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« Être écodélégué n’est pas simple quand on veut agir »

Nous avons rencontré quelques adolescents et jeunes adultes de Youth For Climate France impliqués dans la lutte contre les changements climatiques. Une discussion, sensible, souvent émouvante, et qui reflète bien l’étonnant silence « entendu » pendant la récente campagne présidentielle sur la question climatique.
Qu’est-ce qui a déclenché votre engagement pour la cause climatique ?

Juliette A : Je suis un peu atypique dans le mouvement, car j’ai 26 ans et donc je suis plus âgée que beaucoup. Je suis étudiante en thèse, sur l’écologie. Mon engagement est plus large que le problème climatique et inclut les questions sociales et de biodiversité. Mon parcours universitaire m’a permis de constater l’importance de ces questions, en décalage avec l’absence de réactions massives, sociétales et politiques. Je me suis alors engagée dans des actions de désobéissance ou dans l’organisation de Youth for climate.

Zep1 : J’ai toujours été sensibilisé par ce sujet. Je viens d’Allemagne et c’est à l’occasion d’un Erasmus que j’ai intégré le collectif. Quand je suis venu en France, j’ai eu le temps de m’engager davantage.

Rémi : J’ai 16 ans et je suis toulousain. Je lis les médias depuis longtemps. J’ai été entraîné par la COP 21, je suis rentré dans un collège associatif, fonctionnant de manière démocratique. Je suis maintenant dans un lycée très impliqué dans la cause climatique. Quand est arrivé le mouvement Friday for Future, je me suis renseigné et je suis engagé depuis un an.

Rozenn : J’ai 17 ans. Pendant les premières manifestations pour le climat, j’ai compris que c’était ma place d’y aller.

Jan : J’ai toujours été engagé dans l’écologie. Je viens de monter une association « Dynamisme, partage, écologie ». On agit sur le terrain : manifestations, émissions de radio, débats. Je suis aussi écodélégué dans mon établissement. On essaie par exemple de sensibiliser au type d’alimentation, ce qui est parfois compliqué quand on explique qu’il faut moins consommer de viande et qu’on est en Aveyron, réputée pour son bétail !

Enzo : J’habite au pied du Mont Blanc, qui subit la fonte des glaces, en particulier visible si on visite la Mer de Glace. Je me suis d’abord investi dans le conseil municipal des enfants pour des actions écologiques. Sur le plan scolaire, je suis représentant à l’éducation au développement durable pour développer des projets au sein de l’établissement.

Juliette B : Des lectures ont nourri ma réflexion, comme Le guide du jeune engagé pour la planète de Johan Reboul2. Il est extra ! Il permet de mettre en avant des pistes d’actions pour nous informer, changer nos habitudes et nous mobiliser. C’est un vrai recueil de motivation, de coopération, de mobilisation.

Hayati : J’ai 16 ans, mon engagement est récent. J’ai pu participer à la Marche pour le climat en mars dernier. Depuis j’essaie d’agir mais aussi de m’autoformer en lisant, en regardant des documentaires. Au lycée, on se retrouve entre personnes partageant les mêmes convictions pour trouver ensemble des moyens d’agir.

Gaston : J’ai 18 ans. Cela fait longtemps que je m’interroge, en particulier sur ma manière de consommer. Je suis entré dans le militantisme depuis deux ans, je découvre des ressources qu’on partage. Je suis élu au conseil de la vie lycéenne et je propose avec d’autres nombre de projets, mais rien n’a été accepté.

Par exemple ?

Gaston : Des poubelles de tri dans la cantine, créer un potager dans le lycée, des choses assez simples mais qui demandent un minimum d’investissement, qui est refusé…

Enzo : Bien souvent, nous n’avons pas de budget suffisant pour les projets que l’on voudrait réaliser ; les procédures sont très lourdes, très longues, il y a des contraintes qui rendent leur réalisation difficile.
On comprend à travers ce que vous dites les uns et les autres que votre collectif est aussi un lieu de formation.

