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L’éducation au changement climatique en action

En ce mois de juin, les effets du dérèglement climatique sont prégnants. Comprendre le phénomène, l’enseigner pour tenter de le freiner, devient une nécessité. Simon Klein, médiateur scientifique à l’OCE (Office for Climate Education), dessine des pistes pour dépasser l’écoanxiété en investissant la pédagogie.

Il a fait de « très longues études », principalement en biologie et à l’École normale supérieure de Lyon avec trois masters 2, une agrégation en sciences de la vie et de la Terre (SVT) et un doctorat. Pendant son master de recherche en écologie, il effectue un stage sur l’étude des déplacements d’une population d’éléphants puis un autre, à Berlin cette fois, où il étudie l’impact des pesticides sur la mémoire des abeilles solitaires.

Les butineuses seront aussi l’objet de sa recherche pendant un doctorat qu’il mène avec une cotutelle de l’université de Toulouse et d’une université à Sydney. Le thème porte sur la variabilité des comportements au sein de colonies d’abeilles et de bourdons. « Ce champ de recherche concerne la question individuelle, les traits de personnalité, les comportements différents d’un individu à l’autre. Cette variabilité est-elle un avantage adaptatif, un atout face aux impacts de l’activité humaine ou de certains traitements dans la ruche ? Les insectes reviennent toujours dans leur nid, il y a donc un enjeu de plasticité au sein de la colonie. » Il effectue alternativement ses recherches en France et en Australie et, une fois son doctorat obtenu, il prolonge de six mois dans le second pays. Lorsqu’il rentre, il décide de s’accorder un an pour suivre des cours de théâtre.

Un métier sur-mesure

À compter de février 2020, il devient médiateur scientifique à l’Office for Climate Education. Ce métier « correspond aux trois facettes de mon parcours : l’agrégation avec mon appétence pour l’éducation formelle, la recherche reliée aux changements globaux et la question de la médiation, de la créativité. Il allie les trois autour de la transmission de savoirs qui est le cœur de ce qu’est un médiateur, un vulgarisateur scientifique. » Son profil d’écologue complète la cellule de productions pédagogiques composée d’une enseignante de SVT en détachement et d’une glaciologue.

Il étoffe ses connaissances en sciences du climat avant de contribuer à la rédaction du guide pédagogique sur les terres émergées. « Le but des ressources est de rendre accessible, de vulgariser les rapports spéciaux du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) pour les enseignants, de les aider à aborder les questions de changement climatique de façon simple et de donner des exemples d’activités à mener avec les élèves. »

Il existe déjà deux guides pédagogiques, libres de droit, à destination des professeurs de collège et en école primaire mais aussi de formateurs et de structures comme les Maisons pour la science. Ils sont élaborés avec l’aide de pédagogues et d’experts issus du comité scientifique et pédagogique de l’OCE. Ils sont ensuite testés en classe avant d’être diffusés en ligne et, sur demande, en format papier. Placé sous l’égide de l’Unesco, l’OCE est une fondation abritée par La main à la pâte (LAMAP). Les guides pédagogiques empruntent d’ailleurs la démarche d’investigation scientifique prônée par LAMAP.

Accompagner les enseignants ?

Avec ses collègues de l’OCE, Simon Klein anime des formations auprès d’enseignants et de formateurs, principalement dans les pays du Sud, en Afrique, Asie du Sud-Est, Amérique latine. Les formations se déroulent en ligne et en présentiel. L’objectif est de favoriser une appropriation de la thématique du changement climatique et une familiarisation avec la démarche d’investigation par les professeurs. L’OCE vise les décideurs publics, notamment ceux qui ont la charge de l’éducation, afin d’accompagner les politiques publiques. « Il y a un enjeu politique fort à s’emparer de l’éducation au changement climatique. Comment engager des réformes curriculaires pour inclure davantage la thématique des changements liés au climat ? Comment accompagner les enseignants et mettre des moyens pour l’éducation au changement climatique ? »

Enseignants en formation à Xalapa, État de Veracruz (Mexique).

En France, les formations, plus rares, se font plutôt de façon conjointe avec les Maisons pour la science, le réseau Canopé ou encore le Muséum national d’Histoire naturelle.

Petit à petit, l’approche évolue en incluant de plus en plus de démarches par projet. « Cette démarche est importante pour mettre en place des actions qui ont du sens. Avec la Maison pour la science, on a accompagné trois établissements de la région strasbourgeoise pour organiser un climathon. Les élèves ont travaillé sur un sujet lié au changement climatique dans le contexte local, puis proposé un projet à mettre en place. »1 Note vers l’article du HSN 57 : un climathon pour passer à l’action de Mathilde Tricoire ? Dans ce cas, comme pour les activités proposées dans les guides pédagogiques, l’idée est que la communauté éducative prenne conscience qu’elle a la capacité à changer les choses. « La piste que l’on explore est que le passage à l’action est bénéfique pour travailler la thématique. »

