatif, mais également social.

Qu’en est-il des compensations ? L’inclusion ne fonctionnera durablement que si les démarches ne sont pas si lourdes que l’enseignant s’écroule sous la préparation d’un cours particulier pour chacun.

Au lieu de fournir des fiches de travail en police 14 sur un papier de couleur pastel exclusivement aux jeunes avec un trouble Dys, le faire pour tous fait gagner du temps ! L’enseignant peut diversifier les activités pédagogiques et en conséquence répondre aux besoins de tous. Si l’on change le mobilier et que l’on met à disposition des élèves avec un TDAH des tables hautes, on ne va pas en interdire l’accès aux autres élèves !

À tout moment et en tout contexte, l’enseignant œuvre à mettre tous les jeunes en situation de réussite, s’il voit un obstacle qui accentuera une difficulté, il faut chercher à l’enlever pour tous.

L’enseignant est l’outil

Souvent, l’enseignant est demandeur d’outils pour l’aider dans la démarche. Si on y réfléchit, l’enseignant est l’outil. C’est en connaissant ses élèves et leurs besoins spécifiques qu’il pourra adapter ses techniques et instaurer un cadre inclusif. Il devient ainsi un modèle de tolérance et de respect d’autrui.

L’inclusion n’est pas une liste de tâches administratives, ni d’outils numériques ou autres pour compenser le besoin supplémentaire d’un jeune. C’est un état d’esprit, la volonté d’adapter l’environnement pour mieux répondre aux besoins des jeunes de tous horizons, tous arrière-plans et tous besoins.

Dans le rapport mondial de suivi de l’éducation de l’Unesco (2020), nous sommes plus que jamais incités à franchir le cap. « Pour être à la hauteur des défis de notre époque, une évolution vers une éducation plus inclusive n’est pas négociable : il n’est pas envisageable de ne rien faire. » (Audrey Azoulay, directrice générale de l’Unesco).

Joanna Bryant
Directrice de la MFR (maison familiale et rurale) de Rumengol (Finistère)

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Notes
  1. Cf. James M. Kauffman, On Edicational Inclusion, Routledge 2020.
  2. P. Freire, Pédagogie des opprimés, Maspero, 1974.
  3. Additional Learning Needs. Acronyme qui désigne depuis 2021 le cadre juridique pour répondre aux élèves à besoins spécifiques dans les établissements scolaires gallois.
  4. Athlète déficient visuel français polyvalent sur les épreuves de sprint d’athlétisme.