Juliette A : On s’organise à distance sur notre réseau discord, où l’on a des « salons » sur plusieurs thématiques, on organise des fresques du climat, on partage des lectures.

Zep : Notre espace collectif est aussi un lieu d’entraide, où on peut exprimer nos ressentis, prendre en charge nos difficultés…

Olivier : On a aussi une bibliothèque collaborative avec des articles de recherche, de médias.

Rémi : Dans bien des établissements, être écodélégué n’est pas simple quand on veut agir. On doit parfois rappeler à l’administration que le dispositif existe et qu’il faut appliquer les directives du ministère. En même temps, celles-ci demandent à ce qu’il y ait deux écodélégués par classe, ce qui est trop si on veut être efficace. Dans mon lycée, on en a limité le nombre.

Sentez-vous une prise de conscience des questions écologiques dans les cours, au-delà des écodélégués ?

Yann : On a passé des vidéos dans les classes. Les enseignants ne sont pas tous d’accord car « il faut faire le programme, on n’a pas le temps ». Aussi, je pense qu’il faudrait faire appel à des intervenants extérieurs, on ne peut pas compter seulement sur les professeurs, surtout qu’ils n’ont pas toujours les connaissances adaptées.

Rozenn : Il faudrait aussi un créneau dédié à cela. Quand on évoque les sujets en classe, ça ne va pas assez loin.

Yann : On n’est pas toujours pris au sérieux ; il y a des profs qui nous envoient balader lorsqu’on veut parler d’écologie. Parfois, on est plus formé et informé que certains profs.

Rémi : Mais il faut de la théorie. Je me rends compte que dans mon cursus Maths-SES-Géopolitique, il n’y a rien dans mon tronc commun qui parle de climat et d’écologie. En SES, le climat n’est considéré que comme une « externalité négative » du marché. Il faudrait qu’on en parle dans tous les cours.

Hayati : Je me suis posé la question : est-ce qu’on ne se heurte pas à un certain moment à des questions politiques de fond. Est-ce que la lutte contre le dérèglement climatique est compatible avec le capitalisme, etc ? À l’école, on en reste souvent aux écogestes et on restreint la question.

Il faut bien dire que tous les jeunes ne sont pas touchés par l’écologie. Notre mouvement reste en particulier le fait de personnes de milieu social plutôt favorisé et non racisées. Comment rendre cette écologie plus populaire ?

Enzo : Avec les écodélégués, on a voulu faire des interventions dans des classes, mais il y a eu blocage par l’administration. Il y a pourtant énormément de personnes à sensibiliser !

Nuage : Je verrais bien une matière entièrement consacrée aux enjeux de la démocratie. On est trop souvent obligés de s’informer par soi-même. On devrait par exemple tous étudier le rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat).

Est-ce que ce doit être vraiment l’affaire d’une matière spécifique ? La solution n’est-elle pas plutôt dans l’interdisciplinarité ?

Nuage : Ce que je proposais, c’est dans le cadre de l’école actuelle. Mais si on veut transformer l’école, on pourrait alors en parler à travers des projets dans les différentes matières.

Gaston : Je serais pour qu’il y ait au moins une heure hebdomadaire de sensibilisation et de discussion. Cela faciliterait le travail des écodélégués qui ont tant de mal à se faire entendre.

Juliette A : Dans la tribune qu’on a publiée dans Le Journal du dimanche, on met en avant le rôle actif des élèves, les choix à faire dans les programmes, mais aussi les aspects émotionnels qui forcément émergent quand on évoque l’écologie. Ce serait un enrichissement de la formation.
On en revient à la question comment toucher d’autres personnes que des convaincus…

Juliette A : Je fais des interventions dans des classes de primaire en région parisienne et on lance des activités sur la nature. Et c’est très intéressant.

Rémi : Je suis assez souvent déprimé, « écodéprimé ». Il m’arrive de « craquer » et d’autres me demandent pourquoi ça ne va pas. Certains peuvent alors partager mon angoisse. C’est important de discuter des menaces qui nous entourent.