Il voit là toute l’utilité du travail de vulgarisation qu’il mène avec ses collègues. L’approche est horizontale, en lien constant avec le terrain, sans aspect prescriptif et en laissant une marge d’adaptation aux enseignants. Ces derniers se sentent parfois peu à l’aise, voire peu légitimes, pour intégrer la thématique dans leurs cours. La mise à disposition de ressources aide à franchir le pas. « Les professeurs vont piocher dans les guides pour construire leurs cours avec des matériaux différents, et différents types d’approches pédagogiques (étude de documents, jeux de rôles, expériences, ludification). »

Malgré l’écoanxiété, « il faut y aller »

La question de l’écoanxiété représente une autre crainte pour les enseignants. « Est-ce qu’il faut ouvrir la boite de Pandore ou ne rien faire ? Moi je pense qu’il faut y aller doucement, mais il faut y aller. » Une étudiante en économétrie est venue faire un stage pour évaluer l’impact de l’activité ou de l’inactivité sur l’écoanxiété, en analysant les ressources produites par l’OCE. L’étude n’est pas suffisante pour en tirer des conclusions définitives mais elle montre que l’écoanxiété est présente chez les élèves sans être réellement un frein. « Des recherches au niveau mondial montrent que la peur du changement climatique peut avoir impact sur le sommeil, la concentration. Chez nos élèves, on constate plutôt une forte rumination. » Certains d’entre eux, surtout au lycée, ont une connaissance développée du sujet, parfois plus que leurs professeurs.

« Ce n’est pas aux enseignants de prendre en charge les angoisses liées au changement climatique. Ils se situent plus sur la connaissance, la pédagogie. » Il constate toutefois qu’il existe une forte porosité car le changement englobe de multiples pans de notre société. « Il faut replacer la question dans le contexte de l’apprentissage pour décharger les enseignants d’une responsabilité qu’ils n’ont pas. » Il explique que, d’après la littérature, il existe trois grandes catégories de réactions, qui sont à l’œuvre plus ou moins inconsciemment par les personnes écoanxieuses pour faire face à cette anxiété.

La première est de minimiser le problème, en en faisant un déni par exemple. La deuxième est de contribuer à l’action en promouvant des comportements proenvironnementaux ou en menant des projets dans les établissements. Le risque est alors de générer des déceptions devant le faible impact de ces actions. « La troisième façon est de redonner confiance aux scientifiques et aux enseignants en travaillant sur des récits futurs qui donnent de l’espoir. C’est encore très peu développé, mais on va y travailler. »

Donner de l’espoir

La solution s’appuie sur la prospective, invite à une approche mêlant sciences et arts. La pratique de la classe dehors favorise aussi une meilleure compréhension en se rapprochant de la nature, en allant l’observer concrètement. Il a écrit un livre, La vie sexuelle des fleurs, dans « cette approche-là : pousser les lecteurs à aller voir ce qui se passe au niveau des fleurs ». À travers cinquante exemples, il explique les stratégies mises en place par les fleurs pour permettre leur reproduction.

Les échanges internationaux permettent aussi d’échanger des solutions. « Il y a une forte émulation sur la question du changement climatique. Les contextes sont différents mais les préoccupations sont communes. » L’enjeu des savoirs ancestraux et autochtones est une préoccupation au Canada ou dans certains pays d’Afrique. Il touche également à la prise en compte des connaissances informelles sur la nature.

Simon Klein et ses collègues contribuent aussi à des travaux de recherche européens sur l’attribution des évènements extrêmes au changement climatique, toujours sur le volet vulgarisation. Il travaille en lien avec la Croix-Rouge sur les impacts directs sur la santé publique des phénomènes climatiques, le stress post-traumatique notamment. L’éducation au changement climatique en est à ses prémices entre sciences, politique et humanitaire. L’urgence est aussi là. Enseigner et apprendre pour mieux s’adapter et anticiper.

Monique Royer

Le site de l’OCE


À lire également sur notre site :
« Être écodélégué n’est pas simple quand on veut agir », par Jean-Charles Léon et Jean-Michel Zakhartchouk

Changement climatique : éduquer pour agir et ne pas désespérer, portrait de Mathilde Tricoire

Enseigner le climat, un défi pour le futur, conférence de Mathilde Tricoire

Pour une culture générale du climat, par Valérie Masson-Delmotte

Le défi du climat doit être aussi un défi pour l’école !, par Marie Duru-Bellat


Sur notre librairie :

 

N° 560 : Urgence écologique : un défi pour l’école

Ce dossier nous invite à aller plus loin que l’éducation à l’environnement ou au développement durable. Comment permettre à nos élèves de prendre conscience des enjeux de cette indispensable transition écologique : apport de connaissances, actions locales, formation à l’écocitoyenneté…

 

 

 

N°570 : Apprendre dehors

Après les confinements successifs, l’intérêt pour les pratiques d’éducation en plein air est grandissant. Inscrites dans l’histoire de la pédagogie, elles sont non seulement mises en œuvre à l’école, de façon régulière ou lors de sorties de terrain plus ponctuelles, mais aussi dans le périscolaire. Il s’agit dans ce dossier d’interroger ce qui s’apprend de spécifique dehors.


Notes
  1. Voir Mathilde Tricoire et Simon Klein, « Un climathon pour passer à l’action ! », Hors-série numérique n°58 des Cahiers pédagogiques, « Enseigner la science aujourd’hui », décembre 2021.