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Le changement climatique, une réalité à voir et à montrer

Comment utiliser les mathématiques pour faire mieux prendre conscience aux élèves du dérèglement climatique ? Une proposition en lycée, qui permet aussi de travailler avec des tableurs et de déjouer les pièges des graphiques que l’on en tire.

Le changement climatique est une réalité de plus en plus préoccupante et omniprésente ; mais elle n’est pas pour autant facile à appréhender. Comment faire parler un changement de quelques degrés, quand les variations quotidiennes dépassent largement cette amplitude ? Comment aider les futurs citoyens, y compris ceux qui ont une appétence faible pour les sciences, à mieux percevoir ces enjeux, à les rendre plus tangibles et palpables, tout en leur fournissant des outils et une démarche scientifiques ? Dit autrement, comment les élèves peuvent-ils appréhender l’évolution climatique et le changement des normes ?

L’activité que je présente s’inscrit dans le cadre d’un projet interdisciplinaire de 2de autour du rapport à la norme1, et fait suite à une autre séance méthodologique de sensibilisation aux différents pièges des graphiques. Un groupe de cinq élèves a travaillé sur le thème du climat pendant que d’autres travaillaient sur d’autres sujets.

Cette activité peut toutefois être utilisée en mathématiques (notions statistiques), en sciences numériques et technologie (utilisation de données ouvertes et traitement par un tableur), en enseignement scientifique (climat), et ce, à partir de la 2de.

Les mathématiques, ce n’est pas du théâtre

Les mathématiques sont souvent le théâtre de données inventées pour permettre d’obtenir des résultats simples à observer. Utiliser des données réelles et proches des élèves permet pourtant d’ajouter un enjeu aux observations faites. C’est ainsi que, souvent, en probabilités et en statistiques, quelques exercices se basent sur des sondages effectués en classe ; ou sur des données démographiques de villes avoisinantes.

Pour conserver cette proximité, et avoir une activité qui parle aux élèves lorsqu’on aborde le changement climatique en classe, j’ai décidé d’utiliser des données météorologiques. Météo France propose publiquement plusieurs jeux de données, et, plus particulièrement, les relevés de température par mois depuis 1953. Ces données sont téléchargeables sur le site meteo.data.gouv.fr.2

Les données sont malheureusement formatées de manière peu exploitable directement par l’élève : plutôt que sous forme d’un tableau par mois et année, il s’agit d’une liste des relevés de température. J’ai donc dû faire un petit travail de remise en forme des données (automatisable) afin d’avoir un document exploitable.

Des graphiques pour mieux voir

L’objectif était ensuite de faire en sorte que les élèves créent des graphiques et fassent le travail de mise en évidence du réchauffement. En leur faisant s’approprier la construction de cette argumentation, en partant de données d’une ville à côté de chez eux, il est probable que le réchauffement climatique soit plus évident pour eux, et qu’ils se rendent compte qu’un écart de deux degrés constitue une vraie sortie de la norme.

Pour qu’ils construisent progressivement cette argumentation, j’ai guidé les élèves dans leurs observations. Leur premier réflexe est de sélectionner toutes les données, et de produire un graphique sans autre forme de traitement. Ainsi, j’ai voulu laisser les élèves produire ce graphique « brut », puis leur demander de commenter la lisibilité de celui-ci.

Sur ce graphique représentant les moyennes de températures par mois de 1953 à 2022, toutes les années sont représentées dans une couleur différente et les courbes se superposent, rendant l’ensemble illisible.

Graphique réalisé par un élève. Sur ce graphique représentant les moyennes de températures par mois de 1953 à 2022, toutes les années sont représentées dans une couleur différente et les courbes se superposent, rendant l’ensemble illisible.

En réalisant un graphique illisible, les élèves pouvaient se rendre compte de la nécessité de réfléchir aux meilleures façons de présenter les données. La première étape était de calculer la moyenne par année, pour visualiser une évolution. Ceci a permis d’utiliser les formules de tableur (qui avaient été revues en début de séance). Les élèves devaient ensuite choisir les meilleures échelles pour mettre en évidence cette évolution.

Graphique montrant que la moyenne des températures maximales relevées au Bourget en fonction du mois et de l’année, de 1953 à 2022. La courbe, bien qu’en dents de scie fait apparaitre une hausse progressive des températures.

Graphique réalisé par un élève. Graphique montrant que la moyenne des températures maximales relevées au Bourget en fonction du mois et de l’année, de 1953 à 2022. La courbe, bien qu’en dents de scie fait apparaitre une hausse progressive des températures.