Juliette B : Je ne pense pas que l’expression « la jeunesse se mobilise pour le climat » soit fausse. Certes, il y a des jeunes qui ne se sentent pas du tout préoccupés, voire sont insensibles à cette question d’ordre climatique. Mais cela doit encore plus motiver à les pousser, à les sensibiliser, à leur montrer notre combat, nos actions envers une cause qui nous concerne tous

Greta Thunberg, qui était dans un rôle « inversé » d’enfant devant éveiller des adultes, a été, avant la crise du covid, une figure d’identification puissante pour toute une jeunesse. Est-ce qu’elle joue toujours ce rôle ?

Rozenn : On a fait cet après-midi un microtrottoir pour notre émission de radio. En discutant avec des gens de façon ouverte, on se rend compte qu’ils peuvent évoluer, que leur discours peut changer. Mais il faut argumenter, apporter des informations. Mais je pense que ça ne passe pas forcément par des figures connues comme Gretha Thunberg. Surtout que ça peut être une figure « écrasante », qui peut bloquer finalement l’engagement. On peut avoir une influence directe. À mon niveau, je tiens un peu ce rôle auprès de camarades du lycée, mais ce n’est pas facile.

Yann : C’est un peu dangereux qu’on soit trop centrés sur une personne, même si c’est très bien ce qu’elle fait.

Rémi : Moi, je pense que l’identification est importante. Une figure qui partage ses inquiétudes et qui a le même âge que nous, ça fait du bien dans un paysage médiatique où on ne voit que des vieux messieurs blancs parlant d’écologie « punitive ». Je n’ai pas l’impression d’être tout seul.

Ce qui est intéressant chez des personnes comme Greta Thunberg, c’est qu’elles se réfèrent à la science. Il y a aussi de vieux messieurs blancs formidables comme Jean Jouzel, qui apportent beaucoup !

Rémi : Bien sûr, je caricature un peu. Mais on entend trop peu de gens comme lui.

Juliette A : Je pense aussi qu’on doit nous aussi servir d’exemple, mais c’est une charge mentale forte, ça crée des émotions lourdes qu’on n’arrive pas à gérer. La musique m’aide à les surmonter (par exemple Aurora et Gojira).

Enzo : J’ai des professeurs qui ironisent sur notre engagement écologique ; on a l’impression que c’est simplement l’affaire de notre génération. Ça déclenche alors de la colère de ne pas se sentir plus soutenus.

On va terminer sur l’optimisme : qu’est-ce qui peut nous empêcher d’être trop déprimés ?

Juliette B : Tant qu’il y a encore de la vie, le combat continue. Il faut faire entendre nos voix. Je fais des études à Nîmes pour devenir maitresse d’école, je voudrais sensibiliser à la cause climatique les enfants que j’aurai en charge. En développant des projets écologiques, en popularisant les « petits gestes », en adoptant des rituels, des habitudes pour montrer l’exemple à des enfants sans les perturber, les inonder, ou leur faire peur : en toute bienveillance, sans se montrer alarmiste et sans être fataliste.

Nuage : Quand on agit sur le climat au sein d’un collectif, on s’épaule entre nous, ça fait du bien. Militer pour améliorer le monde nous fait aussi nous améliorer.

Propos recueillis par Jean-Charles Léon et Jean-Michel Zakhartchouk

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Ce dossier nous invite à aller plus loin que l’éducation à l’environnement ou au développement durable. Comment permettre à nos élèves de prendre conscience des enjeux de cette indispensable transition écologique : apport de connaissances, actions locales, formation à l’écocitoyenneté…

Notes
  1. Certains intervenants ont choisi, pour des raisons d’activisme militant, de figurer sous un pseudo. Nous avons respecté leur choix.
  2. Le Guide du jeune engagé pour la planète, Johan Reboul et Ihab Bourara, Fleurus, 2021.