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Du parrainage en collège

Dès 2015, et suite au constat du nombre grandissant de décrochage et de phobies scolaires chez les élèves de primaire des écoles de notre bassin, plusieurs collègues de l’établissement réfléchissent à l’aide qu’ils pourraient apporter aux élèves entrant au collège. Pour eux, l’arrivée en 6e est une étape importante empreinte de peurs diverses : échec, sanctions, ou encore harcèlement.
Apparait alors le projet Grandis, ose et deviens1 : une aide à la gestion du stress et des émotions pour mieux réussir au collège. Quelques années plus tard, forts de nos réussites et conscients des limites, nous nous sommes dit que les anciens 6e qui avaient participé à ce projet innovant pourraient aider les nouveaux à s’intégrer plus rapidement et à être en réussite encore plus vite, en les accompagant pour s’approprier nos outils et nos pratiques. Après réflexion, c’est le choix d’un parrainage qui s’est dessiné.
Nous avons donc demandé à des élèves de 4e et de 3e de se rendre disponibles pour accompagner des élèves arrivant au collège. En septembre 2021, nous avons commencé avec deux classes, puis nous avons élargi le dispositif à quatre classes l’année suivante.
Actuellement, six classes sont concernées, accompagnées par leurs professeurs principaux qui interviennent en quinzaine sur les heures de vie de classe.
Pour les 6e, le but est de développer une compréhension plus rapide du fonctionnement du collège, d’intégrer les codes sociaux et de rassurer. Pour les 4e qui sont parrains et marraines, il s’agit de susciter de la responsabilité et de l’empathie.
Ces élèves ont participé à une formation à la fin de leur 5e. Elle a duré deux heures, et a été pensée et conduite par les enseignants, pour clarifier la fonction, savoir se positionner, intégrer les ressources disponibles, pour répondre aux demandes des 6e. Les classes entrant en 4e ont été construites avec les élèves volontaires pour accompagner les 6e. Ils ont reçu un diplôme symbolique, signé par la principale du collège.
En septembre, lors de la première semaine, une séance de deux heures d’intégration a été mise en place pour constituer les dyades. Ce sont les élèves de 6e qui ont choisi leur parrain ou leur marraine. Puis une fois par quinzaine, des rencontres sont organisées entre les classes de 4e et 6e sur l’heure de vie de classe commune.
« Les lundis de parrainage » correspondent à ces séances, organisées autour d’activités prévues dans un livret. Par exemple, les binômes sont assis ensemble et reçoivent « la roue de la vie » : des explorations sur le quotidien, la santé, l’estime de soi, la famille, l’épanouissement, la sécurité, autant de domaines pour mieux se connaitre.
Nous avons observé des élèves profitant du binôme pour demander (et obtenir) des précisions sur la tâche, l’implication des plus grands dans l’accompagnement à la compréhension, la prise de parole des plus jeunes, ou des stratégies mises en place pour que les élèves sans binôme puissent se trouver accompagnés et entrer comme les autres dans l’activité. Alors que beaucoup ont profité de cette expérience pour échanger, certains étaient plus passifs et ont eu besoin qu’un adulte intervienne pour recentrer leur travail sur les attendus.
Un marché de connaissances a aussi été mis en place afin d’équilibrer la relation asymétrique entre le parrain et le filleul. Ce marché conduit les 6e à partager ce qu’ils savent avec des élèves plus âgés et, à cette occasion, rendre aux parrains et marraines une partie de ce qu’ils ont accepté et apporté.
Lou (4e) est le parrain de Rudy (6e) :
– « Rudy : Je me souviens un jour, j’ai été embêté par Jimmy. On se connait depuis l’école primaire. Quand j’étais en CM1, il était en CM2 et il m’a beaucoup harcelé. L’an dernier, j’ai été tranquille, il était au collège. Mais dès que je suis arrivé ici, il a recommencé.
– Sylvain : Et alors, qu’est-ce que tu as fait ?
– Rudy : Je suis allé voir Lou qui est devenu mon parrain. Et je lui en ai parlé. Après, il est allé le voir.
– Lou : Oui, je suis allé voir Jimmy mais pas méchamment, parce que c’est mon ami. Je lui ai dit d’arrêter d’embêter Rudy parce que c’est un petit.
– Sylvain : Et alors, ça a marché ?
– Rudy : Oui, il a arrêté de m’embêter tout d’un coup.