Si une nette augmentation peut paraitre évidente à partir de ce graphique, les variations d’année en année empêchent qu’elles sautent aux yeux des élèves. C’est pour cela que, dans la conception de l’activité, des questions guidaient les élèves vers l’étude de deux périodes différentes (avant et après 19883). Avec la fonction NB.SI4, les élèves ont pu déterminer le nombre d’années où la moyenne des températures maximales observées était supérieure à 16°. L’idée était de faire produire aux élèves un graphique comme le graphique ci-dessous, mais, si les élèves ont pu remarquer la différence énorme entre les deux périodes, ils n’ont pas eu le temps de finir ce travail5.

Graphique montrant que le pourcentage d’années pour lesquelles la température moyenne est supérieure à 16°. Entre 1953 et 1988, le taux est inférieur à 10 %, entre 1989 et 2022, il est à 70 %.

Graphique auquel on aurait pu s’attendre en fin d’activité, montrant que le pourcentage d’années pour lesquelles la température moyenne est supérieure à 16°. Entre 1953 et 1988, le taux est inférieur à 10 %, entre 1989 et 2022, il est à 70 %.

Enfin, d’autres visualisations auraient pu être utilisées, comme la mise en évidence du réchauffement à l’aide de couleurs (ci-dessous, l’année 2022 en rouge), mais, encore une fois, le temps a été trop court.

Sur ce graphique représentant les moyennes de températures par mois de 19xy à 20xy, toutes les années sont en gris, sauf l’année 2022 et l’on voit que la courbe de cette année-là se situe au-dessus de presque toutes les autres années.

Sur ce graphique représentant les moyennes de températures par mois de 19xy à 20xy, toutes les années sont en gris, sauf l’année 2022 et l’on voit que la courbe de cette année-là se situe au-dessus de presque toutes les autres années.
Une implication ne vaut pas un engagement

Lors de cette activité, j’ai remarqué que les élèves étaient tous au travail. La production d’une tâche finale, la possibilité de personnaliser certains aspects du graphique, l’aspect magique de la réalisation instantanée de calculs par le tableur, sont autant de raisons qui font que les élèves ont bien joué le jeu.

La découverte du fonctionnement d’un tableur et des formules associées est habituellement une activité assez poussive. Ici, j’ai remarqué qu’elle est devenue plus accessible, sans doute car les élèves voyaient ce calcul comme un outil pour faire autre chose. L’objectif méthodologique a donc été atteint.

Cependant, j’ai eu le sentiment que l’ampleur de ce réchauffement climatique, pourtant bien visible sur leurs graphiques, n’a pas provoqué la réaction que j’attendais. Les élèves n’ont pas vraiment été surpris, ou davantage intéressés par ce constat. Il s’agissait pour eux plus de répondre aux questions et de progresser dans l’activité que de réfléchir à la signification des données. Guider les élèves comme je l’ai fait a renforcé le côté scolaire de l’activité : dans une certaine forme de contrat didactique, il y avait, dans la tête des élèves (et d’une certaine mesure, dans la mienne aussi), une bonne réponse à apporter.

Si l’objectif est de sensibiliser les élèves aux questions climatiques, il faut sans doute essayer de se distancer de cette forme hyperscolaire de questions-réponses vérifiées au fur et à mesure par l’enseignant. Peut-être faut-il simplement laisser une plus grande latitude aux élèves dans leur exploration des données. Ou alors, peut-être faut-il sortir du cadre de la classe et donner un enjeu supplémentaire au travail des élèves (exposition, article pour le journal ou le site du lycée, etc.).

Par ailleurs, le dérèglement climatique ne concerne pas uniquement les températures. On pourrait imaginer d’autres jeux de données (les précipitations, la fréquence de catastrophes climatiques, etc.) sur lesquels les élèves pourraient travailler en groupe, en vue de ce type de production.

Pierre Schramm
Enseignant de mathématiques au lycée Jacques-Feyder d’Épinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis)

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Notes
  1. Il s’agit de la classe IDIS (InterDISciplinaire) du lycée Jacques-Feyder, avec des créneaux annualisés de deux heures et demie par semaine sur lesquels les enseignants des différentes discipline interviennent, parfois en coanimation.
  2. Il suffit de connaitre le code correspondant à la station météo pour sélectionner le bon fichier, voir ce lien : https://donneespubliques.meteofrance.fr/?fond=contenu&id_contenu=37.
  3. Année choisie parce qu’elle permet de bien mettre en évidence la différence, avec la plupart des années précédentes qui ont connu une moyenne annuelle des températures maximales inférieure à 16° et les années suivantes une moyenne supérieure à 16°.
  4. Fonction qui permet de compter le nombre de cellules dans une plage vérifiant un certain critère (ici, supérieur à 16°).
  5. Le travail d’analyse des différents types de graphiques (et pièges associés) a été fait lors d’une séance d’une heure et quart, puis la prise en main du tableur et la création des graphiques sur une séance de deux heures et demi.