– Sylvain : Mais pourquoi t’en as pas parlé à un adulte ?
– Rudy : Parce que c’était en début d’année et je connaissais pas d’adulte, ni les profs ni les surveillants. Alors je suis allé voir mon parrain et il m’a aidé. »
Nacim est un élève parrain en 4e.
« Quand on est parrain, on explique aux 6e comment ça se passe et ce qui est bien et ce qui n’est pas bien au collège. Comme par exemple de ne pas faire de gravures sur les tables. Moi, j’ai voulu être parrain pour aider un élève en 6e. Mais je suis déçu parce qu’il ne vient jamais me voir. J’ai l’impression que je sers à rien. Je sais même pas s’il a des embrouilles. »
Eva (4e) est marraine d’Adèle (6v)
– « Adèle : Moi j’aime bien le parrainage parce que ça aide à faire des rencontres. Je suis contente d’avoir rencontré Eva.
– Sylvain (à Eva) : Pourquoi as-tu accepté d’être la marraine d’Adèle ?
– Eva : Parce qu’elle est venue me demander et que je l’ai trouvée gentille. Des fois pendant les récrés ou pendant les cours de parrainage, on se parle, surtout de ce qu’on fait au collège. Une fois, elle m’a raconté des trucs personnels sur sa vie.
– Adèle : Oui, mais je veux pas que t’en parles.
– Sylvain (à Eva) : Je ne comprends pas pourquoi tu as voulu aider Adèle.
– Eva : Parce que j’aime bien aider les autres. Et puis parce que c’est pas pareil qu’avec des copines.
– Sylvain : Pourquoi tu dis ça ?
– Eva : Parce qu’avec Adèle je me sens utile. »
Les enseignants impliqués dans ce projet ont aussi pu exprimer quelques ressentis.
À l’intérieur de la classe, le parrainage semble avoir facilité la construction de projets communs, en planifiant des actions pour mieux les conduire à leur terme. Les élèves ont pu se montrer plus autonomes pour stimuler des camarades ou ne pas rester seul coincé face à une difficulté.
Il est également ressorti que des liens entre des élèves d’âges différents se sont créés, alors que ce type d’échanges entre « grands » et « petits » n’existait pas ou très peu jusque-là. Les enseignants témoignent aussi d’expériences relationnelles qui construisent la personnalité des élèves, les aidant à prendre confiance en eux afin qu’ils se sentent valorisés et qu’ils puissent s’investir davantage dans le travail scolaire. Cela s’avère particulièrement utile lorsqu’ils doivent réagir face à des situations déstabilisantes.
À l’intérieur de l’établissement, le parrainage semble apaiser le climat scolaire général, offrant aux élèves d’être moins méfiants, d’aller chercher des aides et d’oser demander. Les relations entre les garçons et les filles paraissent simplifiées, l’échange entre élèves d’âges différents facilitant la mixité.
Après les premières années d’expérience, deux nouvelles idées ont émergé.
D’abord, l’extension de ce dispositif à un groupe 6e-4e supplémentaire chaque année si une étude souligne que le stress et le harcèlement s’estompent chez les élèves qui sont parrainés. Cela permettrait de justifier le besoin d’un tel projet d’extension à davantage d’élèves, éventuellement de collèges.
Ensuite, concernant les élèves en 5e, n’étant ni parrainés ni parrains ou marraines, envisager une formation à la médiation par les pairs. Ces élèves seraient formés pour devenir des médiateurs et prendraient une place plus importante dans l’établissement. Ils pourraient ainsi mettre à l’épreuve la sécurisation présumée par le parrainage et participer à la résolution de davantage de conflits. L’année suivante, en devenant parrains ou marraines à leur tour, ils auraient probablement des compétences plus marquées et accorderaient plus d’importance au dispositif.
À lire également sur notre site
Des élèves tuteurs et tutorés au collège, par Maxime Droguet, Pierre de Guido, Marine Geffroy, Thomas Ferron et Emmanuelle Lorenzini
Des classes multiâges en collège, par Céline Morestin, Amélie Cottarel et Ringo Douville
3 outils simples pour organiser la coopération en classe, par Sylvain Connac et Laurent Reynaud
Sur notre librairie
n°576
Notes- Voir l’article « Faire le pari du bienêtre au collège », Alice Le Pinçart, Valérie Cilia, Sylvie Dumont, Céline Dazet, Cahiers pédagogiques n° 576, « Former les élèves à la coopération », mars-avril 2022.